Au son des premières notes chaleureuses du sixième opus des popisants Trashcan Sinatras, le chardon écossais en perd ses épines, et se transforme illico, en tournesol soyeux et lumineux.

Label : Red River – 2016


 

Inclinées vers le soleil levant, les 11 nouvelles chansons du quatuor or sont épanouies et sophistiquées. Chaleureuses, leurs harmonies nous rappellent qu’il n’existe rien de plus réjouissant qu’un bon disque de pop musique. D’ailleurs on l’annonce… à mi-parcours de l’année calendaire, Wild Pendulum est le plus engageant disque sortie dans sa catégorie. Un petit bijou de pop romantique et nostalgique. Travaillé et poli avec les meilleurs matériaux, ce disque confectionné à l’ancienne a de l’épaisseur et un charme désuet. On y apprécie l’attention portée aux harmonies vocales, à l’orchestration chatoyante et à la production. Il n’est pas sans nous rappeler, dans l’esprit, les sorties récentes de Peter Astor et Robert Forster.

Depuis leur tout début les Trashcans n’ont jamais dévié de leur route. Intègres, ils ont traversé les décennies avec un détachement lucide, droit dans leurs bottes, et totalement hermétiques aux turbulences musicales des différents mouvements musicaux (grunge, britpop). À contrario, ils seront malgré tous les victimes idéales des majors, et donc sacrifiés sans autre forme de procès, sur l’autel du profit.

Issu du circuit turbulent des discothèques et des pubs écossais, ce quintet originaire d’Irvine sur la côte ouest de l’Ecosse, est signé en 1989 par le label Go! Discs. En parallèle, l’instigateur principal et le préposé au chant – Francis Reader – a la particularité de vivre le succès de sa sœur ainée Eddi Reader. Chanteuse folk et membre de The Fairground Attraction, elle place en 1988 son titre ‘’Perfect’’ dans les charts US.

Ce succès familial encourage les velléités de son jeune frère. Cake sera leur premier opus ; il est produit par John Leckie et sort dans les bacs en 1990, pour s’écouler, un peu plus tard aux Etats Unis, à 100 000 exemplaires. Son porte étendard est l’inspiré single « Obscurity Knocks ».  Au grand jeu des comparaisons les Sinatras seront assimilés à Aztec Camera, à The Housemartins ou The Smiths. Mais victime d’un projet avorté, avec le producteur de renom Steve Lillywhite,  ils attendront 3 ans pour pérenniser ce départ prometteur, et passer le toujours difficile cap du deuxième album.  

I’ve seen Everything sera cependant une étape supplémentaire vers le disque d’indie pop idéal. Les voyants au vert ils bénéficieront même d’un petit coup de pouce du destin : le 1er simple extrait – ‘’Hay Fever’’- aura les honneurs d’un épisode de la série télé d’animation culte et à succès de MTV – Beavis & Butt-Head. Les retombées seront quantifiables pendant un moment.

Puis l’histoire commence à déraper. Go Disk ! est racheté par Warner qui coupe les vivres. Le petit dernier – A Happy Pocket sort en 1996 rempli de belles mélodies mais disponible qu’en import sur le continent américain. Last Exit to Go Disk! … Bye bye les majors.  

Démunis mais pas sans ressources, les écossais ont la vista d’apprivoiser au mieux, le naissant et grand méchant World Wide Web.  A l’heure des modems 56K, la communication avec leurs fans (via les listes) sera pérennisée.

Leur quatrième album Weightlifting les renvoi sur la route en 2004. Confiants ils poursuivent leur petite vie professionnelle tranquille, avec un précepte : jouer de la musique sans pression et pour le plaisir de se faire plaisir.

En 2009 suivra le confidentiel et anachronique cinquième opus In the Music. Conçu derrière un pub de Glasgow (The Bay Horse), fortement teinté de soul et modeste de prime abord, il se découvre et s’apprécie sur la longueur, comme bon nombre de leurs productions.

En 2016 la formation est bien vivante. Malgré un éparpillement géographique de ces musiciens, on les retrouve aussi fringants qu’à leur début. La réalisation de Wild Pendulum est d’abord une histoire solidaire : elle repose sur l’appel de dons.  Cette évolution de l’industrie musicale était difficile à imaginer en 1990. En se plaçant du côté du musicien  – on suppose ? – l’étrangeté de la sensation, et de la formule couperet du concept. Néanmoins lancé sur le site communautaire Pledgemusic, Trashcan Sinatras réalisera haut la main ses objectifs avec un taux de 155 % (sur cette même plateforme se joue également l’avenir de vieux briscards : The Wedding Present, Modern English et The English Beat).

Il est donc salutaire de constater qu’une formation radicalement ignorée des médias possède encore après 27 ans d’existence un vivier de fans actifs prêt à mettre quelques deniers pour son groupe favori.

Nantie de cette responsabilité, Francis Reader aka Frank Read, Paul Livingston (guitares), John Douglas (guitares rythmiques, chant) et Stephen Douglas (batterie, chœurs) n’ont pas mégoté. Le résultat est manifeste, consistant et surtout inspiré.

Wild Pendulum est produit par Mike Mogis le producteur et acteur du projet Bright Eyes de Conor Oberst. Il se distingue sensiblement de leurs productions antérieures. Symphonique, il fait la part belle aux instruments à cordes, avec dans le second rôle les guitares. Les 4 premiers titres sont un modèle du genre et de facture classique : au charme feutrée, mélancolique et vintage de ‘’Best Days on Earth’’ se substitue le fantasque ‘’Autumn‘’. Son souffle épique emporte tout. L’univers de John Barry n’est pas loin. Se présentent aussi deux conceptions inspirées de la chanson pop : l’orchestrale ‘’Let Me Inside (Or Let Me Out)’’, et l’ultra mélodique ‘’ Ain’t That Something’’, au tempo plus marqué, car cadencé par une batterie bien présente. L’un exhale un petit d’air daté, l’autre plus ancré dans le présent, pourrait se concevoir comme un morceau indie pur jus. Les deux sont à tomber par terre, et mêlent cuivres, cordes et cœurs angéliques.

 

La deuxième partie de Wild Pendulum recherche l’intemporalité. Le tempo est plus lent, chaque titre cherche à séduire. Franck Read enfile son costume de crooner et les standards défilent. Sa voie magnifique plane sur ces saynètes intimistes. ‘’I want to capture your heart’’ fera chavirer les filles, ‘’What’s inside the box’’ ouvre sa boite à merveilles,  “I’m Not the Fella” est un grand classique…des années 50 !,  ‘’I See the Moon’’ extériorise son romantisme et  ‘’The Neighbours’ Place’’ fête les voisins.

Wild Pendulum ne vibre plus que par touches délicates et paisibles. S’intercale tout de même un ‘intrus’. Assez curieusement sur le titre ‘’All Night’’ la bande à Frankie nous invite à fouler le dancefloor. On se surprend à se trémousser, et à prolonger le plaisir, au son d’un sample festif de “The Lonely Bull” interprété par Herb Alpert  & The Tijuana Brass.

Ce sixième opus acte d’un retour réussi des Sinatras. Ses souscripteurs n’en ont jamais douté.  A tous les autres d’en profiter pleinement. Amateurs éclairés de musique soignée et de qualité ce disque vous tend les bras.

Tracklisting :
01. Let Me Inside (Or Let Me Out)
02. Best Days on Earth
03. Ain’t That Something
04. Autumn
05. I Want to Capture Your Heart
06. All Night
07. The Neighbours’ Place
08. The Family Way
09. I’m Not the Fella
10. What’s Inside the Box
11. Waves (Sweep Away My Melancholy)
12. I See the Moon

Le site des Trashcan Sinatras