Sortie de sa semi-retraite, l’orfèvre pop Anglais signe un sixième opus, merveille de mélodies raffinées et à la mélancolie élégante.
Microcultures – 2016
15 ans. C’est peu dire que Fell, le sixième album studio de John Cunningham s’est fait attendre. Rembobinons les souvenirs pour les profanes. Ce très discret songwriter anglais est ce qu’on pourrait appeller plus communément un dentellier de la pop. A la fin des années 90, John Cunningham était membre d’un petit cercle de musiciens talentueux présidé par Elliott Smith, où siégaient entre autre Richard Davis, Eric Matthews et Jason Falkner… Une génération obsédée par les arpèges folk classieux de Nick Drake, l’écriture mélodique aristocratique d’un Left Banke ou encore le Paul McCartney ambitieux d’Abbey Road. Après la mort tragique du pauvre Smith en 2003, tous ont peu à peu disparu de la circulation, comme si une page s’était tournée… Mais les disques sont restés dans l’inconscient collectif, faisant office de solides marque-pages pour les admirateurs de mélodies pop-folk fines et élégantes.
Rétrospectivement, la musique de John Cunningham démontre d’une capacité singulière à glisser sur les courants et modes éphémères. Une résistance intemporelle que l’on peut mettre sur le compte d’une production au goût sûr et irréprochable, à la pâtine jazz/folk perceptible dès Shankly Gates (1992), et qui sera magnifiée sur Homeless House (1998) et Happy-go-unlucky (2002). Ce qui explique pourquoi, à l’instar du multi instrumentiste culte américain Emitt Rhodes (récemment ressuscité après avoir hiberné pendant près d’un demi-siècle), le retour aux affaires de l’Anglais continue de susciter l’enthousiame chez les oreilles initiées. En d’autres termes, John Cunningham est une valeur sûre.
Quinze ans après la publication de son dernier opus en date, Happy-Go-Unlucky, le voici donc de retour à la lumière avec Fell, nouvel album en partie financé grâce à une campagne de crowdfunding auréolée de succès, organisée par le vertueux label parisien Microcultures (responsable entre autres, de la résurrection des Apartments l’année dernière). Dix chansons, la portion est un peu maigre en regard de l’attente, mais les ingrédients et la recette demeurent, d’une saveur à nul autre pareil.
« Something About The Rain », « Let Go of Those Dreams », « Frozen in Time »… sans même avoir posé une écoute, ces titres on ne plus suggestifs ne trompent pas sur le caractère mélancolique de Fell, avec ces mini symphonies pop joliment embuées par une pluie fine. Le velours que John Cunnigham a construit autour de sa voix docile, est brodé autour d’un melottron, violons, arpèges folk, piano et autres sections de cuivres délicates…. D’une foisonnance telle qu’on replonge dans ses pop songs ad vitam eternam, en découvrant à chaque fois un détail qui nous avait échappé, un choeur, des arrangements discrets : « For The Love oF Money », saupoudré de cordes gracieuses, des effluves de Bottleneck chaleureux sur l’avalanche « Frozen in Time », majestueux pont baroque reliant le premier album de Cardinal et le Smile de Brian Wilson. Sur « I Can Fly » la voix de l’Anglais évoque étrangement celle du Tom Petty de Wildflowers (en référence à son « Learning to Fly » ?). Plus aventureux, le semi instrumental « We Get So We Don’t Know », qui culmine à près de sept minutes, s’offre une parenthèse répétitive sur les rails de Steve Reich… On n’en demandait pas tant, mais le voyage vaut le détour.
Si vous n’avez pas de climatisation cet été, Frozen in Time se pose comme une alternative salutaire, un délicat flocon de neige pour les coeurs déshydratés.
Tracklisting : Fell
- Let go of those dreams
- Often a ghost
- We get so we don’t know
- Something about the rain
- I can fly
- For the love of money
- Frozen in time
- What have you done ?
- While they talk of life
- Flowers will grow on this