Le poète de la country pop Joe Pernice retrouve la boussole de l’inspiration et atteint de nouveaux sommets en compagnie de ses anciens compagnons de cordée.


Près de dix-sept ans après Massachussets, Joe Pernice retrouve enfin en studio ses Scud Mountain Boys, Stephen Desaulniers (basse, guitare), Bruce Tull (guitare, pédale steel) et Tom Shea (batterie). Figure de l’alternative country dans les années 90 aux côtés de Son Volt et Wilco (et les cousins Lo-Fi Palace Brothers et Smog), les Scud Mountain Boys ont gravé trois albums fortement conseillés aux amoureux de ballades nappées de lap steel mélancolique, dont au moins un LP passé à la postérité, Massachussets (1996) paru chez Sub Pop.

La suite est une autre histoire, tout aussi passionnante. Au fil des disques, le songwriting de Joe Pernice devient de plus en plus ambitieux, sans doute trop dans le cadre des Scud Mountain Boys. Après Massachussets, il part fonder avec son frère Bob les Pernice Brothers, où il peut enfin assouvir ses fantasmes pop, en mêlant les arrangements précieux des Zombies, les arpèges classieux des Smiths avec le sens mélodique affuté d’un Elliott Smith. Et là encore parmi les sept albums produits, au moins trois joyaux sont à recenser : Overcome By Happiness (1998), The World Won’t End (2001) et Live a Little (2006). Mentionnons en guise de cerise sur le gâteau la formidable parenthèse solo intimiste, Chappaquiddick Skiline (1999). En somme, le bostonien déçoit rarement.

Même si notre préférence tend personnellement au registre pop des Pernice Brothers, le retour des Scud Mountain Boys ne manque pas de susciter notre curiosité, après quelques disques où Joe Pernice semblait un peu à court d’idées. Avec le recul, on pouvait déjà sentir le vent tourner sur Goodbye Killer en 2010, dernier album des Pernice Brothers sous un jour plus sobre et country/folk que d’accoutumé. Mais ce retour aux racines du songwriter n’avait pas le cachet de ses illustres Scud Mountains Boys. Le hasard fait bien les choses : Joe Pernice renoue quelques mois plus tard avec ses ex musiciens (perdus de vue depuis 1996) pour un unique concert semi improvisé. Devant l’accueil unanime, une petite tournée de reformation est organisée en 2011 sur le continent US. Vous connaissez la suite…

Sorti un peu dans l’indifférence du mois de juillet, Do You Love the Sun (titre à l’ironie estivale ?) nous rappelle que la country peut aussi se parer de précieux oripeaux, chose rare ces temps-ci. Au sein du quatuor, l’étincelle brille comme au premier jour, le quatuor est loin d’être « ampoulé » serions-nous tenté de dire, en référence à la pochette du disque. En guise d’ouverture, la ballade pastorale qui donne son nom à l’album soigne les retrouvailles. Tout l’art de la mélodie supérieure de Joe Pernice y est concentré, bercé par cette voix si docile, greffe heureuse entre celles de Paddy McAloon et Elvis Costello. Revenu à l’épure artisanale, le leader a retrouvé dans cette simplicité son salut, une certaine élégance naturelle. Accompagné de sa six-cordes ou au piano (sur l’émouvant « Learn How To Live »), son doux vague à l’âme est d’une justesse incomparable. Sans refrain forcé, ses petites complaintes du quotidien exhalent une classe folle.

Les superbes effluves de lap steel contemplatives de Bruce Tull sont aussi pour beaucoup dans le charme evanescent du disque. A vrai dire, c’est peut-être ce qui nous manquait le plus chez les Scud Mountain Boys : quel bonheur que d’entendre ce bottleneck sur l’immense « Double Bed », et « You’re Mine ». Stephen Desaulniers, plus productif que par le passé, signe trois compositions sur le disque : bien que compositeur de facture classique, son accent de cowboy confère à ses chansons une autorité country incontestée – notamment sur « Orphan Girl » qui démarre comme une folksong désolée à la Johnny Cash.

Manque peut-être à l’album un titre accrocheur de l’envergure de « Lift Me Up », ballade sauvage domptée par le Crazy Horse qui hantait Massachussetts – qui, il est vrai, n’a pas été un tube pour autant. Comme pour ses prédécesseurs, on peut d’ores et déjà assurer que ce quatrième album des Scud Mountain Boys vieillira admirablement bien. Do You Love the Sun remet en selle Joe Pernice sur le chemin de l’aristocratie country pop.