Un voile noir et opaque s’est abattu sur l’univers personnel de Nick Cave. Au fond de cet abîme se fait visible une petite lumière, d’où remonte contre toute attente, une musique magnifique et paisible.


Car Nick Cave est aujourd’hui orphelin de son fils, décédé accidentellement en chutant d’une falaise, pendant l’enregistrement de Skeleton Tree. La confection de ce 16ème album a donc pris, on le présume, une toute autre tournure. En tout cas on le ressent.

La parution d’un nouvel album de l’Australien, a toujours été un événement musical attendu, quelles que soient les circonstances. A ce titre, un éminent journaliste musical dans une émission radio, répondait à la question  – Qu’a-t-on perdu depuis les années 2000 ? : ‘’Dans la musique – la frustration, le désir et l’attente ‘’. Il étayait son propos en prenant l’exemple de Nick Cave. Les temps ont effectivement changé. Malgré la possibilité d’acheter à toute heure, à tout endroit, ‘avant’ ou après la parution officielle d’un disque, une suite de fichiers MP3, on s’excite encore sur l’annonce de certaines sorties. Nick Cave en fait bien évidemment partie.

Entouré et épaulé par ces musiciens habituels, son travail sur Skeleton Tree est d’une cohérence musicale et d’une unité totale. Disque conceptuel ; son hermétisme et sa beauté sépulcrale nous attirent et nous enlacent… pour ne plus nous quitter. Sa marque mélancolique, froide, dure et intense, trace durablement sa voie en notre fort intérieur. Étouffant et déstabilisant de prime abord, Skeleton Tree se révèle très rapidement splendide et réaliste.

La connexion du groupe avec Nick Cave est totale. Ces musiciens – Martyn Casey (basse), Thomas Wydler (batterie) et son alter ego Warren Ellis, la rende effective, et propice à toutes les émotions et les sentiments.

La tonalité générale prend un chemin proche du recueillement. Les mots eux expriment une réalité. Le cinématographique ‘’Jesus Alone’’ écrit avant la mort de son fils Arthur, est dans l’analyse de texte étrangement prophétique. Le synthé siffle et claque comme un vent sévère s’abattant et balayant un paysage hostile. Un bourdonnement inamical en fond sonore rend toute vie inappropriée. Pourtant, rien ni personne, n’empêche Nick Cave d’insister :

 « – With my voice, I am calling you »

Sur le suivant – ‘’Ring of Saturn’’ – on respire ; une remontée à la surface salutaire, après un déjà malaisé stationnement en profondeur. Le palier de décompression est rendu possible grâce à un gentil clavier. Le phrasé de Nick Cave est plus assuré et dynamique. Ce titre nous fait un peu penser au travail de David Tibet et son Current 93 – avec qui Nick Cave a d’ailleurs collaboré – période Islands.

Le désenchanté et intime ‘’Girl In Amber’’ touche sa cible. Un piano et des cordes accompagnés par quelques cœurs féminins définissent une bande son d’un film à la drama magnifique mais poignante. Déjà persiste après ces 3 premiers morceaux une forte émotion. Sur ‘’Magneto’’ Nick Cave enfonce le clou, et exprime simplement ses sentiments. Un phrasé mis en avant sur quelques notes de piano et d’électronique. Et le mot ‘love’ répété à l’infini et sous toutes ses déclinaisons.

Skeleton Tree semble trouver sa voie au-delà du réel. Dans cette entre deux, cet aparté, tout y est douceur mais aussi inquiétude. Le poignant ‘’I Need You’’ aurait pu être déplacé. Il ne le sera pas. La rythmique de la batterie bat comme un cœur au ralenti. Le chant de Nick Cave est enflammé mais comme un feu intérieur qui contient sa chaleur.

L’émotion est palpable et à son pinacle sur ‘’Distant Sky’’. Magique et magnétique, on écoute religieusement cette complainte, intimiste et mélancolique et en duo, murmurée d’une voie douce et posée, par la soprano Else Torp. Cette chanson aurait pu trouver sa place dans les années 80 au sein du projet d’Ivo Watts Russell – This Mortal Coil – de la maison de disques anglaise 4AD.

Au bord du vertige, on laissera la conclusion à Hank Williams :

    « – The silence of a falling star
– Lights up a purple sky
– And as I wonder where you are
-I’m so lonesome I could cry »


En parallèle au vinyl et CD – One More Time With Feeling, le film de Andrew Dominik sur la fabrication de Skeleton Tree, sera de nouveau projeté dans les salles de cinéma du monde entier à partir du 1er décembre 2016.

 

http://www.nickcave.com/

Bad Seed Ltd / Kobalt

Tracklisting : Skeleton Tree

  1.  Jesus Alone
  2. Rings of Saturn
  3. Girl in Amber
  4. Magneto
  5. Anthrocene
  6. I Need You
  7. Distant Sky
  8. Skeleton Tree