Retour sur le label Fat Possum de l’un des plus prodigieux songwriter pop outre-Atlantique… qui n’en fait toujours qu’à sa tête.
Le génie maudit par excellence. Le songwriter Chicagoan Liam Hayes, alias Plush, mène depuis plus de vingt ans une carrière aussi exigeante que méconnue du grand public. De ses début pourtant démarrés en fanfare – la critique l’encense alors comme le nouveau Brian Wilson – ce touche-à-tout à la coiffe de savant fou a par la suite pris un malin plaisir à saborder sa carrière, entre des sorties d’albums maintes fois repoussées et autres déroutes d’ordre contractuelles : Fed (2002) et Bright Penny (2009) attendront respectivement quatre et six ans dans les tiroirs avant d’être récupérés sur un label… nippon. Cela en dépit de disques ambitieux où son perfectionnisme en matière de songwriting et d’arrangements baroque n’a jamais été démentie. Car à l’instar de ses modèles Todd Rundgren, Burt Bacharach, Jimmy Webb et Harry Nilsson, Liam Hayes est un architecte de la mélodie pop un peu coincé dans une bulle spatio-temporelle sixties, insensible à l’appel de la modernité. Avec ce qui engendre son lot d’avantages et de déconvenues.
En France, un petit cercle de fidèles adule ce personnage imprévisible, malgré ses quatre albums qui ont eu très peu d’échos par ici, faute d’une distribution quasi inexistante. A tel point qu’on l’avait perdu de vue ces derniers temps. Jusqu’à cette annonce en novembre dernier d’un nouvel album sur le prestigieux label US Fat Possum (Black Keys, Andrew Bird, Spiritualized…). Une signature qui on l’espère de tout cÅ“ur, va enfin remettre au premier plan cet orfèvre solitaire . C’est d’ailleurs grâce à ce come back médiatique que l’on découvre avec stupéfaction que le bougre a sorti deux albums l’année dernière : tout d’abord une BO pour le film de Roman Coppola, A Glimpse Inside the Mind of Charles Swan III, ainsi que Korps Sole Roller, seulement paru sur le marché japonais (mais disponible sur son Bandcamp). Ce dernier est un disque à se procurer de toute urgence pour tout amateur de splendeur Sunshine pop. Sur ces dix compositions de haute-voltige, le songwriter y retrouve une forme étincelante, et signe quelques-uns de ses refrains les plus élégants. Une très grande réussite.
Ce qui nous amène maintenant à ce cinquième opus, Slurrup. Un disque qui, étonnement, va à contresens de son prédécesseur. La pochette déjà qui aurait pu être signé par Daniel Johnston, nous donnerait presque une idée de l’économie de moyen qui s’y trame : exit les flambantes orchestrations de cordes et les grands pianos à queue blancs façon Lennon, place à une formation instrumentale resserrée, dominée par une section rythmique sèche et limite soul, et des guitares psychédéliques très anglaises (les rock nerveux « One Way Out » et « Fokus »). Si les compositions dépassent rarement les 2 minutes 30 secondes, ce format très court n’écarte pas pour autant le goût de Liam Hayes pour une écriture complexe renouant quelque part avec l’épaisseur de Fed (2002), les orchestrations en moins.
Sous son apparence innocente, Slurrup est en fait un disque soul rock étrange, où les progressions mélodiques n’empruntent jamais vraiment le chemin escompté. Et cela peut déconcerter les oreilles peu habitués au tempérament particulier de Liam Hayes. Tel ce « Nothing Wrong », qui démarre comme du Zombies puis prend une tournure de plus en plus alambiquée, à la Elvis Costello. Les sommets de la bizarrerie sont atteints sur « Channel 44 », une plage hantée où on imagine entendre des cris d’une foule pris dans l’attraction fantôme d’une foire, à ranger près des délires paranos de Smile. Perturbant, mais on admire quelque part cette formidable liberté de ton.
Liam Hayes sait pourtant tout faire, et est tout aussi capable aussi de pondre des refrains d’une simplicité et d’une efficacité désarmante, tel ce « Long Day » coulé comme du Donovan, ou encore le groovy « Keys to heaven ». Seule concession aux cordes, « August Fourteen » est une superbe balade emplie de grâce.
Décidément, il est difficile de cerner le personnage… Pas sûr que Liam Liam Hayes trouve enfin la reconnaissance du public avec Slurrup, mais cette façon qu’il a encore une fois de s’auto saborder ne manque pas de qualités.