Haley Fohr et sa formation court-circuite l’émotion sur un habité cinquième LP.


La musique est un miroir de l’âme. Mise à nue, celle de l’artiste Haley Fohr est traversée de noirceur et de beauté. L’écoute de sa dernière et 5ème production – Reaching For Indigo – sous l’entité Circuit des Yeux, nous immerge dans un monde étrange, à la lisière d’un rêve sauvage et irréel. L’expérience est crépusculaire, prenante et par instant déstabilisante, mais on ne résiste pas au charme ensorcelant de son interprète et de ses morceaux. L’esprit et le corps d’Haley Fohr sont tout investis dans ce projet, Haley s’y exprime intensément tous les sens en éveil. Sa tessiture de voix est profonde et si caractéristique (elle s’étend parait-il sur quatre octaves) ; elle marque en tout cas les esprits. L’étreinte est intense.

Sa musique peut être fiévreuse et dans l’instant d’après mélancolique voire certaine fois marquée du sceau de la folie, mais la relation qu’elle tisse est toujours de l’ordre de l’intime. Reaching For Indigo évolue sur un terrain dur et fragile. Son alliage musical n’est pas commun ; l’interprète et compositrice originaire de l’Indiana (État du Midwest des États-Unis) mais depuis 2012 basée à Chicago, mélange passionnément les genres – son assemblage de folk, d’électronique, d’avant-garde, de post rock et de gothique est juste convaincant. L’association peut néanmoins effrayer. À tort !

Depuis ses dix-huit ans Haley Fohr est immergée dans la musique. Circuit des Yeux est un de ses projets : son appellation est idoine ; très suggestif ces 3 mots collent merveilleusement à sa musique. Ses premiers enregistrements recherchaient la simplicité et la spontanéité  des productions lo-fi mais flirtaient aussi avec la noise et l’expérimentale. Glenn Branca, Lee Ranaldo, Bill Orcutt, Bitchin Bajas & Bonny ‘Prince’ Billy et Olivia Block ont déjà collaboré par le passé avec Haley. Jackie Lynn était son dernier avatar connu.

Reaching For Indigo est son espace vital du moment. Fohr nous tend tendrement la clef : “Brainshift” est la première pièce de son puzzle ; on y découvre son monde. La spectrale harmonie de cette première mélodie s’appuie sur une orchestration minimaliste, l’orgue et le synthétiseur sont distants, mais la lumière est belle et mélancolique, la voix de Fohr est déjà magique. Ce premier titre déverrouille un premier niveau de conscience. Nous voilà déjà bien engagés dans ce labyrinthe des émotions. Recroquevillée dans un sombre recoin la 2ème mélodie “Black Fly” attend son heure. Un duel déséquilibré – entre la voix prenante de Fohr s’écrêtant alternativement dans les graves ou les aigus et un fond de guitare acoustique aventureuse – emporte ce morceau vers des territoires magnifiques. Le morceau suit ensuite un long chemin instrumental hypnotique et de toute beauté.

“Philo” – son suivant – est le plus personnel de l’album, il est censé d’écrire un changement profond dans la situation personnelle de la musicienne. “Philo” est son nouveau moi ! (dans la théorie de l’inconscient cher à Freud). Mais toujours selon les mots du philosophe  – « le moi détrône le principe de plaisir… » ! Voilà donc un morceau à l’écoute difficile ? On tangue à l’écoute de ce vertige intimiste et primitif. La notion de plaisir reste donc subjective !

Fohr a lâché du lest pour cette production, la démarche DIY est désormais reléguée aux oubliettes, sa musique est même luxuriante elle est en tout cas enjolivée par divers instruments exotiques tels la mandoline, l’autoharp, …). Le musicien Cooper Crain (Bitchin Bajas) s’est aussi très impliqué, il a également co-produit l’album. Mais Reaching For Indigo reste une œuvre très personnelle hantée par la forte personnalité de son interprète de laquelle émane beaucoup de spiritualité. Dans ce ressac d’émotions  “Paper Bag” est un nouvel aparté musical incontournable qui débute par une cascade d’effets : précisément un double jeu sur la voix et les claviers qui rythment frénétiquement ces premiers  instants un peu fou, une nette brisure dans le tempo introduit ensuite des guitares et une batterie rustique et psychédélique, Fohr en profite alors pour exposer l’étendue des possibles de son chant, puis le morceau dans les derniers instants de sa trop courte vie prend de l’ampleur et une nouvelle épaisseur. Haley Fohr transmet beaucoup d’émotions. D’elle à nous, et de nous à elle, la communication est forte. Mais Haley sait aussi réécrire l’histoire : “A Story of This World Part II” est le morceau le plus exalté, le chant hystérique de Fohr s’ajoute au tempo saturé et psychédélique de l’instrumentation, un titre où il n’y ait question que de musiques et d’incantations. Le dernier titre “Falling Blonde” résonne lui d’une candeur gothique et exhale une ambiance de fin de règne, on y visualise la chute d’un empire. Celui de la musicienne Haley Fohr est à son apogée et on n’en doute pas, amené à se perpétuer.

Drag City/ Modulor – 2017

https://www.facebook.com/CircuitdesYeux/

https://circuitdesyeux.bandcamp.com/album/reaching-for-indigo

 

Tracklist :

  1.  Brainshift
  2. Black Fly
  3. Philo
  4. Paper Bag
  5. A Story of This World Part II
  6. Call Sign E8
  7. Geyser
  8. Falling Blonde