Le guitariste chicagoan délaisse ses premières influences folk jazz héritées des années 70 et ose l’incursion vers de nouveaux territoires moins balisés.


Le temps de Primrose Green (2015) premier album marquant pour le label Dead Oceans du jeune virtuose de la six-cordes et songwriter de Chicago Ryley Walker semble déjà bien loin. Il a depuis notablement étoffé son spectre musical et son domaine de compétences. Le chemin emprunté par le troubadour Walker est moins lisible, sa guitare n’est plus aussi jazz-folk, ses mélodies moins formatées osent les ruptures, sa rythmique est plus dense, quelques nouveaux instruments potentiellement incongrus en regard de son univers originel font aussi leurs apparitions (flûte, saxophone, clarinette). Voilà en tout cas un artiste que l’on adore pister. Ryley est présent sur plusieurs fronts : son pré carré où il entretient sa technique très sure et classique d’accords de guitares – gymnastique vitale – qu’il pratique de temps à autres en duo avec le musicien guitariste et improvisateur Bill MacKay lui aussi de Chicago. On conseille l’électrique et captivant Land Of Plenty de 2015. Walker s’est aussi associé pour le meilleur avec un vétéran de la scène jazz rock de Chicago le batteur et compositeur Charles Rumback (Charles Rumback & Ryley Walker – Cannots (2016)).

Derrière des codes bien définis Walker cherche à donner une nouvelle flamme à ses mélodies. Il y a quelques mois il annonçait vouloir sortir de sa routine. Il est aujourd’hui (peut-être) rattrapé par le passé musical novateur de sa ville, par sa culture personnelle (plus sûrement) et par ses coups de cœur (Jim O’Rourke artiste tout particulièrement apprécié est peut être un des catalyseurs de ce désir de changement). A ses débuts il était impossible de lier l’un à l’autre. Aujourd’hui le songwriter américain a concocté ce 4ème opus bien déterminé à produire une œuvre différente. Deafman Glance est sa petite rébellion, sa remise en question ou dans des termes plus musicaux son projet anti-folk. Walker a inoculé dans son schéma musical  une once de révolte expérimentale : il coule dans les entrailles de ces nouvelles mélodies un parfum d’improvisation sorti de la scène post-rock de Chicago. Mais pas seulement… Ryley a aussi déclaré s’être fortement inspiré du rock psychédélique arty bruitiste et pop du guitariste et songwriter Mayo Thompson et de sa formation Red Krayola, signé à l’époque – comme par hasard – par le label Drag City, où officia aussi John McEntire de Tortoise, Jim O’Rourke et David Grubbs de Gastr del Sol. La boucle est bouclée !

Il n’empêche, cet opus a été écrit et enregistré dans les règles de l’art. Ce produit fini reste un album serein et flegmatique, son écoute au global est hyper agréable malgré la production dense et touffue. Il est fort possible malgré tout que certaines oreilles un temps soit peu sensibles puissent butter ou s’accrocher sur quelques séquences assez rêches là où la rythmique s’emballe par exemple.

“Spoil With The Rest” est la splendide conclusion de ce quatrième opus mais c’est aussi un des premiers titres écrit. Walker y est remarquablement inspiré. Les motifs de guitare électrique sont magnifiques, la basse d’Andrew Scott Young et la batterie de Quin Kirchner en totale cohésion emballent le morceau dans une alternance frappante de tempo. Cette fracture dans le rythme sera la marque de fabrique de ce disque. Au moment où la chanson ne le requiert pas forcément le tempo peut s’accélérer sans prévenir dans une première impression un peu rude. Le timbre voix posé, grave et chaleureux de Ryley sera une constante ; en regard de son album précédent Golden Sings That Have Been Sung cette différence dans la tessiture est notable.

L’autre élément récurrent est la présence marquée de la flûte, instrument typé de la musique progressive que Nate Lepine intègre ici de façon idéale. “In Castle Dome” en regorge, l’association avec le synthé miroitant de « Cooper Crain (Bitchin’ Bajas, Cave) » et des guitares électriques de Walker et MacKay réussissent à rendre ce morceau chatoyant, lancinant et contemplatif. Le jumeau et plus dévergondé ‘Telluride Speed” est une autre étape incontournable ; le joueur de flûte nous charme de nouveau, le climat musical est longtemps crépusculaire puis une brisure dans la rythmique via un riff de guitares dynamiques achèvent le morceau dans un long solo. ‘Telluride Speed” est très complexe.

“22 Days” suit presque la même logique mais à un chouia près, son mode opératoire est plus nonchalant et bucolique. Les embardées rythmiques sont également plus relâchées. “Accommodations” et “Can’t Ask Why” sont les plus expérimentaux de la série. Un vrai travail productif et convainquant des musiciens dans le choix des atmosphères et de l’utilisation de chaque instruments. L’évolution musicale de Ryley Walker est ici très palpable. Des réminiscences de son passé de six-cordiste de l’American Primitivism sont quand même entrevues mais l’espace du court instrumental “Rocks On Rainbow”. La conclusion est sans appel : Ryley n’a pas perdu la main. Enfin, l’enlevé “Opposite Middle” pile au milieu de ce disque est dans le style à l’opposé des autres ; c’est le plus pop et entrainant.

Deafman Glance 4ème opus de l’intouchable Ryley Walker est à l’opposé d’une déception.

Dead Oceans / 2018

https://www.ryleywalker.com/

https://ryleywalker.bandcamp.com/

Tracklisting :

  1. In Castle Dome
  2. 22 Days
  3. Accommodations
  4. Can’t Ask Why
  5. Opposite Middle
  6. Telluride Speed
  7. Expired
  8. Rocks On Rainbow
  9. Spoil With The Rest