Nouvelle incarnation sous sa propre identité du génie tourmentée de Youth Lagoon. Une electro/avant-pop ambitieuse et vertigineuse.


Pour qui prête sensiblement de l’intérêt à la musique de Youth Lagoon, le nom de son géniteur Trevor Powers doit être désormais définitivement assimilé. Après une trilogie qui a grandement régénérée la dream pop psychédélique contemporaine (à commencer par son chef-d’oeuvre, The Year of Hibernation en 2011, jalon pop onirique de ce début de décennie), le multi-instrumentiste californien a sabordé son projet solo en 2015, pour renaître aujourd’hui sous son propre nom. Youth Dragoon n’est donc plus. Une réinitialisation artistique qui ne manque pas d’audace et de désir d’authenticité, sans doute motivée par l’exploration de nouveaux horizons sonores.

Une question pourtant demeure : pourquoi changer de patronyme alors que Youth Lagoon était déjà le projet d’une seule et unique personne ? Mulberry Violence présente une réponse on ne peut plus claire de la part de Trevor Powers. Le natif d’Idaho s’est durant deux ans, ingénié à reconstituer une nouvelle banque de sons (en expérimentant notamment à partir d’oeuvres de Francis Bacon, Sister Gertrude Morgan et Harry Clarke). Débarrassé de son ancien écrin pop de chambre/psychédélique, ce premier album est une immersion dans une avant-pop electro, voire noise par moments. Rassurons-nous, il subsiste toutefois de son ex enveloppe lagunaire quelques éclairs pop mélo-mélancoliques, et puis surtout la voix affectée et enfantine de Trevor Powers en guise de conducteur.

“XTQ Idol”, ouverture du disque d’une durée de près de 6 minutes, donne le sentiment de ricocher virtuosement sur une multitudes de pistes différentes, nappées de textures synthétiques criardes auquel une boîte à rythme indus/R’N’B lutte pour s’y greffer (l’album a été mixé par Stuart White, connu pour son travail avec Beyoncé). L’ensemble, très dense, peut rebuter à la première écoute, et pourtant, il surgit de ce Blob sonique (un drôle de saxo mou sur “Clad In Skin”) de pures instants de délicatesse : des cordes de violons gracieux sur le grandiose finale “Common Hoax”, un koto méditatif sur « Playwright »…. Mulberry Violence cultive une désorientation permanente, entre traitement sonore abstrait et instants émotionnels furtifs mais terrassants – “Ache”, et ses cordes tournoyantes et diaboliques hachées au filtre Aphex Twin, ou encore “Film it All” et son refrain pop étrange, boiteux en apparence.

Toile sonore tentaculaire, Mulberry Violence n’est pas sans rappeler la parenthèse solo de Thom Yorke Atoms for Peace, dans une version spéléologique, entre profondeur vers l’inconnue et éclats de stalactites ondoyants. Une plongée dans les abysses tordues de l’esprit de Trevor Powers, fascinante. Un disque guère facile d’approche, mais qui mérite persévérance.

Trevor Powers en concert à Paris le 31 Octobre dans le cadre du festival Pitchfork Avant Garde

Baby Halo / Differ-Ant – 2018

bandcamp

trevorpowe.rs.

Tracklisting :

  1. XTQ Idol 05:44
  2. Dicegame 04:42
  3. Pretend It’s Confetti 01:23
  4. Clad In Skin 03:04
  5. Playwright 04:03
  6. Film It All 03:45
  7. Squelch 03:30
  8. Ache 03:10
  9. Plaster Saint 03:11
  10. Common Hoax 04:11