S’éloignant un peu plus de leurs influences sludge, le groupe londonien livre un troublant nouvel album cousu de fil d’or.


En une dizaine d’année et autant d’albums, l’intraitable groupe londonien n’a cessé de travailler la même matière brute et terreuse, faite de sludge noise, d’expérimentations psychés et de doom rock. Hey Colossus a par le passé multiplié les risques et les approches différentes, a malaxé sans relâche cette masse sonique opaque avec plus ou moins de réussite.

Le groupe en prend pourtant ici le contre-pied dès « Hold on ». Une comptine pastel détachée de toutes aigreurs et d’une étonnante bienveillance, tout juste contrariée par quelques bourdonnements et craquements discrets. Cet onirisme se fond avec finesse avec le field recording introductif de « Sisters and brothers », mais la bulle colorée ne résiste pas longtemps au premier coup de reins. La chaleur augmente, et la lourdeur reprend ses droits, conquérante par nature. La petite troupe patauge toujours dans la boue, ses riffs fumants sous le bras, mais y injecte cette fois des dorures mélodiques 60’s plus inédites chez eux, créant un groove lumineux et félin. « Dead Eyes » pourrait être le négatif du titre précédent, reprenant les lignes de guitare claires, y ajoutant le grain et la puissance d’une fuzz poisseuse dans le sillage de Kyuss. Le groupe n’hésite pas à tourner autour d’un riff, à insister et à imposer ses idées par la force. La première moitié de l’album fonctionne ainsi, comme divers sas de compression, une montée progressive de la tension jusqu’à l’incroyable explosion de « Black and Gold ». Les Anglais puisent toujours leur musique dans les épidermes reculés de la terre, tout en ayant recadrés ici la fenêtre de tir, et clarifié le terrain. Plus rock, plus académique aussi.

In Black and Gold n’est pourtant pas avare en surprises, ni chausses trappes ; avec « Wired brainless », le groupe livre une relecture personnelle et alourdie du post-punk. L’intéressante articulation des guitares, à la fois rampantes, tranchantes et lumineuses, tourne autour d’un groove retors sur lequel plane un chant caméléon singeant malicieusement Ian Curtis. Plus loin, « Lagos atom » constitue une rupture nettement plus brutale et inattendue. L’imposant morceau déploie son psychédélisme torve par sous-couches successives guidées par des voix déformées et répétées sous forme de mantra industriel aux éclats dub-noise. Cette longue montée en puissance est abondamment nourrie, en arrière-fond, de remous et de vibrations sourdes. Si This Heat renaissait de ses cendres, il n’en serait pas plus impitoyable.

De l’introduction ouatée d’ « Hold on » au touchant râle gothique de « Sinking, feeling » le groupe ne rate pas une marche. Dans sa flamboyante monstruosité il tente tout, avale et recrache, toujours insaisissable, mais d’une insolente assurance. Hey Colossus contrôle enfin ses propres cauchemars, renouvelle ses images intérieures et s’ouvre à de nouvelles émotions. Avec cet album imposant et difforme, le colosse d’argile est dorénavant chaussé de granit. Brillante anomalie.