L’orchestre punk de Montréal revient sous les barricades et en formation resserrée avec un septième opus cultivant sa colère dans l’actualité.


En guise d’interlude sur la dernière plage du disque, « Rains Thru The Roof… « , on peut entendre le témoignage d’un musicien non identifié (Thurston Moore ?) déclarant sa profession de foi : « La musique, c’est quelque chose à laquelle tu donnes ta vie (…) Et nous on va continuer, sans aucun doute ». Aujourd’hui, dans un contexte économique d’austérité, où choisir d’être musicien n’est pas le meilleur des plans épargne, ce discours est troublant. Les bouleversements qu’a connus le milieu de la musique durant les années 2000 suscitent bien des interrogations pour l’avenir. Mais pour Thee Silver Mt. Zion Memorial Orchestra (SMZ), l’une des formations réputée les plus intègres du milieu rock alternatif, mettre en avant ces mots signifie renouveler leur engagement et leur passion, envers et contre tout. Une flamme qui brûle encore à l’écoute de ce septième opus, quinze ans après leur premier manifeste sur le label Constellation.

Très concerné par leur condition de musicien face aux abus du pouvoir et des institutions, l’orchestre punk emmené par le guitariste/chanteur Efrim Menuck signe à leur tour après Godspeed You! Black Emperor, leur exutoire des manifestations étudiantes de Montréal en 2012. Un nouveau chant de révolte où leur ligne de front post-rock est plus que jamais d’actualité, en phase avec son temps. Après le réveil discographique impérial de GY! BE en 2012, il était temps pour le maestro du chaos, Efrim Menuck, de travailler sur le septième opus de SMZ. Le collectif a connu une perte d’effectif notable depuis le en demi-teinte Kollaps Tradixionales en 2010. Réduit à cinq musiciens, l’orchestre a réappris à canaliser l’énergie restante autour de la guitare tempétueuse d’Efrim Menuck et les violons de Jessica Moss et Sophie Trudeau. Principale incidence, le groupe joue encore plus dur, sale et remonté. Littéralement, plus rock.

Sur les trois premiers morceaux de l’album, le quintet déploie une puissance qu’on avait plus entendue depuis le compte à rebours apocalyptique de 13 Blues for Thirteen Moons en 2008. Le spectaculaire morceau titre de l’album, « Fuck Off Get Free… » est un nouvel hymne de guerre exalté long de dix minutes et qui donne envie de rejoindre leur rang. Les deux tiers du morceau invoquent d’abord le cri des troupes se préparant à l’assaut, plein de lumière et d’espérance. Puis le ciel s’obscurcit soudain, sonnant le face à face avec l’ennemi : le groupe fait alors bloc dans un déchainement de violence guitaristique inouïe et de chÅ“urs solidaires, traduisant magistralement cette sensation de fin du monde dans les barricades. La suite avec « Austerity Blues » ne relâche pas la colère qui se poursuit sur près de 15 minutes, porté par la batterie pétaradante de David Payant, dans la pure tradition de leur art du crescendo. C’est peu dire que ce premier acte manque à plusieurs reprises de nous faire succomber à une crise d’apoplexie.

Lorsque GY !BE peut s’apparenter à un gigantesque escadron sonique qui rase tout sur son passage, SMZ de son côté a toujours pris soins d’expérimenter d’autres nuances sur ces disques, comme en intégrant jadis une chorale amateur. Une liberté de mouvement qui se ressent sur la deuxième partie de l’album, qui laisse place à une certaine accalmie. On pense au fragile « Little Ones Run » chanté par Jessica Moss et Sophie Trudeau autour d’un piano abandonné. Ou encore l’hypnotique et tribal  » Rains Thru the Roof at thee Grande Ballroom… » dans la lignée kraut cosmique d’Ashra Temple. L’orchestre revient au complet sur le beau et déprimant « What We Loved Was Not Enough », avec la voix particulièrement plaintive d‘ Efrim Menuck – dont les inflexions vocales ont certainement influencé Win Butler d’Arcade Fire. Cette ultime bourrasque se veut plus sensible, et devrait se tailler un beau succès lors des prochains concerts.

Si la légendaire colère de SMZ fait toujours autorité, ce second acte élargi encore la palette émotionnelle de ces incroyables musiciens. Et de nous rassurer, quand tout se sera effondré, SMZ sera encore là.