Virage pop atmosphérique superbement négocié sur ce cinquième album de l’ex folkeuse new yorkaise à la voix toujours aussi bouleversante.


 

 

Avec ce titre d’album en forme de clin d’oeil à la procrastination, Sharon Van Etten semble jouer de son absence de cinq ans, visiblement mal digérée par certains fans. A tel point que des Tee-Shirt floqués  “When is Sharon Van Etten Next Album ?” étaient apparus sur la Toile.  Oui, Sharon Van Etten fait cet effet là. Cette new yorkaise chante ses fêlures avec une intensité peu commune, qui a le don de vous rapprocher d’elle instantanément.

Si son quatrième album Are We There (2014) lui a ouvert un certain succès commercial aux Etats-Unis, c’est son prédécesseur, Tramp (2012), produit par Aaron Dessner de The National, qui marque bel et bien une étape artistique charnière. Sur ce disque en forme de dernière chance, Sharon Van Etten se livre comme rarement sur des chansons thérapies d’une relation amoureuse abusive, navigant entre déchirements folk-rock (le terrassant « Give Out ») et instants de pure grâce libérateur, limite soul (les fantastiques harmonies vocales de « Leonard »). Et nous d’affirmer aujourd’hui que Tramp est l’un des tous meilleurs albums rock de cette décennie.

Depuis donc le succès en sa patrie de son troisième album Are We There voilà maintenant cinq ans, la chanteuse native de Belleville (New Jersey) ne s’est cependant pas contentée de regarder par la fenêtre filer le temps : après un EP paru en 2015, suivie d’une tournée éreintante, elle décide de faire une pause pour se consacrer à des études de psychologie, et surtout son fils né en mars 2017. Par ailleurs, on a pu la voir faire quelques cameo dans des séries TV, notamment la troisième saison de Twin Peaks de David Lynch. En 2016, elle remet lentement un pied à l’étrier en composant la Bande son du film Strange Weather de Katherine Dieckmann. Cette expérience lui donne confiance en l’usage des claviers, qu’elle décide de rendre prépondérant sur Remind Me Tomorrow.

En éclipsant donc les guitares folk et électrique sur ce cinquième album, l’auteur et compositrice aujourd’hui âgée de 37 ans, affirme une nouvelle identité en raccord avec ses aspirations d’aujourd’hui, un désir d’ouverture. Sur bande, cela donne une synth pop pas si propre dans les entournures, développée à partir de nappes atmosphériques tantôt solaires, tantôt distordues, par l’usage de drones et de boîtes à rythme. Si ce parti-pris sonore confié au producteur John Congleton (Anna Calvi, Bill Callahan, St-Vincent),  désarçonnera dans un premier temps les fidèles de la cause indie folk-rock, on se rend compte que la qualité des compositions l’emporte finalement. Ces dix compositions ne souffrent d’aucun moment de faiblesse, son plus solide recueil à ce jour.

Remind Me Tomorrow, rassemble ainsi une palette d’ambiances plus large qu’elle ne le supposerait, passant de l’épure au piano (« I Told You Everything »), à la pop atmosphérique lumineuse (le magnifique « Malibu ») jusqu’à des aspérités nettement plus sombres (« Hands », le sépulcrale « Memorial Day »).

Les paroles également témoignent du nouveau visage de son auteur : Sharon Van Etten est aujourd’hui une femme aimée et comblée, ce qui ne veut pas dire qu’elle ne porte plus ses vieilles blessures, bien au contraire. La thérapie continue en chanson, mais avec un regard de côté sur son passé, une mâturité ressentie jusque dans sa tessiture vocale, plus grave qu’hier. Sur le hautement mémorable « Seventeen », Sharon Van Etten parle à celle qu’elle était voilà vingt-ans en arrière, la met en garde en vain, en s’époumonant jusqu’à la rupture. Ailleurs, “You shadow”, offre une percée lumineuse bienvenue en s’aventurant en terre soul/trip hop, limite spectorien.  Survivante aussi, sur le revanchard “Come Back Kid”, poussé au front par des synthés aux couleurs un peu criardes, mais transcendé par ce chant qui se donne des airs de cavalerie à la Arcade Fire.

L’apogée du disque pourrait bien être l’inquiétant « Jupiter 4 », sombre complainte atmosphérique digne de Suicide, sur un amour qu’elle n’attendait plus (I’ve been waiting, waiting, waiting my whole life, For someone like you). Dans cet instant de grande fragilité Sharon Van Etten déploie paradoxalement toute sa force. Et emporte tout sur son passage. Vibrant et vivant.

En concert le 1er avril à la Maroquinerie

Jagjaguwar/ Pias – 2018

www.sharonvanetten.com/

Tracklisting :

  1. I Told You Everything
  2. No One’s Easy To Love
  3. Memorial Day
  4. Comeback Kid
  5. Jupiter 4
  6. Seventeen
  7. Malibu
  8. You Shadow
  9. Hands
  10. Stay