Au sommet de son art, le guitariste et songwriter britannique culte, contemple avec désolation le temps qui passe.


Coïncidence de l’actualité, ce bon vieux Michael Chapman refait parler de lui au même moment qu’un autre illustre vétéran, Clint Eastwood. Et force est de constater que leurs récents travaux respectifs se donnent des airs d’ultimes manifestes : quand le cinéaste et acteur américain s’offre un dernier (?) road trip dans le formidable La Mule (actuellement en salles), la légende de la scène british folk 60’s/70’s remonte aussi la route du temps avec introspection sur True North. Quand bien même Chapman et Eastwood (respectivement âgés de 78 et 88 ans) sont toujours en pleine santé, la mort habite en filigrane ces oeuvres dans notre conscience, même lorsque non directement évoquée – seulement quatre compositions sont inédites sur l’album (« After All This Time », « Eleuthera », « Bluesman » et « Truck song »).  Indéniablement, le fait que ce nouvel opus soit peut-être le dernier joue sur la balance.

Le formidable 50 (première sortie sur Paradise of Bachelors) sorti en 2017 et qui couronnait un demi-siècle de carrière, était déjà porteur d’une mélancolie funeste, un puissant souffle crépusculaire qui emporte les oeuvres testamentaires d’un J. Cash et d’un L. Cohen. Deux ans plus tard, le guitariste américain Steve Gunn, déjà de service sur 50, est rappelé pour épauler le mythique folker sur ces onze nouvelles compositions enregistrées aux Studios Mwnci au Pays de Galles. Sont également venus prêter main forte la chanteuse Bridget St John (sur les dévastateurs « After All This Time » et « Full Bottle, Empty Heart »), la jeune violoncelliste Sarah Smout et le légendaire joueur de pedal steel BJ Cole (John Cale, Scott Walker, Björk…).  

True North, 57e album du prolifique folksinger si nos comptes sont bons, se veut plus rêche, que son prédécesseur 50. Hormis quelques ornements ça et là (violoncelle, lapsteel), le son se focalise sur le binôme guitare/voix, escorté par une réverbe fantomatique qui intensifie cet envoûtant atmosphère de désolation. Surtout sur les deux premiers titres terrassants de noirceur, “It’s Too Late” et “After All This Time” (dont les paroles évoque la fin douloureuse d’une longue relation amoureuse), piqués d’arpèges douze-cordes gothique et d’un violoncelle grave au bord de la saturation, le chant rugueux et profond de Chapman porte le noir avec autant de classe que Johnny Cash. La guitare de Steve Gunn explore quant à elle des pistes atmosphérique sur ce second titre, tout en nuance, vaporeuses.

Puis à notre grande surprise, True North prend parfois le chemin de la lumière, vers une élégie évoquant plutôt le temps qui passe irrémédiablement, la solitude du vieux sage, ponctués de respirations (« Bluesman ») ou soupirs selon le sens de celles-ci (« Vanity & Pride ») rythmés selon l’intensité des cordes. Délesté du poids des mots, deux instrumentaux  évoquent des lieux chers au guitariste sur un mode contemplatif : “Eleuthera” et ses douces effluves de lap steel… (une île des Bahamas où le folker passe habituellement ses vacances d’hiver) ainsi que “Caddo Lake”  (situé à la frontière du Texas et de la Louisiane) et sa cascade majestueuses d’arpège).

« Truck Song », joué sur des accords majeurs, apportent son lot d’éclaircie, mémoire émouvante d’une vie passée sur la route, de ville en ville, tandis que “Youth Is Wasted on the Young” ressasse avec regret les erreurs de jeunesse. Jusqu’à cet épilogue presque joueur voire enjoué, « Bon Ton Roolay », une rareté dont la première trace gravée remonte à 1992. True North nous montre que les fissures du temps ne s’effacent pas, mais se traversent jusqu’au bout.

 

Paradise of Bachelors / Differ-Ant – 2019

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Tracklisting :

  1. It’s Too Late
  2. After All This Time
  3. Vanity & Pride
  4. Eleuthera
  5. Bluesman
  6. Full Bottle, Empty Heart
  7. Truck Song
  8. Caddo Lake
  9. Hell to Pay
  10. Youth Is Wasted on the Young
  11. Bon Ton Roolay