Ethérée, esthéstique et entité… tels sont les mots qui nous viennent à l’écoute de ce second album du quatuor californien, produit par le génial mais intrusif Flood.


Elles se laissent désirer, c’est le moins qu’on puisse dire. Formation en 2004, premier EP en 2008, premier album The Fool en 2010, et aujourd’hui ce second album placé sous le feu brûlant des projecteurs. Tout cela demeure très peu en 10 ans d’existence, mais il est vrai que Warpaint était un secret bien gardé jusqu’à la sortie de The Fool. Pour les quatre californiennes originaires de Los Angeles, disons que les choses ont commencé à devenir sérieuses depuis trois ans. Excellent groupe de scène, les jolies trentenaires – Emily Kokal (chant, guitare, claviers), Theresa Wayman (guitare/claviers), Jenny Lee Lindberg (basse) et Stella Mozgawa (batterie) – ont intensivement tourné durant tout ce temps à travers le monde, peaufinant leur esthétique rock minimaliste, s’ouvrant à de nouvelles perspectives d’écriture collective, grâce notamment à l’impulsion métronomique de Stella Mozgawa, fraîche recrue officiant derrière les fûts. A tel point que le quatuor féminin considère ce nouvel opus sans titre comme leur véritable premier album, artistiquement parlant.

Gageons aussi que les californiennes savent très bien s’entourer. La guitariste Theresa Wayman n’est autre que madame James Blake, prodige de la scène dubstep, qui on l’imagine, les a parfaitement initiés au genre (cela s’entend sur ce nouvel album). Leur petit cercle s’étend même au-delà des sphères musicales, le vidéaste Chris Cunningham étant l’époux de Jenny Lee Lindberg. Pratique pour développer une image forte… Ce genre d’accointance doit être routinier pour qui habite Los Angeles.

Il est un fait que l’on ne peut reprocher à Warpaint : leur disque est pétri d’ambition. Chainon manquant entre la pop éthérée des new yorkais Blonde Redhead et le minimalisme post-punk londoniens The XX, le rock épuré de Warpaint n’invente certes rien, mais s’avère plutôt habile dans sa sorcellerie. Un quatuor parfaitement maître de son espace, où la basse et la batterie tiennent une place prépondérante. La notion d’entité de groupe porte ici parfaitement son nom, chaque musicien donne l’impression d’être un élément cruciale de sa mécanique quantique.

Aussi dans sa quête d’expansion sonore, le groupe s’est adjoint les services du très imposant Mark Ellis alias Flood, dont les compétences en matière de production depuis plus de trente ans se passent de commentaires (le Violator de Depeche Mode, Nick Cave, PJ Harvey, ou encore dernièrement Foals… c’est lui). Avec une telle pointure derrière les manettes, les Warpaint ne risquaient pas trop de s’égarer en chemin. Et pourtant… ironie du sort, c’est finalement ce qu’on reproche un peu à ce disque : le fâcheux syndrome du producteur qui prend en otage l’artiste. Même si de fait, le travail sur la production est franchement impressionnant, à trop vouloir laisser son empreinte, le super metteur en son anglais à tendance à diluer l’alchimie singulière des californiennes. Au lieu de l’affirmer.

Résultat, ce son faussement minimaliste, en vérité très sophistiqué, transforme leur album en disque de démonstration nec plus ultra pour chaines Hi-Fi de salons – dès « Keep it Healthy » et ses percussions envahissantes inutilement servies en quadriphonie… Il est d’autant plus frustrant que Warpaint n’a pas peur de s’engager dans des sentiers expérimentaux, non sans quelques réussites notoires. Si « Feelin Right » et « Love is To die » se détachent comme les singles évidents – tous deux ont d’ailleurs été mixés par Nigel Godrich -, l’album réserve d’autres surprises. Notamment une greffe dub parfaitement réussie : le quasi trip hop « Hi », dopé par une boite à rythme très bristolienne, capte diaboliquement l’attention, ou encore l’audacieuse plaisanterie, « Disco/Very ». Un énorme effort est aussi porté sur les harmonies vocales : « Emily Kokal » sous ses airs fragiles, s’adonne à bâtir de belles et lancinantes arabesques (les captivants « Son », « Biggy »). Le charme opère, mais quelque part persiste en nous cette impression de maquillage abusif.

Warpaint a bien enregistré un disque qui sonne grandiose, tout en perdant un peu de son identité. La fête tant attendue est à moitié gâchée.