Un voyage au travers de contrées froides et humides par un songwriter canadien enveloppé de reverb fantomatique et d’une dramaturgie faisant écho au culte « Oar » de Skip Spence.


Un lance flamme artisanal, une voiture nommée Medusa et customisée façon Mad Max, deux amis gentils mais un peu simplets, dont la bromance va être mise à mal par l’intrusion d’une jolie garce. A sa sortie en salles en 2012, Bellflower avait fait son effet auprès de la critique (consacré à Sundance, adulé par les Cahiers Du Cinéma), un peu moins auprès du public. Cette histoire d’amour contrarié dans la fournaise d’un désert Californien bénéficiait pourtant d’un atout majeur : sa BO signée Jonathan Keevil, réalisateur indé a potentiel, monteur, et amis de Evan Glodell, acteur principal et réalisateur de Bellflower.

Une histoire d’amitié, donc, entre les deux réalisateurs / acteurs, affectionnant les personnages simples et légèrement torturés, ici deux rednecks friands de bières et de jeux à base d’armes à feu, et peu expérimentés sur les choses de l’amour. Des mecs normaux, du moins dans cette Amérique. La vision partagée entre réalisateur et compositeur rend la BO indissociable du film, et vice et versa. La voix écorchée et toujours à la limite de dérailler de Jonathan Keevil exprime parfaitement le romantisme un peu niais et attendrissant du film et, pour le côté à la fois habité et dépouillé, on pense à l’album Oar de Skip Spence, Canadien comme Jonathan Keevil.

Neuf années ont passées depuis la sortie de cette petite merveille, pendant lesquels Jonathan Keevil s’est concentré sur son métier de réalisateur (« Chuck Hank & the San Diego twins ») et de monteur, ne considérant la musique que comme un hobby. Quel dommage ! Si la pochette de Lakehead n’est pas particulièrement vendeuse (pour rester polis), elle donne au moins une indication, avec ses couleurs froides, le lac qui nous éloigne de la brulante Californie du sud, et cette impression que l’on va rentrer dans l’esprit du jeune Canadien.

La baisse de température est confirmée dès les premières notes de l’introduction, puis, avec toujours si peu d’effets pour la mettre en valeur, la voix fait son apparition, nasale, parfois hésitante, toujours à la limite de flancher, sur « Purely Wind ». Le temps a passé, la fragilité, le style et les tics sont restés, les atermoiements un peu juvéniles aussi, comme sur « Broke Head Can’t Dream », sans que l’on sache si ces complaintes sont les siennes ou pas.  A de rares exceptions près (« I’m not young », un peu plus fournie) les autres titres font aussi preuve d’une certaine frugalité dans les accompagnements, mettant ainsi en exergue la voix et son charme si singulier.

Lakehead est un voyage au travers de contrées froides et humides, ou peut-être n’est-il qu’intérieur, dans les méandres pessimistes de Jonathan Keevil. Celui-ci, loin d’être un grand communiquant, a cependant déjà annoncé que cet album était une première partie. Bonne nouvelle donc, l’attente sera certainement moins longue cette fois ci.

https://jonathankeevil.bandcamp.com/album/lakehead

tracklisting:

  1. Lotus
  2. Purely Wind
  3. Garçon Doe
  4. Broke Head Can’t Dream
  5. I’m Not Young
  6. Carry
  7. Bow
  8. Coccon
  9. Crave
  10. Fernie
  11. Colden

2021 – Jonathan Keevil