Pour son grand retour, entre résignation ou rédemption, le duo culte écossais choisit le son.


Toute oreille bien affutée semble connaître Arab Strap. Évoquez le duo écossais avec ceux qui vous semblent avoir un bon vécu musical, et immédiatement leur mémoire comme leurs yeux s’illuminent.

C’est que Aidan Moffat et Malcolm Middleton ont laissé des traces depuis leur première démo en 1995. La fusion de la voix ténébreuse de l’un avec les rythmes synthétiques de l’autre sont une référence. Sans omettre non plus leur production intemporelle, rock-folk à la Bill Callahan, qui les a certainement aidé à traverser ces années avec quelques rides mais sans compromis.

Comme dans de nombreuses légendes, il y a la disparation des héros. Depuis leur dernier album Last Romance sorti en 2005, chacun semblait bien affairé leurs projets respectifs, Moffat sous le pseudonyme L Pierre et Middleton sous son propre nom, entre autres. Alors quand le groupe natif de Falkirk, seize ans après leur séparation, a annoncé dans la presse la sortie d’un septième album, notre curiosité était à son comble et le moins que l’on puisse dire c’est que la patience que nous n’avions plus se trouve in fine récompensée. Rassemblant leurs boîtes à rythmes, des cordes glacées, une ligne de guitare et un saxophone, le groupe impose un album aussi sinistre que magnifique.

Avec « As Days Get Dark » on ne sait pas vraiment si c’est la vie de la nuit ou la nuit d’une vie qui est décrite par Aidan Moffat, mais on se laisse porté par cette déambulation nocturne et musicale, qui entremêle et fait se rencontrer des personnages miteux avec lui-même. Un moi, un personnage qu’il a pu être, ou celui qui pourrait exister encore à l’aurore.

On a la sentiment d’être son ombre, suivant ses faits et ses gestes, accompagnant ses heurs et ses douleurs.  

Au bout de cette vie, au bout de cette nuit qui combine baise, résurrection et pensées morbides, une émotion rare transparait. Arab Strap sait avec ses instrumentations folk minimales sinistres et son rock indé sombre et rêche, nous faire vibrer, nous envoute. Alors que le sujets abordés pourraient nous heurter, la lucidité et le timbre de la voix nous invitent à nous incarner dans ce personnage errant dans ce milieu accablant.

Ce nouvel opus produit par le vieux complice Paul Savage (Franz Ferdinand, Deacon Blue) et signé sur le label de Mogwai, s’impose comme une excellente alternative au sommeil.  Le premier titre The Turning of Our Bones, inspiré du rituel Famadihana du peuple malgache, où les vivants dansent avec les cadavres d’êtres chers, en est une parfaite illustration.

Le titre et sa vidéo réalisée par Ciaran Lyons, sont glaçants, obsédants et pourtant réjouissants. Un peu comme un hymne composé en l’honneur d’une vie désabusée vécue au sein d’une société désenchantée.

Cette même résignation à la vie ainsi vécue ou subie, se dégage de la détresse de Tears On Tour, Aidan Moffat y évoque les fois où il a appris que des êtres chers étaient morts alors qu’il était en tournée, et comment il est maintenant dans un tel état de détresse émotionnelle qu’il ne peut s’empêcher de pleurer devant des comédies romantiques et des films pour enfants.

Cette quête nocturne sans but nous offre des rencontres surréalistes aux rythme d’une basse minimale comme dans « Compersion Pt.1 » et cette femme qu’il décrit comme étant sa tentatrice taciturne qui chante la même chanson que lui, qui dans le creux de la vague, aime le noir.. « She sings the same song as me (…)  Down in the dumps, she likes it dark ».

La pièce maîtresse se situe dans la cinquième ruelle sombre de l’album, avec un titre dénommée « Kebabylon ». Attendre 1 minute 33 secondes et Arab Strap vous envoute à tout jamais avec ce refrain : « Sifting through the streets of Kebabylon, Chasing down the ghosts of indiscretion and lust, These empty, filthy streets are where I belong, Down among the devilry, down in the dust / Je passe au crible les rues de Kebabylon, Chassant les fantômes de l’indiscrétion et de la luxure. Ces rues vides et sales sont celles auxquelles j’appartiens. En bas parmi les démons, en bas dans la poussière »

Sombre et attachant, enivrant et puissant, « As Days Get Dark » est une immersion musicale d’autant plus addictive qu’elle offre de nombreuses lectures.

Comme vous l’avez compris – et vous allez pouvoir l’entendre longtemps -, Arab Strap nous propose sans avoir à choisir une lecture de notre société entre résignation et rédemption, mais toujours avec le bon son.

Arab Strap – Days Get Dark chez Rock Action Records – PIAS

https://arabstrapband.bandcamp.com/

Track List :

1. The Turning of Our Bones
2. Another Clowork Day
3. Compersion Pt.1
4. Bluebird
5. Kebabylon
6. Tears on Tour
7. Here comes Comus!
8. Fable of the Urban Fox
9. I Was Once a Weak Man
10. Sleeper
11. Just Enough