Enregistré au cours des deux dernières années à Austin, ce dixième opus des tauliers indie rock renoue avec leur singulier groove post-punk garage des années 2000.


Dix. Le chiffre est symbolique, cela appelle forcément au bilan. Vendu comme un retour aux sources, à savoir un son brut, sale, et groovy, ce dixième opus des cuillères d’Austin est une énième tentative de réconciliation avec les inconsolables de Kill the Moonlight (2002) le sommet des texans paru voilà tout juste vingt ans, et le non moins excellentissime Gimme Fiction (2005). Sera-t-elle la bonne ? Car voilà bien plus de 15 ans que ce sens du groove fiévreux, en surrégime, l’aiguille constamment dans le rouge, se dilua progressivement jusqu’aux productions electro proprettes d’Hot Thoughts (2017) et The Want My Soul (2014), où le quintet comptait en ses rangs deux claviéristes. Un comble pour cette formation indie rock Lo-Fi par excellence.

2022, le voyant rouge nous indique que les amplis à lampe sont à nouveau rallumés sur Lucifer on the Sofa. Et le binôme Jim Eno et Britt Daniel s’en porte soudainement bien mieux. Surtout, la caisse claire sur ressort d’Eno nous manquait, ce son épais, gras, qui nous salit les mains, même après avoir vidé tout notre flacon de gel hydroalcoolique dessus. Pour le coup, on s’en brûlerait même les mains. Et puis bien sûr les riffs nerveux et contagieux de Britt Daniels, indévissables.

Co-produit avec Mark Rankin (Adele, Queens of the Stone Age), augmenté des contributions épisodiques de Dave Fridmann et Justin Raisen, tout ce beau monde a oeuvré pou un disque finalement resserré, qui va à l’essentiel. Jusqu’à son tracklisting, qui ne compte que dix compositions. Held (reprise de Smog transcendée) et The Hardest Cut, stratégiquement positionnés en première ligne, tiennent leur promesse. Le groove infernal de ce dernier, ses riffs tendus comme un saut en élastique, sonnent comme une bombe sale, et cela fait plaisir. Le beat se veut plus stonien par la suite avec « The Devil & Mister Jones », et son riff en drop D, si cher à Keith Richards, et ses choeurs en “HOooo”. On en redemande. Spoon nous rappelle alors qu’ils sont capables d’être la coolitude incarnée.

Finalement, le premier impact des deux titres est si fort qu’on ne se rend pas immédiatement compte qu’il n’y a pas tant de titres si relevés sur le reste, ou du moins à la sauce épicée garage. C’est alors là tout l’art du tracklisting, qui permet de reprendre notre souffle avant la prochaine déflagration, grâce notamment « My Babe », qui décélère avec une mélodie pop au piano, ou encore les rêveurs « Astral Jacket » et « Satellite » qui passent presque inaperçus, mais s’écoute sans déplaisir. La reprise ensuite n’en devient que plus efficace, tel ce « Wild » nerveux et dansant à souhait, mais qu’on rangerait plutôt dans la case Primal Scream, période Screamadelica (ou stonien encore, selon les avis), pour son piano très nineties et le refrain fédérateur chanté par Daniels. 

« Feel Alright » s’accompagne d’une section de cordes ponctuant efficacement l’impulsion soul vintage de la composition. « On the Radio », magistral, pourrait dater des sessions de Kill the Moonlight : c’est brut, direct, avec une section rythmique au cordeau, dopé par un piano fou à la Randy Newman. Enfin, la chanson titre qui clôt ce cru 2022, et la seule à dépasser la barre des cinq minutes, un funk répétitif sur fond d’orgue hammond, mais plutôt d’humeur de fin de soirée, enfoncé dans un sofa. Pas tout à fait 10 sur 10 donc, mais aisément leur meilleur album depuis Gimme Fiction.

2022 – Matador/Beggars

https://spoontheband.bandcamp.com/

Tracklisting :

  1. Held
  2. The Hardest Cut
  3. The Devil & Mister Jones
  4. Wild
  5. My Babe
  6. Feels Alright
  7. On The Radio
  8. Astral Jacket
  9. Satellite
  10. Lucifer On The Sofa