Kurt Wagner, architecte des vétérans Lambchop, expérimente dans la voie introspective et électronique développée depuis son opus Flotus.


Après plus de 3 décennies d’existence, Kurt Wagner peut fièrement contempler son œuvre. Ce 16ème LP est une nouvelle pierre à l’édifice de l’impeccable discographie de sa formation Lambchop. Soit, une démonstration de son savoir-faire, et un document tangible de son appétence à innover et à explorer graduellement de nouveaux horizons. Une évolution déliée, réalisée aujourd’hui avec une classe inouïe.

Limité par son incapacité à jouer du piano il a décidé ici de manipuler de simples pistes de guitare pour les convertir en pistes de piano MIDI. Il s’est aussi entouré de nouveaux complices musiciens : Ryan Olson de Gayngs et Poliça, James McNew de Yo La Tengo à la contrebasse, du trompettiste français CJ Camerieri joueur de cuivre de Paul Simon et Bon Iver, de Andrew Broder (Fog) et du DJ de Cologne Twit One. La coproduction de ces nouveaux titres s’est faite avec le dorénavant régulier Jeremy Ferguson ingénieur du son présent depuis Flotus.

Ces huit nouvelles compositions étaient d’abord destinées à être présentées sur scène au public de l’Eaux Claires Music & Arts Festival (Wisconsin). Le festival organisé par Aaron Dessner (The National) et Justin Vernon (Bon Iver) annulé, Showtunes fut remanié par son mentor.
Le résultat final est plus que probant et quelque peu inclassable ; Wagner est ici à la croisée des chemins – entre le rigorisme et l’intransigeance d’un Scott Walker et le relâché et l’improvisation d’un Mark Hollis. Des traces d’americana et de country-soul affleurent toujours, avec une impression d’entendre par intermittences une BO imaginaire. Showtunes est également un hommage aux standards de la chanson américaine.
Guéri de son mal de gorge technologique (l’Autotune) le capitaine Kurt a en grande partie retrouvé sa voix de crooner chaude et mélancolique. Sa suite post Flotus au demeurant superbe nous avait presque fait oublier ce timbre à nul autre pareil.

Sur « A Chef’s Kiss » le premier simple dévoilé de cet album, Kurt Wagner commence légitimement à compter les années et à s’interroger sur la relativité du temps (qui filoche). A ce questionnement profond le songwriter et chanteur de Nashville nous oppose une mélodie mélancolico-minimaliste tempérée par quelques accords de piano intimes.

Le choix et la richesse des différents climats sonores sont la vrai force de cet album novateur, qui ne supportera pas malgré tout une écoute en dilettante, sous peine de passer à côté de belles séquences sonores. L’électronique insufflée dans chaque composition se marie aussi merveilleusement bien aux pianos, cuivres, contrebasse ou à la guitare.
Les premières écoutes font resplendir certains morceaux de choix. « Fuku » est de cet acabit, il synthétise à lui seul toutes les options musicales privilégiées par Kurt Wagner et toute la majesté des mélodies : le fondu électronique très présent mais si discret, les accords de piano romantiques les plages de cuivres jazzy et la voix chaude et enlevée de Wagner. On l’aura saisi, durant cette succincte écoute (30 petites minutes) le tempo sera posé, chaudement mélancolique et spacieux.

«The Last Benedict», sorte d’opéra intimiste est un autre point d’orgue où l’on y découvre le récital d’une chanteuse lyrique flottant en arrière-plan. Une pointe de mystère perce au fil de ce nouveau Lambchop, finalement très avant-gardiste au regard de sa discographie. Deux enchanteurs instrumentaux – l’insoupçonné « Papa Was a Rolling Stone Journalist » et le plus familier (avec sa guitare acoustique) « Impossible Meatballs » – sont de vrais bonus. Cet opus est parsemé d’autres pépites introspectives (« Drop C », « Unknown Man ») qui acquièrent après plusieurs écoutes un statut d’incontournables.

Après son superbe EP de reprises Trip, sorti en 2020, Kurt Wagner enrichit avantageusement son œuvre avec ce somptueux Showtunes.

City Slang – 2021

https://www.lambchop.net/

Tracklist :

  1. A Chef’s Kiss (3:46)
  2. Drop C (3:24)
  3. Papa Was a Rolling Stone Journalist (2:01)
  4. Fuku (7:07)
  5. Unknown Man (4:25)
  6. Blue Leo (3:05)
  7. Impossible Meatballs (3:11)
  8. The Last Benedict (4:07)