Avec son nouvel album, la songwriter américaine a décidé de nous coincer la tête dans son étau, entre le marteau et l’enclume.


In film sound est un album à part dans la discographie d’une songwriter singulière. Passé cette entame convenue, force est de constater les beaux dégâts. Shannon Wright n’a pourtant pas changé ses habitudes, c’est toujours une histoire de famille, d’amis, de passion, de rage, et d’émotions. Comme à la maison, du DIY sauce Wright, la pochette est une photo de son cru, et elle a d’ailleurs refusé d’y apposer le sticker du label. Sa musique est une extension d’elle-même, donc pas touche.

D’une écoute distraite, on pense inévitablement à l’album Over the sun enregistré par Albini en 2004, pour cette rugosité aiguisée et pleinement affirmée. Seulement l’ex-Crowsdell s’est rappelée au bon souvenir du power trio en se constituant une garde rapprochée qui sent le souffre (la section rythmique de Shipping News) et les compositions s’en ressentent. Si elle a déjà distillé des coups de sang mémorables par le passé en tournant ses notes à rebrousse-poil, ici, l’embrasement est total et viscéral. En rangs serrés, comme dans un groupe classique, chaque membre tient fermement sa position et ça file droit.

Plus qu’un avertissement, « Noise parade » en pole position de cet album, est une véritable déclaration d’intention. Shannon Wright y plante ses riffs dans la chair fraîche, froidement, sans demande de rançon. Son chant renferme une colère froide, vindicative et menaçante en murmurant les décharges avant l’heure. Après Albini au casting, c’est Bob Weston (Shellac toujours…) qui assure le mastering (la basse sur « Caustic Light » !), le son est plus arrondi et moins saignant, mais garde cette percussion qui fait vibrer les membranes des enceintes. Sonic Youth n’est pas loin, et le final de « Mire » renvoie en un clin d’Å“il le groupe Metz à leurs chères études, pour se retaper l’intégrale d’Amphétamine Reptile Records. Classe.

Shannon Wright retient la tension comme un élastique, et prend le noise-rock par les sentiments. Elle brandit sa guitare, comme un phare dans la tempête. La violence de son doigté -cette science de savoir brûler par les deux bouts ses arpèges de dentelles- reste toujours aussi impressionnante. Alors que la tristesse grise et la colère noire se disputent le bout de gras avec « Surely, they’ll tear it down », elle brave les marécages pour remuer la vase et laisser échapper les fantômes du passé sur  » Who’s Sorry Now ».

Cet album est autant intoxiqué par la rage qu’il l’est par la mélancolie qui en découle. À l’image de ses concerts, on imagine la bouche de la Floridienne s’ouvrir en grand pour happer nos âmes perdues. Elle balance tout, d’un coup d’un seul, et se refuse à toute stylisation en se faisant plaisir. D’une manière détournée, elle renoue avec la mise à nue de ses premiers albums, ambiancé par petites touches, rendues à l’essentiel. À ce titre, la fausse respiration au piano qu’est « Bleed » à mis parcours, ressemble à une goutte de sang séchée sur un océan d’inquiétude. L’écho assourdissant d’un bien bel album dans le brouhaha d’une époque maussade.