Après nous avoir laissé sept longues années sans nouvelles, le songwriter américain B.C Camplight a opéré un retour en grâce en début d’année avec son troisième album, How To Die in the North.


Petite merveille de pop baroque arrangée et azimutée , How to Die in the North a beau être paru début janvier, l’album continue de rester dans le peloton de tête pour figurer dans notre palmarès des meilleurs disques de l’année. Nous avons rencontré fin avril le désormais Mancunien lors de son passage à Paris, pour lui proposer de commenter quelques mots étroitement liés à son parcours musicale. En voici le compte-rendu.

Bella Union

B.C. Camplight : Vous m’avez rappelé que nous nous étions déjà rencontré il y a neuf ans, pour mon premier album. En fait, je ne garde pas un bon souvenir de cette expérience – pas notre entretien (rires). La première partie de ma carrière en tant que musicien fut un cauchemar. Malgré les excellentes critiques reçues et le fait que je sois toujours fier de ce que j’ai accompli artistiquement, j’ai ensuite perdu pied pendant sept ans, et ça m’a rendu presque fou. J’ai déménagé depuis de Philadelphie aux Etat-Unis, ma ville natale, pour Manchester en Angleterre. Là j’ai été signé par le label Bella Union. Sous beaucoup d’aspects, ce label m’a sauvé la vie. Car je considère maintenant que je suis au stade de l’album « numéro un », et que probablement cinq ou six suivront. Après dix années de galère, les choses vont finalement dans la bonne direction grâce à Bella Union. Avant cela, j’ai arrêté de faire de la musique, je n’avais plus de projet. Maintenant, je peux voir en quelque sorte mon futur. J’ai envoyé à Simon (ndlr : Raymonde, patron du label) mon disque. C’est la seule personne à qui je l’ai envoyé. Et il m’a répondu. Bordel ! Je n’y crois toujours pas.
Je savais que si je devais un jour continuer à faire de la musique, je devais avoir toute liberté en termes artistique. Je ne veux plus confier mon album à un label merdique pour qu’au final personne ne puisse l’écouter. Je ne veux plus subir ce genre de torture contractuelle. Et les albums que je compte enregistrer méritent d’être distribués décemment et accessibles aux gens. Alors quand j’ai compris qu’on était sur la même longueur d’onde avec Bella Union, et que je pourrai continuer à enregistrer des disques comme je l’entends, ce fut une renaissance pour moi. J’espère que ça va durer comme ça pour les dix prochaines années.

Manchester

J’ai vécu à Philadelphie, c’est là que j’ai enregistré mes deux premiers album. Mais comme je vous le disais, les choses n’ont pas pris la tournure que j’espérais. Je faisais tout par moi-même, j’étais ce qu’on appelle un homme-orchestre. Le problème c’est que je ne passais jamais à la radio. J’ai passé beaucoup de temps à me convaincre que j’étais pertinent artistiquement, mais je ne l’étais pas. Je me suis retrouvé en 2009 à vivre dans une église sans électricité, à dormir parterre…
J’ai enregistré mon premier album quand j’avais 23 ans, et j’ai fait des erreurs. On ne peut pas enregistrer deux albums dans cette situation, je savais qu’il fallait que j’en sorte. Mais j’étais tellement mal, j’étais allé trop loin dans la drogue, l’alcool, et d’autres distractions. J’étais tellement éparpillé que je ne faisais même plus de musique, car j’étais malheureux. Et puis j’ai eu cette opportunité de partir pour Manchester, grâce au soutien de fans. J’avais aimé la ville lorsque j’étais parti en tournée en Europe, alors j’ai franchi le pas. Ce départ a été la genèse de tout ce qui est arrivé ensuite. Tous mes meilleurs amis sont désormais mancuniens, ma petite amie, ma maison et mon groupe aussi. C’est tellement étrange, car j’aurais pu partir dans d’autres endroits, et cela n’aurait pas marché de cette manière. Tout était réuni à Manchester, à l’exception du temps, qui est horrible (rires). Je me vois bien maintenant y vivre jusqu’à la fin de mes jours.

Pinkushion : Qu’avez-vous fait dans un premier temps quand vous êtes arrivé à Manchester?

Je n’avais absolument aucun plan. Le peu d’argent que j’avais en poche provenait des droits de ma musique utilisé pour des films ou d’émissions télévisées. Mais c’était très peu, et j’ai d’abord dormi sur pas mal de canapés. Quand j’ai enregistré l’album, il n’y avait encore aucun label au courant. Cela a pris deux ans, j’enregistrais une chanson dans le studio et puis j’y retournais un mois plus tard ou deux, car je ne pouvais pas me permettre de payer les sessions. C’était une situation difficile, car je devais chaque fois convaincre tout le monde, et surtout les gens du studio, que tout irait bien. Ce fut dur et stressant, mais cela a payé.


B.C Camplight alias Brian Christinzio


War on Drugs

Les War on Drugs ont beaucoup de succès. Une partie des membres du groupe jouaient auparavant dans B.C. Camplight, lorsque j’étais à Philadelphie. Nous sommes en fait toujours très proches, et nous allons jouer quelques chansons ensemble dans quelques semaines (ndlr : l’entretien s’est déroulé fin avril). Nous allons rééditer une version Deluxe de l’album How To Die in The North, avec des bonus. On va notamment enregistrer un nouveau single ensemble. Je suis très fier d’eux. Il y a une leçon à retenir de leurs parcours : Si vous tournez et que vous vous inquiétez de ne pas être payé, de dormir dans la camionnette ou un peu partout, mais si vous continuez intensément pendant sept ans, bien cela paye. Il n’y a pas de secret. Les gens finissent par vous connaitre. Ces gars-là tournaient dix mois de l’année, ils méritent leur succès.

Piano

C’est par là que tout a vraiment commencé. J’ai commencé à prendre des cours de piano à l’âge de quatre ans. A l’exception de ma famille, c’est la seule chose qui m’a toujours suivi. J’étais fan de Jerry Lee Lewis lorsque j’étais gosse. Je n’ai jamais été attiré par la guitare, même quand j’étais adolescent et que Nirvana a explosé au début des années 90. Tout le monde voulait jouer de la guitare à l’époque, je ne sais pas pourquoi mais ça ne m’intéressait pas. Ma seule véritable obsession était ces gars qui chantaient très haut, et des joueurs de piano (rire). Je suppose que je suis devenu un peu des deux.

Pinkushion : Lors de nous première rencontre, vous évoquiez votre dyslexie. Finalement, elle a peut-être permis de développer d’autres aptitudes, notamment votre oreille musicale ?

Habituellement, lorsque vous êtes très bon dans une chose, vous êtes mauvais dans l’autre. C’est comme ça que le cerveau fonctionne en général. Le mien est lamentable pour un très grand nombre de choses. Je ne peux pas très bien lire à cause de ma dyslexie, et ce fut très difficile à l’école. La seule raison pour laquelle j’ai passé le lycée, c’est parce que j’étais dans l’équipe de football américain. Mais la musique a toujours été en moi. Mes parents me rappellent souvent que quand j’avais trois ans, un jour, j’ai entendu l’hymne national britannique, et je suis ensuite allé au piano et je l’ai joué. Et je n’avais encore jamais joué de piano avant. Parfois, je me demande ce que je serais devenu si je n’avais pas appris le piano. J’aurais sûrement travaillé avec mon père, à l’usine (rire).

Chansons tristes

Il y a quelques chansons que je ne peux pas écouter sans pleurer. Lorsque j’étais gosse, l’une d’entre elles était « Fairytale of New York » des Pogues. J’ai écouté cette chanson des milliards de fois. Mais il y a vraiment deux chansons qui ont toujours un impact spécial sur moi. La première est « Nessun Dorma » de Puccini, chanté par le tenor Luciano Pavarotti. Le crescendo final me donne toujours la chair de poule, c’est tellement triste. La deuxième est une chanson de Noël, la version « O Holy Night » par Perry Como. Je ne suis pas quelqu’un de religieux, mais j’éprouve une certaine attraction pour l’esthétique du christianisme, comme par exemple la beauté et la grandeur d’édifices comme les églises. Même si je le répète, je ne suis pas pratiquant, on sent vraiment le pouvoir de dieu dans cette chanson.

Cream Cheese Philadelphia

B. C Camplight : Pourquoi avez-vous choisi ce mot ?

Pinkushion : Je ne sais pas, c’était une blague et un prétexte détourné pour parler de votre ville natale, Philadelphie.

C’est marrant, parce ça m’a poursuivi à mon arrivée à Manchester. Tout le monde me disait « ah oui, comme la crème fromagère » (rires). Et Le pire dans tout cela, c’est qu’on n’appelle pas là-bas ce fromage Philadelphia (rires). On l’appelle juste Cream Cheese… C’est comme pour le Kleenex, c’est juste le nom de la marque. J’ai souvent été embarrassé par cette situation (rires). Pourtant, c’est l’une des deux choses à laquelle tout le monde se réfère à l’évocation de Philadelphie. La deuxième, c’est le Prince de Bel Air… Lors de ma première année à Manchester, j’étais en train de boire dans un club, pour oublier ma panne d’inspiration, et quelqu’un m’a demandé d’où venait mon accent. Et que je lui ai répondu Philly, ça n’a pas manqué : il m’a chanté tout fort le rap de la série télévisé. Maintenant, je dis que je viens du New Jersey. (rires)