L”album posthume du songwriter, multi-instrumentiste et producteur américain, ne fait qu’amplifier nos regrets sur la perte d’un talent hors-norme.



Le 3 juillet 2018 restera pour nous de bien triste mémoire, jour de la disparition du musicien Richard Swift, à seulement 41 ans. Une très lourde perte pour la musique actuelle, touchant bien au-delà de la sphère indie-pop américaine, tant le nom de ce touche-à-tout génial (le terme n’est pas usurpé) figure sur bon nombre de crédits de nos disques de chevet parus ces dernières années : ceux de Damien Jurado en tête, mais aussi les Shins, Kevin Morby, Sharon Van Etten, Valerie June, Hamilton Leithauser, Tahiti 80… Au total, durant sa courte carrière, Richard Swift aura apposé sa signature de multi instrumentiste et de producteur – voire les deux – sur une soixantaine d’albums. Sans compter les longues tournées où il épaula sur scène les Black Keys et The Shins…

Le prodigieux autodidacte, né en Californie en 1977, est révélé en 2005 par le label indépendant américain Secretly Canadian (Jason Molina, Okkervil River…) , label dont il restera indéfectiblement fidèle. Son premier album publié, le superbe doublé The Novelist / Walking Without Effort (2005) rassemble un florilège de ses compositions enregistrées sur huit-pistes, scindées en une partie songwriting classique, une autre plus expérimentale. Et déjà, malgré le peu de moyens alors mis à disposition, l’ouvrage dévoile un talent de metteur en son sidérant, capable de marier soul garage et pop baroque à grand renfort de réverbe hantée et autres formidables bidouillages acidulés.

Comparé parfois à ses débuts à Elliott Smith, l’univers de Swift s’avère pourtant plus tordu voire aventureux, bien que tous deux cultivaient une esthétique pop sixties. Ses albums solos sont truffés de pistes instrumentales bizarres, privilégiant les ambiances aux  mélodies. Obsédé par les techniques d’enregistrement analogiques, Swift n’a de cesse d’expérimenter sous différents alias tels ONASIS, Instruments of Science & Technology. D’où peut-être ce malentendu persistant du public le jugeant trop “barré”, avec pour conséquence une carrière qui ne décollera jamais véritablement.
Toutefois, d’autres oreilles affûtés ont bien repéré le phénomène. Dan Auerbach et James Mercer le sollicitent en studio pour magnifier leurs compositions et finissent même par le recruter respectivement au poste de bassiste et de claviériste. Cette nouvelle vocation d’allié créatif plus que simple homme de main, le voit progressivement multiplier les casquettes de producteur, ingénieur du son, musicien de session, qui l’éloignera encore davantage de sa propre musique.

The Hex, que le destin aura donc rendu posthume, fait suite à The Atlantic Ocean sorti  il y a huit ans déjà. Une attente rompu le 7 mai dernier, par l’annonce de son géniteur sur son compte Instagram qui annonçait son sixième album terminé et prévu pour novembre. Pour les raisons que l’on sait, sa parution a finalement été précipitée au mois de septembre en version numérique, suivi le 7 décembre prochain en vinyl et CD via Secretly Canadian. C’est une oeuvre brillante.

En faisant abstraction du deuil qui aurait tendance à altérer notre jugement, on peut décemment affirmer que si The Hex serait sorti de son vivant, il aurait été salué unaniment comme le plus abouti de sa carrière.  Bien que posthume,  ce n’est pas un disque lugubre. Un disque étrange peut-être, mais avant tout, un disque qui respire la passion de la musique. Chacune de ses onze compositions explorent un territoire inédit, toujours dans une perspective de jeu permanent, tel une malle au trésor que l’on ouvre, allant de surprise en surprise. La folkeuse Valerie June disait de Swift qu’il était d’une “créativité sans limite” en studios. On ne peut la contredire à l’écoute de ses onze compositions, d’une variété bluffante.

Vue d’ensemble, The Hex recèle une grande majorité de chansons accessibles, ce qui ne signifie en rien que Swift cède pour autant à son fascinant cabinet de curiosités. Pour mesurer le talent de caméléon, il faut écouter “Selfishmath”, qui prend les Blacks Keys à leur propre jeu. La chanson titre de l’album est une entrée en matière d’une classe folle, serti de mellotron et de bruitages à la Pet Sounds, mais ce sont les vocalises aiguës inouïes de Swift qui impressionnent le plus. Sur “Nancy” également, le vibrato haut perché de Swift atteint des sommets d’émotion. On enchaîne avec une ballade soul somptueuse, “Broken Finger Blues”, placée sous le sceau noble de Curtis Mayfield, “fingerz in the noze”.

Le génie mélodique se décline ici sur toutes ses formes, que ce soit sur Sister Song pièce baroque que n’aurait pas renié le  Harry Nilsson des débuts, ou en mode pop de chambre sur un « Hzlwd » au clavecin. Même sans le moindre artifice, sur le finale « Sept20 » dépouillé au piano, l’évidence crève nos esgourdes, un moment de grâce à l’état pure. Richard Swift avait retrouvé confiance. Il aurait eu encore tant à accomplir, à nous donner. Maudit 3 juillet.


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Tracklisting :

1 The Hex (2:25)
2 Broken Finger Blues (4:20)
3 Selfishmath (3:16)
4 Dirty Jim (3:49)
5 Babylon (3:07)
6 Wendy (3:11)
7 Sister Song (2:23)
8 Nancy (3:48)
9 Hzlwd (4:32)
10 Kensington! (3:50)
11 Sept20 (2:35)