Place à d’obscurs novateurs, les canadiens de Syrinx, qui début des années 70 expérimentèrent le synthétiseur Moog, en l’associant finement au saxophone électrique et aux instruments à percussions.


Cette musique électronique instrumentale était en avance sur son époque. Elle est aujourd’hui bien souvent attachante, parfois étrange, en tous les cas fréquemment poétique. Elle emprunte à l’avant-garde, à la musique progressive, à l’ambient et au psychédélisme. Elle s’affranchit totalement des guitares et s’étire sur de longues plages instrumentales addictives. Pionniers du synthétiseur Moog au Canada, Syrinx vécu le temps de deux 33 tours, aujourd’hui regroupés et agrémentés d’inédits, pour une sortie en grande pompe en version 3LP et 2CD.

 

L’histoire débute avec le claviériste John Mills-Cockell. Fraîchement diplômé du royal conservatoire de music de Toronto, adepte du DIY, John Mills-Cockell s’est d’abord formé à cette école dans son université. Il y construira sa réputation, et recueillera ici et là quelques récompenses, grâce à des fragments de pièces électroniques couchés sur cassette. Les choses plus sérieuses débutent en 1968. Accompagné d’un poète et d’un architecte, il fonde le projet révolutionnaire d’avant-garde électronique INTERSYSTEMS. Via cette entité, ils expérimenteront librement les sons et les substances, pour laisser à la postérité toute relative, une discographie de trois 33 tours.

Un aller et retour Toronto Vancouver offre à Mills-Cockell de nouvelles perspectives. Dorénavant épaulé du saxophoniste Doug Pringle et du percussionniste Alan Wells, il revient aussi avec dans ses bagages, un synthétiseur Moog. Un dynamisme et une motivation s’installent très vite entre les musiciens. Ils ne comptent pas les heures et répètent et se produisent le soir dans un petit restaurant – Meat and Potatoes – à quelques encablures du campus de l’université de Toronto. Si l’on y mange bien et pour pas cher, c’est aussi un lieu de villégiature pour musiciens de jazz motivés.

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Un manuel de mythologie grec entre les mains, sur le toit de l’immeuble du saxophoniste, ils optent pour le nom de Syrinx, en référence entre autres, à Claude Debussy, au dieu Pan et à la nymphe Syrinx, au corridor reliant l’extérieur d’une pyramide à la chambre la plus lointaine et secrète ou à l’organe vocale des oiseaux.

‘Syrinx’ leur premier album éponyme, se démarque d’emblée des sorties de l’époque. Cette poésie électronique minimale est humble et chaleureuse. Les harmonies se construisent autour du synthétiseur enveloppé d’un apparat de percussions, d’orgue et de saxophone. Les compositions ont un grain popisant, voir world, elles sont surtout pavées d’émotions et de mélancolie, loin des dérives de la musique progressive et futuriste de l’époque. La base est la même, mais le précipité diffère. Quelques saturations et dissonances du synthé se font entendre, d’étranges sonorités de saxophone s’intercalent, mais tout semble couler de source comme une longue et tranquille procession musicale. Les longues pièces qui jalonnent cet opus ne sont jamais lassantes : le mélancolique ‘’Chant For Your Dragon King ‘’, ou l’extravagant ‘’Appalosa-Pegasus’’ et son synthé joueur – exercent un fort pouvoir d’attraction. ‘’Melina’s torch’’ sonne comme du Tuxedomoon bien avant l’heure. Cette musique de chambre, souvent  à l’étroit, s’échappe régulièrement vers les grands espaces.

Pour étoffer leur démarche et enchaîner, les musiciens se mettent en quatre. Doug Pringle customise son saxophone électrique. Pour doper électroniquement le son et les ambiances, il y soude des micros sur mesure routés vers des processeurs de signaux ! Le percussionniste Wells n’est pas en reste, il développe de son côté un son plus métallique et introduit les cymbales. On sent les musiciens rivés sur la recherche de sonorités.

Mais jamais ils ne s’enliseront dans ‘’l’expérimentite’’ aigue et abscons. En apparence simple, mais structurée tout en laissant une impression de profondeur, leurs mélodies rêveuses sont riches d’effets cohérents. Ils participent d’ailleurs à l’illustration sonore de quelques spectacles de danses et  de ballets – et sont aussi conviés, au générique d’un documentaire culturel – Here Comes The Seventies –  pour la chaine de télévision CTV. Le morceau ‘’Tillicum’’ extrait de ce doc sera le déclencheur d’un succès tout relatif. Quelques portes s’entrouvrent. Celle de Miles Davis, alors en plein dans sa période électrique pour sa tournée Bitches Brew, ou celle de Ravi Shankar.

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Pour capitaliser ce succès tout relatif, ils débutent l’enregistrement de leur deuxième effort Long Lost Relatives. Un incendie dans leur modeste studio – Magik Track – vient briser leurs élans. Les masters de leurs enregistrements sont détruits ainsi que tous leurs instruments. L’increvable Moog Mark II Modular ne survivra pas ! La formation est rapidement relancée grâce à un concert de charité et divers soutiens. Leur premier achat sera de remplacer le défunt Moog. Acheté à New York, le même jour que Peter Townsend, son remplaçant sera un Arp 2500.

Ce second disque est encore plus inclassable que son précédent, car plus exalté, avec d’avantages d’effets et une présence accrue du saxophone dans un traitement bien singulier. Il contient aussi leur mini hit ‘’Tillicum’’ et la romanesque pièce ‘’December Angel’’. Symphonique et mélancolique on s’imagine pendant 9mn en pleine nature Canadienne avec comme seule perspective d’immenses forets et l’horizon neigeux.

 

Le CD2 ‘’Long Lost Relics’’ compile la suite ’Stringspace live’ crée par le compositeur Milton Barnes ou John Mills-Cockell est accompagné par l’orchestre du Toronto Repertory conduit par Barnes lui-même. Des démos et des versions alternatives inédites de plusieurs de leurs compositions sont ajoutées. Prime à la version démo de ‘’December Angel’’ encore plus touchante ou à la version longue et azimutée de ‘’Melina’s Torch [solo]’’. Le groupe splitte en 1972. Mills-Cockell s’en va travailler pour la télévision en Angleterre. Alan Wells est décédé en 2010.

Restera cette musique mystérieusement attractive, lyrique et séduisante. Une vraie découverte. Un paysage instrumental inclassable à faible budget mais rempli d’émotions.

 

De nombreuses informations sont extraites du livret très documenté de Nick Storring présent dans cette réédition.

RVNG Intl 

Site officiel :  http://igetrvng.com/

Tracklisting :

CD1

  1. Tumblers To The Vault
  2. Syren
  3. December Angel
  4. Ibistix
  5. Field Hymn (Epilogue)
  6. Tillicum
  7. Better Deaf And Dumb From The First
  8. Aurora Spinray
  9. Melina’s Torch
  10. Journey Tree
  11. Field Hymn
  12. Chant For Your Dragon King
  13. Hollywood Dream Trip
  14. Father Of Light
  15. Appaloosa – Pegasus

CD2

  1. Tillicum (Single Mix)
  2. Melina’s Torch (Solo)
  3. Better Deaf And Dumb From The First (Alternate / Vocal)
  4. December Angel (Demo)
  5. Stringspace Live – Syren
  6. Stringspace Live – December Angel
  7. Stringspace Live – Ibistix
  8. Stringspace Live – Field Hymn (Epilogue)