Rencontre avec la musicienne Ela Orleans, artiste aussi prolifique que discrète qui aime fabriquer des sons comme on fabrique des images.


Musicienne née à Oswiecim en Pologne, mais installée à Glasgow depuis quelques années après avoir fait un détour par New York, Ela Orleans vient de rééditer il y a quelques semaines son album Tumult in Clouds sur son propre label Parental Guidance. Après une expérience en groupe avec Hassle Hound, à l’orée des années 2000, celle-ci décide que ses aventures musicales se feront désormais en solitaire et publie sur les labels La Station Radar, puis Clan Destine Records, des disques d’où s’échappe une musique à la fois onirique, spectrale, faite d’un patchwork d’influences qui vont des Beach Boys à Bach en passant par les scores d’Andrzej Korzynski.

Car avant toute chose, en plus de ses techniques d’enregistrement et de samples, la musique d’Ela Orleans est surtout cinématographique et doit s’appréhender comme tel. Bien qu’elle n’aime pas le circonscrire à un genre, son travail (que l’on pourrait par instant rapprocher aussi de celui de Broadcast), se tourne en réalité bien moins vers la pop telle que nous l’entendons, pour se rapprocher d’une autre écriture beaucoup plus cinématographique. Forte d’un mot d’ordre qu’elle semble s’être fixée à elle-même, « Movies for Ears », la musique de cette musicienne protéiforme est aussi cérébrale qu’instinctive et s’adresse autant à notre ouïe qu’à notre vision lorsqu’elle crée ces grands espaces sonores qui nous invitent à rêver tous les scénarios possibles.

Pinkushion : Quelle est la raison de cette réédition de Tumult in Clouds chez Parental Guidance?

Ela Orleans : Les copies étaient épuisées. Les premières copies étaient sur Clandestine Records, et je ne suis plus chez eux. Mais j’étais intéressée pour les represser à nouveau. J’ai pensé que je devais le faire moi-même car il y avait eu pas mal de retours positifs. Je l’ai fait et ma mère m’a aidé un peu pour démarrer. Mon label s’appelle « Parental Guidance », car sans elle ça n’aurait pas eu lieu. Avec l’expérience que j’ai eu auparavant avec Clan Destine Records, je sais maintenant comment gérer un label pour écouler une petite quantité de disques.
Quand je me déplace par exemple pour vendre les disques dans magasins de disques, ce n’est pas moi, mais Parental Guidance. C’est une autre façon de communiquer avec les gens. C’est mieux d’avoir ce nom, mais ce n’est pas pour gagner plus d’argent. C’est juste plus confortable.

Qu’est ce que le prix Dead Albatross (équivalent indé du Mercury Music Prize) remis à Tumult in Clouds en 2013 a changé pour vous ?

Ça ne m’a pas rapporté plus d’argent, mais c’est une sorte d’accomplissement. De nombreuses personnes y ont prêté attention. Des labels m’ont sollicité pour d’autres réalisations. Je fais l’objet de plus d’attention, mais sans que ce soit hype pour autant car ce prix est créé par des journalistes, des magasins de disques… Cette récompense a été une bonne surprise pour moi et m’a donné bien plus confiance artistiquement parlant.

Je travaille actuellement sur trois musiques de films et j’ai aussi des projets pour la télévision. Et aussi deux projets de collaboration qui concernent mes albums. Je me prépare pour le festival Counterflows (Ndlr: qui se déroule à Glasgow du 4 au 6 avril 2014) où je collabore avec le réalisateur Maja Borg.

Comment décririez-vous votre évolution musicale depuis vos précédents albums?

C’est difficile à dire… Parfois quand je réécoute des choses écrites dans le passé je me dis « Oh mon Dieu, je ne voudrais pas revenir à ça ». Je faisais les choses très simplement, je manquais d’expérience. J’écoutais beaucoup de musique (je continue toujours à en écouter beaucoup), et j’essayais d’incorporer les choses qui m’inspiraient dans ma propre musique. Depuis j’ai bénéficié de formations pour m’initier aux logiciels de composition tels que BMI Composing for the Screen. J’ai eu la chance de travailler avec des musiciens professionnels dont le travail est de composer de la musique pour des films. C’étaient des cours intenses où j’ai appris comment composer ce genre de musique.

Pourquoi avoir choisi d’évoluer en solo plutôt que dans un groupe ?

C’est quelque chose de naturel. J’étais dans un groupe avant à Glasgow ( Hassle Hound), mais j’ai dû déménager et après cela, ça a été plus difficile de communiquer. À l’époque il n’y avait pas encore la possibilité de s’envoyer des fichiers par email. Alors en attendant les réponses des autres pour savoir s’ils approuvaient telles ou telles idées, je me suis mise à travailler seule car je trouvais ça plus simple. Je préfère écouter de la musique seule plutôt qu’en groupe. Être en groupe est marrant, c’est d’avantage une distraction. Mais vous êtes davantage attentif aux choses lorsque que vous vous retrouvez seul. Je préfère aller au cinéma et regarder des choses dans le noir plutôt que rencontrer un tas de gens et boire des bières… J’aime être seule pour me concentrer d’avantage.

Vous n’aimez pas tellement être associée à la pop music

Je n’ai jamais pensé que la pop music était mauvaise en soit. L’industrie de la pop music mainstream est quelque chose de différent, mais il y a des choses très bonnes. Ma principale source d’inspiration est le jazz ou les orchestrations, mais j’essaye d’y incorporer d’autres choses.

C’est peut-être d’avantage une distraction…

C’est comme pour la nourriture. Comme un burger. J’aime autant manger un burger qu’un repas plus élaboré… Ça dépend. Les deux peuvent aller ensemble. Il a beaucoup de mauvais jazz, beaucoup de mauvaises musiques électroniques. Tous les genres de musique ont leurs côtés distractifs. Tout finalement me convient. Les gens me décrivent comme une artiste expérimentale, mais je n’en suis pas une (rires).

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Où voulez-vous en venir lorsque vous écrivez une chanson? Souhaitez-vous que vos chansons aient un côté intemporel?

Oui, « intemporel » est vraiment le mot approprié. Plus vous vieillissez, plus vous vous demandez pourquoi vous vous lancez là-dedans. Mais dans le même temps, cela me rend heureuse car ça me permet de rencontrer de nombreuses personnes qui m’expliquent ce que ma musique leur apporte. Des personnes que je n’aurais jamais rencontré autrement et qui se trouvent parfois à l’autre bout du monde… J’ai rencontré beaucoup de mes amis grâce à la musique. Ils achètent les disques, viennent me voir en concert et nous devenons amis en parlant. La majorité de mes amitiés se sont crées ainsi.

C’est votre manière de communiquer avec le monde

Oui exactement parce que pas mal de gens doivent penser que je fais de la musique en solo uniquement pour moi… Mais ça n’est pas le cas. Je fais de la musique pour les gens. Pour moi aussi, mais mon but est de jouer pour quelqu’un. Je veux faire des choses que les gens aiment. En rencontrant ces gens, en conversant avec eux en tant qu’artiste solo, je me rend compte que j’ai un rapport plus personnel que si j’étais dans un groupe. J’ai fait partie d’un groupe, et je voyais que les gens étaient plus intimidés pour venir me parler. Quand vous êtes seule, les gens viennent plus facilement après le concert vous aborder et discuter avec vous.

Faire de la musique a été une évidence pour vous ?

J’ai été dans une école de musique lorsque j’étais enfant. Mais je ne composais rien. C’était d’avantage basé sur la reproduction. C’était cependant une période riche où j’ai appris beaucoup de chose. Ensuite j’ai été dans une école d’art, où j’ai développé un travail artistique tout en m’intéressant aussi aux films et en réalisant des choses pour le théâtre. J’ai testé un peu tout cela, mais je suis revenue à la musique car je trouvais que c’était la manière la plus créative pour moi de m’exprimer. J’ai toujours pensé que les gens qui provenaient d’une école d’art faisaient preuve d’une plus grande créativité que ceux qui viennent d’une école de musique. Peut-être parce que dans une école d’art vous êtes d’avantage poussé à créer plutôt que de savoir jouer de votre instrument.

En tant que Française, j’aimerais savoir pourquoi avoir choisi de reprendre le titre « J’ai bien du chagrin » de Françoise Hardy qui se trouve sur Tumult in Clouds ?

Le label Lo Recordings avait le projet de faire un disque qui aurait été un remix de titres de Françoise Hardy. Ils ont demandé à des artistes indépendants comme Dirty Beaches ou moi de participer au projet. Nous avons tous eu à choisir entre cinq titres proposés. J’ai choisi celle-ci car c’était pour moi la plus simple à retravailler.

Je trouve que ce titre se rapproche de votre propre travail…

C’est difficile souvent de s’éloigner du titre original pour en faire quelque chose de personnel. À force d’écouter cette chanson, j’ai pensé que je pouvais la faire sonner de manière plus « upbeat », car c’est une chanson assez dépressive. Je voulais en faire une version plus optimiste. Puis le projet d’album est tombé à l’eau et je me suis retrouvée avec ce morceau que je ne comptais pas intégrer au début à mon propre album. Puis j’y ait réfléchit à nouveau, je me suis dit que finalement il pouvait s’y intégrer très bien.

Pouvez-vous dire deux mots à propos du projet Architecture Of An Atom?

Oui. C’est un film de Juliacks qui est une réalisatrice. Elle m’a demandé de m’occuper de la bande-son. Nous en avons discuté pendant un long moment. C’était une bonne chose car je devais casser mes habitudes pour faire cela et travailler à l’École Supérieure des Beaux-Arts de Bourges où je disposais d’un studio uniquement pour moi. C’était très intensif, les journées débutaient à 8h du matin pour se finir vers 10H le soir. Nous passions notre temps à discuter de ce que j’avais produit. Je n’ai pas beaucoup dormi. J’aime beaucoup le travail de Juliacks. C’est une jeune artiste très talentueuse, je l’ai tout de suite appréciée. C’était un travail difficile car elle avait beaucoup d’idées et il a fallu procéder à des modifications à de nombreuses reprises. Elle m’a poussé assez loin, au-delà de mes possibilités. J’ai souvent dû me pousser à faire des choses que je ne voulais pas toujours faire. Je n’ai pas encore entendu le rendu final, mais à chaque fois que je perdais un peu espoir, elle me m’encourageait. Je pense que le fait qu’elle soit si gentille, m’a aidé à ne pas flipper. J’étais souvent paniquée devant la somme de travail, mais au bout du compte c’était une expérience géniale. C’est ma première bande-son pour un film. Je ne sais pas si ça va être bon ou non. Je l’espère.

Quand sera-t-il possible de voir le film ?

La première est prévue pour janvier 2015 au Moderna Museum de Malmo.

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Dernière question, pourquoi avoir choisi de vous installer à Glasgow plutôt que Londres?

Je suis venue ici la première fois en 1997, car je travaillais avec une école de théâtre. J’ai été invitée par des amis dans le cadre d’un échange artistique. J’ai également vécu à Londres que j’adore, mais qui est une ville très chère…

Vous avez vécu aussi à New York…

Oui. J’aime les grandes villes, mais lorsque vous avancez en âge, vous ne voulez plus dépenser de l’argent pour payer un appartement très cher. C’était mon argument principal. Mais aussi le fait que j’avais des amis ici. Durant les trois première années passées à Glasgow, je me suis fait des amis car il y a une petite communauté artistique, c’est très facile de rencontrer des gens. Je sais qu’ils sont là, qu’ils m’encouragent. Glasgow est une ville spéciale, avec un esprit ouvert.

C’est une ville qui vous inspire?

Oui, définitivement. J’aime les artistes et la scène artistique d’ici. C’est une ville qui possède une très belle architecture, mais c’est aussi très brut. Ce n’est pas si « friendly » que ça veut bien le paraître, mais mes amis, les gens que je connais le sont. Ce n’est pas idéal, mais tant que je serais débordée avec mon travail, je n’en partirai pas.

Pour finir donnez-nous cinq de vos albums favoris

1. Bernard Herrmann (Conducting the National Philharmonic Orchestra) – The Fantasy Film World of Bernard Herrmann
2. Madlib – Shades Of Blue
3. Boards Of Canada – Geogaddy
4. Moondog – On the streets of New York
5. Jean-Sébastien BachChorales

Ela Orleans – Tumult In Clouds

Ela Orleans – Light At Down