Rencontre avec le quintet post-punk de Brixton, qui vient de dégainer un brûlant premier album sur le label Dead Oceans.


Ils sont cinq, nés sous le soleil de Brixton, comme le chantaient si bien les Clash. Ils ont vingt-ans de moyenne, certains ont encore l’allure de gamins. Mais ensemble sur scène, c’est un tout autre visage qu’ils montrent, polarisant une présence écrasante et de belles poussées de fièvre électriques pas ressenties depuis… le début des années 2000 ? Voilà deux ans que le quintet post-punk britannique écume quasi sans interruption les scènes et festivals d’Europe et d’ailleurs. Songs Of Praise, leur premier album peut faire la fierté de leur label Dead Oceans (Slowdive, Kevin Morby, Ryley Walker…). Leur pedigree : des guitares post-punk acérées façon Wire (mais aussi, osons l’avouer, un p’tit côté U2 pré pubère des débuts), un soupçon d’élégance marquée du seau des Only Ones et des Clash… Et puis surtout, la condition sine qua non, un chanteur tête brûlée (mais tout de même bien sur ses épaules), en la présence de Charlie Steen, nouveau trublion adoré de l’Albion.

En cette froide fin d’après-midi de décembre, le salon où le groupe nous reçoit est le théâtre d’un joyeux petit bordel (boites de sushis éparpillées, étalages en tout genre, odeur froide de cigarettes flottant dans la salle…) excusé par la jeunesse de ces auteurs. Mais ce désordre peut se comprendre, le quintet londonien vient d’y passer la journée à enchaîner les entretiens avec les journalistes. Malgré la fatigue qui se dessine sous leurs paupières, Charlie Steen (vocals),  Josh Finerty (bass) et  Charlie Forbes (drums) restent enthousiastes à parler de leur premier album. Et c’est l’essentiel.

 

Pinkushion : Pour commencer, voulez-vous qu’on s’attarde sur la genèse du groupe ?


Charlie Steen (chanteur, parolier) : Le contexte !

 

Exactement. Vous êtes jeunes, mais le groupe est déjà une vieille histoire entre copains d’écoles.

 

Josh Finerty (bassiste):  On se connaît tous depuis l’âge de dix ans. Le batteur (Charlie Forbes ) et le guitariste se connaissent même depuis qu’ils ont 5 ans.

Charlie Steen : Josh est mon meilleur ami depuis l’âge de huit ans. Le sud de Londres, d’où nous sommes tous originaires, est une petit cercle. Nous venons tous de quartiers aux alentours de Brixton, mais le groupe s’est formé à Brixton précisément. C’était ainsi plus simple d’avoir un point centrale de localisation lorsque nous avons commencé le groupe.

Josh Finerty (bassiste) : C’était l’été, nous avions terminé nos examens du bac, et nous cherchions à tuer le temps. On jouait chacun de la musique dans notre coin, mais personne n’avait encore l’expérience d’avoir participé dans un groupe.

Charlie Steen : Tous les membres étaient musiciens, à l’exception de moi. Nous avions 17 ans et trois mois de vacances devant nous, c’était le meilleur moment pour faire quelque chose de productif. Tout s’est fait naturellement, il n’y a rien de fabriqué de toute pièce par un label ou je ne sais quoi.

Quels étaient vos influences musicales au départ ?

Josh Finerty : Lorsque nous avons commencé le groupe, j’écoutais beaucoup les Stooges. Lors de nos premières répétitions, j’essayais de composer des chansons dans ce style. Pourtant, avant de former le groupe, j’étais à fond dans le hip hop. Ce fut une bonne chose pour moi de revenir à la musique jouée avec des instruments.

Josh Finerty : D’une manière générale, chacun a ses propres goûts. Mais nous avons quelques groupes sur lesquels nous étions tous d’accord, comme les Pixies, les Beatles…

Charlie Steen : Je pense que lorsque nous avons commencé, au tout début, nous avions besoin pour avancer de fondations musicales communes, comme les Beatles, les Rolling Stones, voire même les Damned. Puis on a commencé à écouter pas mal de garage punk, des groupes plus récents comme Eddy Current Suppression Ring. Ces Australiens étaient très impressionnant pour des gamins de 17 ans comme nous. On était vraiment connecté avec leur musique, c’était certainement notre influence proéminente.

Pourtant, à l’écoute de votre premier album, on pense plutôt à des groupes historiques post-punk, qu’au garage punk.

Charlie Steen : Des groupes comme Joy Division, The Sex Pistols ou The Damned s’entendent forcément dans le genre de musique que l’on fait. Même si l’influence est indirecte, elle transparaît aussi forcément chez d’autres groupes que l’on écoute.

Josh Finerty : Eddie (Greene, guitariste) et Charlie sont plutôt branchés sur la musique pop rock indé moderne, mais personnellement, je n’écoutais que des groupes des années 70 et 80. Rejoindre le groupe m’a vraiment aidé à découvrir des groupes post-punk modernes et passionnants comme par exemple Preoccupations. Cela m’a ouvert les yeux sur le fait que des jeunes groupes pouvaient aussi faire de la bonne musique aujourd’hui.

Justement, en parlant de Preoccupations, est-ce du fait que ce dernier est chez le label américain Secretly Canadians que vous avez aussi choisi d’y être signé (ndlr : Dead Oceans est également géré par Secretly Canadian, tout comme Jagjaguwar).

Charlie Steen : Il se trouve effectivement que c’est une des raisons, mais Dead Oceans, Secretly Canadian et Jagjaguwar ont tellement d’autres jeunes artistes revigorants, comme Alex Cameron, Foxygen, Suuns, Kevin Morby… que nous voulions en être.

Tous ces groupes que vous citez sont américains. N’aviez-vous pas peur d’être isolés sur le plan géographique ?

Charlie Steen : Au contraire, c’est justement une des raisons qui nous attirait. Nous sommes effectivement l’un des premiers groupe anglais signé. Mais il ne faut pas oublier non plus Slowdive, également sur Dead Oceans. Pour revenir sur le problème de la distance, nous sommes un groupe qui tournons beaucoup, on adore ça. Nous ne voulons pas nous cantonner seulement à faire des concert et festivals en Angleterre, ni même en Europe. On souhaite également jouer en Amérique. C’est l’étape suivante pour n’importe quel groupe anglais.

Josh Finerty : Nous avons beaucoup réfléchi avant de signer. Et le choix d’un label américain s’est avéré l’option la plus évidente pour nous aider à avoir un pied là-bas.

A ce que je constate, vous y retourner dès février pour une longue tournée de 15 dates à travers les Etats-Unis et le Canada.

Charlie Steen : D’autres dates devraient être ajoutées d’ici là. Nous venons de faire une tournée dans des villes comme New York, Washington D.C, Montréal, Toronto…. Mais cette fois en février nous serons là-bas en tête d’affiche pour la première fois. On a hâte d’y retourner. Le concert à New York fut l’un de nos plus marquants, ce fut un peu comme un nouveau départ pour nous. Aucun de nous n’était jamais allé là-bas, à l’exception de Josh. Ce fut une expérience irréelle. On avait quatre jours devant nous pour profiter de la ville. On a passé notre temps à manger des Bagels (rires). Auparavant, on avait joué à Austin, pour le festival South By Southwest, ce qui était déjà une autre étape. Mais New York, c’est l’équivalent de Londres sous stéroïdes.

Josh Finerty : En fait Brooklyn me rappelle beaucoup l’Est de Londres.

Charlie Steen : Ce qui est assez étrange d’ailleurs, on dirait une sorte de Londres distordu. Je suis personnellement impatient d’aller à Los Angeles. Cette ville a l’air tellement différente de toutes les expériences que j’ai pu faire jusqu’ici.

A l’exception de la musique et de l’humour, avez-vous autres centre d’intérêt que vous partagez ensemble dans le groupe ?

Charlie Forbes (Batterie) : Nous n’avons pas vraiment d’autres intérêts en communs. Quand on est dans un groupe, on s’y consacre totalement. Ou on passe le reste du temps sur spotify à chercher de nouveaux groupes groupes.

Charlie Steen : Le football peut-être. Je ne suis pas très fan, mais les autres membres du groupe le sont. Mais c’est tellement difficile de séparer nos vies quand on passe ses journées ensemble dans un bus.

Charlie Forbes : Il n’y a pas de temps pour partager d’autres centres d’intérets. A moins que le billard ne soit une autre passion cachée du groupe (rires).

Les paroles des chansons, écrites par Charlie Steen, sont remarquables. Personnellement, je trouve que la nouvelle scène rock anglaise se distingue avec de talentueux paroliers, je pense notamment Joe Talbot d’Idles. Les textes de ce dernier sont toutefois plus engagés que les votres.

Charlie Steen : Merci . Les textes engagés ne sont à vrai dire pas mes thèmes de prédilection. Je n’ai écrit qu’une seule chanson de ce style, “Visa Vulture” (ndlr : une chanson à l’encontre à Theresa May, première ministre et cheffe du parti conservateur), que je qualifierai plutôt de direct que politique. Pour le reste, je préfère me concentrer sur le commentaire sociale et “l’indulgence personnelle”, ou sur le narcissisme, si vous préférez.

En tant que parolier, quel est votre sujet de prédilection actuellement ?

J’ai lu pour la première fois Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur, d’Harper Lee à mon retour des Etats-Unis en 2017, un livre très intéressant. Mais d’une manière générale, tous les thèmes liés aux problèmes sociaux m’intéressent, et particulièrement ceux de ma génération : lutter par exemple contre l’homophobie, le sexisme, ou n’importe quelle conception traditionnelle de la masculinité. En fait, je suis intéressé d’apprendre, et d’essayer de comprendre ces choses qui n’ont aucun sens.

Josh Finerty : En tant qu’appartenant à la catégories de mâles blancs, nous faisons partie des gens les plus chanceux sur Terre, et je pense qu’il est intéressant de savoir se mettre à la place de…

Charlie Steen : (coupant net Josh) …ce n’est pas une question de se mettre à la place de… se serait totalement hypocrite. Tout ce que je peux faire c’est spéculer, c’est ma propre façon d’observer et d’essayer de comprendre. C’est un peu comme avoir une conversation avec moi-même. Je n’essaie pas de prétendre tout savoir, j’ai vingt ans, ce serait ridicule. A vrai dire, je me pose infiniment plus de questions, que je ne trouve de réponses.

En résumé, vous ne voulez pas être Bono !

Charlie Steen : Personne ne veux être Bono ! En fait non, beaucoup de gens aimeraient être Bono… en ce qui me concerne, je veux seulement être moi.

Une nouvelle scène rock issue de Brixton a émergé ces dernières années, avec des groupes comme Goat Girl (signé sur Rough Trade) et Sorry (signé sur Domino). Existe-t-il un esprit de communauté entre vous  ?

Charlie Forbes : Un grand esprit de communauté. Nous avons le même âge, on traînait tous dans les même endroits. Certains comme Sorry sont des amis très proches.

Charlie Steen : Nous nous sentons privilégiés d’appartenir à une scène qui compte tant de jeunes bons groupes. Aujourd’hui, nos relations ont beaucoup changé, on a énormémement tourné, chacun a tracé son chemin.  A nos débuts, nous fréquentions tous le même établissement scolaire. Mais du fait des tournées, nous n’avons pas vu certains d’entre eux depuis un moment. Mais nous nous encourageons entre nous, car c’est quelque chose de fondamentalement important.

Josh Finerty : Ce qui fait la particularité de cette scène, ce que tous ces groupes sonnent différemment, chacun à sa propre identité. A l’époque de la scène grunge de Seattle, tous les groupes sonnaient plus ou moins pareils. Dans notre cas, nous sommes amis, nous avons joué quelques concerts ensemble, mais chaque groupe possède sa propre musique.

J’ai lu quelque part que les Palma Violets ont été un fort soutien à vos débuts.

Charlie Steen : C’est vrai. Nous les avons rencontré probablement à l’époque où nous avons formé le groupe. Je suis sorti avec, hum..

Josh Finerty : …la soeur d’Alexander “Chilli” Jesson (ndlr : guitariste et chanteur des Palma Violets) ! (rires des autres membres).

Charlie Steen : … oui… j’étais plus jeune… Il est vrai que Chilli nous a aidé à enregistré nos premières chansons avec leur matériel, gracieusement. C’était l’époque où les Palma Violets enregistraient leur second album. On les croise encore, ils nous donnent toujours des conseils.

Vous semblez être constamment en tournée. Cet été, vous vous êtes produits dans 47 festivals. Comment gérez-vous cette intense activité ?

Charlie Steen : Nous avons fait deux, pardon, trois tournées en 2017, soit au total plus de 150 concerts.  Nous sommes jeunes, on a besoin d’acquérir une certaine expérience. Si il y a un moment où l’on se doit de le faire, c’est bien maintenant.

Josh Finerty : On a toujours été un peu habitué à ce rythme depuis nos débuts. A l’époque, on donnait déjà trois concerts par semaine, des concerts gratuits après l’école, voire même pendant.

Est-ce la raison pour laquelle vous avez tardé à enregistré ce premier album ?

Charlie Steen : On voulait trouver le moment opportun.

Josh Finerty : En partie, et nous avons mis beaucoup de temps pour trouver le producteur avec qui nous voulions travailler. On a rencontré beaucoup de gens qui voulaient capturer l’énergie qui se dégageaient de nos concerts en nous enregistrant live dans une pièce avec les amplis à fond. Mais cela n’a jamais fonctionné, quelque chose se perdait, ça manquait de subtilité, notamment dans les mélodies. Nous avons donc mis du temps à trouver les bonnes personnes, en l’occurrence les producteurs Dan Foat et Nathan Boddy qui ont produit l’album. Nous avons enregistré notre premier single ensemble. Ils ont un passé lié à la musique électronique et une approche très digitale. Cette approche très réglementée nous a aidé, nous sonnions complètement différent de nos concerts. A la fin, nous avons réalisé que c’est ce que nous voulions faire, distinguer les chansons studios de la scène.

Etes-vous des musiciens prolifiques ?

Josh Finerty : Nous l’étions. Nous donnons tellement de concerts maintenan… Je pense que nous sommes meilleurs songwriters que nous ne l’étions avant. Nous sommes à un stade où cela devient plus dur pour nous de trouver le temps. Charlie est un parolier prolifique, tandis que de notre côté, nous composons la musique.

Charlie Steen : Lorsqu’on rentre chez nous et que nous avons quatre jours de repos, on a besoin de respiration. Nous ne sommes pas trop pour le moment dans l’esprit de retourner ensemble dans une pièce. La présence de tous les membres du groupe est nécessaire pour écrire une chanson.

Josh Finerty : Notre écriture prend beaucoup plus de temps, car nous sommes devenus plus précis, méticuleux. Cela nous prend beaucoup plus de temps pour arriver au produit final. Pour notre premier single, nous avions enregistré le morceau après seulement l’avoir répété deux fois. Ce qui était formidable à l’époque, mais nous avons évolué depuis, notre manière de composer a changé.

Vous entretenez une relation particulière avec la France. Les Inrocks ont été parmi les premiers médias à vous repérer. Déjà en 2016, vous étiez programmé au festival Pitchfork. Et Votre première performance télévisée est française.

Charlie Steen : Toutes ces expériences chez vous nous ont indéniablement fait progresser. Nous adorons jouer en France, et nous adorons Paris. Et demain notre concert au point Ephemere sera notre premier en tête d’affiche dans votre pays. J’ai hâte.

Josh Finerty : Beaucoup de parisiens écoutent notre musique. On peut voir les statistiques démographique sur notre compte Spotify.

Vous pouvez voir ça ?

Charlie Steen : Oui, c’est étrange. On peut voir par exemple qu’il y a des gens du Mexique et du Chili qui écoutent nos chansons…

Quel est votre rapport aux réseaux sociaux ?

Charlie Steen : Nous faisons parti d’une génération qui les utilisent quotidiennement, chacun indépendamment du compte du groupe. Malgré tout, ils peuvent évidemment générer pas mal de problèmes… Mais nous avons tellement de temps libre en tournée, c’est toujours tentant de poster des images sur Instagram…

Josh Finerty : J’adore Instagram. Fuck Snapchat ! (rires)

Et pour conclure, vos cinq albums favoris ?

 

Charlie Forbes :
1. Pavement – Slanted and Enchanted
2. The Beatles – Revolver
3. Pixies – Doolittle
4. Parquet Courts – Light Up Gold
5. Eddy Current Suppression Ring – Primary Colours / Beck – Odelay

Josh Finerty :
1. Women – Public Strain
2. Nas -Illmatic
3. Beatles – Rubber Soul
4. Stooges – Funhouse
5. The Fall – Hex Enduction Hour

 

Shame, Song of Praise (Dead Oceans/Pias)
En concert le 17 mai à Bordeaux (Rock School Barbery), le 20 mai à Lille (Aeronef).