Au sein d’une offre de plus en plus pléthorique et axée sur la surenchère, le festival de Rock Indé Nimois se taille une place de choix en conservant ses fondamentaux : un événement à taille humaine, et surtout, une programmation pointue et sans concession.


 

Il fait chaud en ce mois de Juin dans la banlieue proche de Nîmes, sur le site de Paloma, nouveau fer de lance musical d’une ville qui, de taille moyenne, possédait déjà un site remarquable pour tout amateur de musique Live : Les Arênes de Nimes. Le festival This Is Not a Love Song (TINALS) est donc articulé autour de ces 2 scènes intérieures récentes ouvertes en 2012 et dotées d’une acoustique ultra moderne, de plusieurs studios d’enregistrements et d’une résidence d’artiste. Il est « complété » par trois scènes extérieures, sur lesquelles se produiront une partie des artistes considérés comme cultes sur la scène indé internationale, et de plus jeunes en devenir que les équipes du festival ont su dénicher au nez et à la barbe de tous les experts qui croyaient tout connaitre. Et cette année encore, à la vision de la liste des artistes présents, il y avait de quoi faire saliver les sus-cités.

C’est avec deux jeunes « Girls Group » que les hostilités débutent ce vendredi : les Yassasin, emballent la grande scène avec un look punk, des références musicales parfaites (Kim Deal) et un ton enjoué communicatif. Le public se masse devant elles progressivement pour dodeliner gentiment de la tête, quittant ainsi le concert des Goat Girls qui se déroule un peu plus loin, et dont l’ennui semble avoir atteint les membres du groupe elles-mêmes. Dommage, musicalement au point, elles ne parviennent pas à mettre la moindre dose de panache à un set qui s’éternise.

Posée au-devant d’un cadre bucolique, c’est à la scène Mosquito de faire cracher les enceintes, et celles-ci ne le feront que modérément : Andy Shauf, multi-instrumentiste folk avec un vrai look Hippie malgré son passé de Punk, séduit avec un set pastoral avant que la chaleur étouffante n’anesthésie quelque peu l’auditoire. Peu importe, car dans la grande salle de Paloma, les Coathangers se chargent de réanimer tout ce beau monde avec un show explosif à base d’énergie Punk sur riffs lourd jouant sur l’alternance des chanteuses (voix rauque/ voix claire). Le trio féminin entre même en rotation sur les instruments sur la seconde partie du concert. Le public adore, le climax est atteint sur les ultimes accords : Ce sera la révélation du jour.

C’est donc avec un sourire béat et les aisselles humides que l’on se dirige vers la grande scène extérieure pour assister au concert des Growlers, qui seraient un pendant Psych-Goth des mélodieux Allah-Las. Grimés en Révolutionnaires Castristes avec des uniformes brodés à leurs noms, ces éternels espoirs de la nouvelle scène Californienne manquent quelques peu de charisme, mais sont fort heureusement portés par la voix singulière de Brooks Nielsen et une instrumentalisation efficace pour promouvoir le tournant funk pris par le groupe sur son dernier album. Sur la scène d’à côté, Alex Cameron déçoit quelque peu, ne parvenant pas à reproduire l’ambiance synthétique du très beau Jumping The Shark , sorti en 2014 dans l’indifférence générale avant d’être récupéré par Jonathan Rado (Foxygen) et de connaitre un certain succès. Le set est plaisant, mais les attentes étaient peut être trop grandes.

Copyright photos : BORIS ALLIN

Copyright photos : BORIS ALLIN

Croisé en backstage, Ian Svenonius n’a pas été épargné par le temps. Il envoie pourtant un set électrisant à la tête de The Make-Up, groupe culte de Post Punk des années 90. Quasi édenté, il n’hésite plus à se jeter dans la foule, et se trémousse comme personne. Tignasse recolorée noire et costume cintré rouge. La classe improbable.

Un petit tour s’impose vers la Love Room, espace Karaoké géant avec boules à facettes et Stroboscopes. Kitsch, certes, mais comment résister à scander les paroles de « Wonderwall » dans ces conditions ? De son côté, Shame termine un set nous rappelant au bon souvenir de Parquet Courts l’an dernier, et la masse se dirige vers la grande scène pour accueillir les stars du jour : Moderat. Fidèle à sa réputation, le trio Berlinois agrémente un set minimaliste mais riche en basses (n’espérez pas filmer le concert..) par des vidéos et des éclairages aux designs soignés. Généreux, leurs titres les plus populaires sont étirés, pour le plus grand plaisir d’un public qui part se coucher la mine joyeuse, et les oreilles qui grésillent.

 

The Make-Up dans la grande salle Paloma.

Copyright photos : BORIS ALLIN

 

Le programme du samedi est riche, et un groupe que l’on n’attendait pas nous surprend : Clan Edison, groupe Nîmois reformé pour l’occasion, parvient à masser le public à ses pieds malgré un soleil de plomb. Un rock sombre, rugueux, avec des accents Noir Désir qui nous laissent sous le charme avant d’attaquer, peut-être un peu trop tôt Echo & The Bunnymen : Bien que Ian McCulloch soit très en voix, le charme de ce groupe mythique New Wave opère peu en plein caniard. C’est donc l’occasion d’aller constater si Jack White a toujours bon goût : il a en effet adoubé les (très) jeunes (15 et 17 ans !) Archie & The Bunkers, fratrie précoce de Cleveland sévissant seulement avec une batterie et un orgue. Fougue et endurance sont leurs maîtres mots, et malgré des problèmes de son au démarrage et une clim’ un peu forte, il est devenue vite nécessaire de se réhydrater à la fin du show. Absolument pas cérébral. On adore.

Jake Bugg entame son prêche avec sa voix si particulière qui ensorcelle l’assistance. Les tubes défilent, et l’on se demande encore comment fait ce gamin pour nous amener si loin sur les routes américaines avec cet accent so Bristish. Hidden Charms et son Blues Rock rappelant les premiers Black Keys fait office d’intermède de qualité avant l’entrée en scène de Primal Scream, qui aura livré un show Stonien à un public de connaisseurs.

Mais, seconde surprise du jour, c’est sur la plus petite scène du festival, le Patio, que l’animation est à son comble : Johnny Mafia livre son deuxième concert du festival, et la sécurité est appelée en urgence pour sécuriser la scène. Entre les pintes et la sueur, il y a pas mal de liquide qui vole, et les intermèdes du chanteur sont des plus truculentes : « on vient de l’Yonne, le pays des… violeurs ». Ouvertement inspiré des Ramones, et avec un mauvais goût des plus appréciables, on leur souhaite tout le bonheur du monde.

Enfin, arrive la claque du week end. Certains les attendaient, ils ont certainement dépassé leurs espérances : HMLTD plonge le festival dans une ambiance Lynchéenne, avec en leader un Ziggy Stardust ressuscité, arborant une coupe mulet turquoise et dopé à la MDMA ainsi qu’au poppers. Les titres diffusés sur internet s’enchaînent, avec toujours ce tique verbal (une aspiration au moment de commencer ses phrases) à la fois insupportable et addictif. Grotesques, fins et malsains. Passé cette messe électrique, les plus valeureux peuvent se jeter dans l’arène, prêts au combat : Thee Oh Sees vient de finir la balance, et c’est un véritable nuage de poussière qui s’élève au milieu de la fosse. Le bruit des corps se percutants épaules contre épaules devant sa majesté John Dwyer est largement noyé dans le déluge de feu envoyé par sa SG portée haut, et le martèlement frénétique des deux batteurs. Passé cette heure de sauvagerie jubilatoire, le gladiateur du samedi peut rentrer se coucher, repu.

Copyright photos : YOANN GIALOTTO

Sans surprise, c’est avec un léger mal de crane que la journée finale du dimanche débute avec deux formations distillant une pop enivrante : rêveuse pour Oceanic Memory, très mature pour son jeune âge, et lumineuse pour Whitney, dont les mélodies à s’effondrer interrogent sur la lente médiatisation de ce groupe qui a tout pour faire chavirer les cœurs. De son côté, bien qu’il annonce rapidement une « chanson d’amour »,  Frank Carter a un tout autre dessein en tête : évacuer sa rage, et martyriser son micro. Avec son look de hooligan idéal, il aurait fait un parfait boxeur à main nues dans le film Snatch. Beaucoup d’énergie, des séjours fréquents dans le public, qu’il a fait s’assoir, puis levé, puis a lancé un Circle Pit autour des ingénieurs du son… Slaves tentera de surfer sur cette dynamique un peu plus tard, mais malgré leur débauche d’énergie, il faut reconnaître que la sauvagerie du duo du Kent sur album passe moyennement l’épreuve de la scène.

Débarque ensuite un véritable ovni sonore : KOKOKO! est la rencontre d’artistes congolais adeptes d’un DIY extrême (batterie jouée sur des bouteilles en plastique, une machine à écrire pour les beats) associé à des sonorités électroniques. Tout de jaune vêtus, ils interloquent puis emballent, notamment un danseur de Capoeira dans la foule qui ne s’arrêtera de gesticuler qu’à la dernière note jouée.

Frank Carte & the Rattlesnakes

Copyright photos : YOANN GIALOTTO

Alors que Mofo Party a du mal à décoller, la sympathique Laura Sauvage demande si quelqu’un a de l’herbe car elle est à court pour le concert de King Gizzard. Mais l’heure est encore à d’autres australiens : la foule se masse dans la grande salle dans l’idée de rentrer en orbite à l’aide du propulseur Pond. « 30000 Megatons » est une douce entrée en matière, « Elvis’ Flaming Star » un envol. Le show est magnétique, et très riche en sons. Peut-être auraient-ils mérité pour cette raison de jouer en extérieur, sans limites à leur grandiloquence. C’est ce dont ont bénéficié les Black Angels, qui entament directement avec leur nouvel album pour une heure de rock hypnotique. C’est clair, c’est beau, c’est… ultra psyché.

Teenage Fanclub fait le métier, en vieux routiers pop avec des titres bien huilés, Royal Trux envoie un set positivement chaotique avec un show embrumé. Mais si en ce dimanche soir le public est toujours là en masse sur le site de Paloma, c’est bien pour la sensation venue de Melbourne : King Gizzard & The Lizard Wizard. Investissant la scène à sept membres dont deux batteurs, l’introductive « Rattlesnakes » plonge l’auditoire dans une spirale presque infinie où les sons et les titres sont brassés dans un grand mix poussant à la trans. On songe à Jim Morrison dans le désert de la mort, mais c’est bien dans le Bush Australiens gorgé de serpents à sonnette que le psychédélisme s’est réincarné, ces dernières années. A Nîmes, ce soir-là, quelques rares fleurs encore dans les cheveux, les fidèles ont assisté à un ultime rituel chamanique : les lumières se sont rallumées, les « Portes » se sont ouvertes.

 

A voir en ligne,  les concerts du festival captés par Culturebox : Jake Bugg,The Growlers, Johnny Mafia, Thee Oh Sees, Slaves, Yassasin, Frank Carter & The Rattlesnakes et The Black Angels.

https://thisisnotalovesong.fr/