Le monument de la folk/rock britannique, encore et toujours unique, mais avec Jeff Tweedy de Wilco.


Lorsqu’on a appris que le guitariste Richard Thompson enregistrait un nouvel album avec Jeff Tweedy en tant que producteur, l’initiative nous inspira un respect poli, sans emballement non plus. Car aussi estimable soit-il, le patron de Wilco est avant tout reconnu pour ses talents de songwriter que pour ses crédits derrière une console de studios. A titre d’exemple, ses collaborations avec la grande dame de la soul Mavis Staple, brillent par une sobriété sans réel caractère (certes pétrie de bonnes intentions). On ne voyait donc pas trop ce que l’Américain pouvait apporter au vieux briscard anglais et pionnier de la musique folk-rock, qui maîtrise sur le bout des doigts le son unique tiré de sa Fender. A l’inverse, on aurait plutôt tendance à penser que l’expérience soit finalement plutôt bénéfique pour la figure country/rock de Chicago…

Sans surprise, ce 16e album solo enregistré dans le studio personnel du groupe emblématique de Chicago, ne bouscule pas l’univers du virtuose de la six-cordes à la carrière entamée voilà près d’un demi-siècle. Alternant compositions acoustiques et électriques, le disque est même d’une économie étonnante en termes de mise à plat sonore. A moins que ce ne soit Jeff Tweedy qui ce soit sciemment effacé pour laisser respirer le format trio guitare/basse/batterie qui convient depuis quelques temps à l’ex Fairport Convention. De fait, Still sonne de prime abord un peu mineur, surtout après le monumental Electric en 2013, dernier sommet en date d’une discographie à la constance impressionnante. Après une telle décharge (folk) d’énergie, l’approche moins directe de son successeur laisse d’abord un peu sur la faim. Et puis passés quelques écoutes, quelques merveilles sont identifiées. Car l’appréciation d’un disque de Richard Thompson est à considérer d’un point de vue relatif, chaque album du folksinger anglais reste en effet une leçon d’exigence artistique pour tout amateur de songwriting que ce soit folk ou rock.

A vrai dire, un seul morceau laisserait suggérer l’empreinte de Tweedy : « Broken Doll », dont les arrangements subtils qui l’accompagnent en arrière-plan lui confèrent une tonalité spectrale, une réussite. Plusieurs ballades dominent l’album : l’inaugural “She Never Could Resist A Winding Road”, composition grave mais emplie d’espoir ; « Josephine », une de ses étreintes acoustiques dont il a gardé le secret depuis Fairport Convention ; et « Where’s Your Heart » en mode trio mélodique. Si variété il y a sur Still, elle ne repose donc pas sur la mise en son, mais sur la guitare de Richard Thompson, dont l’incroyable aisance technique du musicien –la fluidité de ses arpèges pourtant acrobatiques – lui autorise de s’aventurer dans différents styles, que ce soit folk, rock ou ici country (sur « Patty don’t You Put Me Down »).

Les trois dernières pistes s’avèrent les plus remontés. « No Peace, No End », où le grain de distorsion se durcit est un rock vindicatif qui nous rappelle pourquoi du temps de sa période en duo avec Linda Thompson, il était l’un des rare folksinger respecté en pleine période punk. On en oublierait presque qu’il est aussi un parolier de premier plan : « Dungeons For Eyes » est une critique sur la carrière d’un meurtrier devenu politicien respectable – “A man with blood at his hands, Am I supposed to shake his hand ?”. Enfin « Guitar Heroes » qui conclut l’album et s’étire sur plus de sept minutes est un tour de force guitaristique : le musicien y rend hommage à ses héros, enchaînant des solos dans le style manouche de Django Reinhard, rock n’roll vintage à la Hank Marvin, et enfin bluegrass à la manière du grand Les Paul. La maîtrise impressionnante de Richard Thompson, sans jamais en faire trop, n’a ici d’égale que son admiration pour ces trois guitaristes. Le secret de sa créativité est peut-être sur cette dernière piste : être toujours aussi fan après toutes ses années.

On a tellement tendance à se reposer sur la production de nos jours qu’on oublie que la marque d’un grand musicien, c’est aussi de pouvoir s’inspirer de son propre instrument. Et dans ce domaine, l’inspiration de Richard Thompson ne semble avoir aucune limite.

Richard Thompson sera en concert à Paris, le 23 septembre prochain au New Morning