Avec cet album à l’allure testamentaire, l’Ecossais Kenny Anderson nous a rarement autant ému. Le roi Creosote est mort, vive le roi !


Nous sommes en l’an MMXXIII et le roi Creosote demeure encore trop injustement méconnu au-delà de ses Highlands. Le songwriter Kenny Anderson alias King Creosote, a pourtant enregistré près d’une cinquantaine de disques depuis ses débuts recensés en 1998. Le site Discogs en référence même une centaine, des autoproductions parues en CDr et vendues uniquement en « circuit court » lors des tournées. Il faut dire que le folker stakhanoviste s’adonne aussi à l’ambient et la drone musique à ses heures perdues. 

Certes, la quantité ne fait pas la qualité. Et ça tombe bien, on mesure plutôt ici le talent du résident du comté de Fife par la dizaine de grands disques “officiels” recensés, notamment le magistral Flick the Vs (2008), ou encore Diamond Mine en collaboration avec le producteur anglais, Jon Hopkins (2011).

Aussi prolifique soit-il, nous avions perdu la trace d’Anderson depuis Astronaut Meets Appleman (Domino, 2016). I DES serait son dernier album sous la bannière du label Domino, le quinquagénaire (56 ans) souhaitant ralentir le rythme, du moins sous son patronyme King Creosote. Précisons que le covid-19 n’a pas eu d’impact direct sur les paroles, toutes ses compositions remontantt de la période 2018/2020. Le musicien s’était auparavant octroyé une année sabbatique en 2017, et l’âge aidant, ce hiatus l’a amené à reconsidérer ses priorités personnelles après avoir passé plus de la moitié de sa vie à tourner.

D’où le caractère particulièrement poignant qui émane de cet album, conçu comme un “last goodbye”, comme le chantait si bien J. Buckley. On ne peut que remarquer le caractère funéraire de la pochette : IDES, gravé sur du marbre, suggérant bien sûr une pierre tombale. Et l’on devine rapidement l’anagramme « Dies » derrière ce titre. Une double signification en vérité, l’autre référence étant adressée au multi-instrumentiste et coproducteur Derek O’Neill alias Des Lawson of Blantyre, fidèle collaborateur de King Creosote (From Scotland With Love en 2014, Astronaut Meets Appleman en 2016).

Si la faucheuse rôde tout au long de ce disque, on est cependant frappé par la lumière incandescente qui s’en dégage. Une collection de chansons – du moins les huit premières de l’album – aux orchestrations riches (vibraphones, accordéons, archets électroniques, échantillonneurs, nappes electro). Deux drôles d’anomalies tout de même, les deux plages finales d’I DES  totalisent à elles seules près de 50 minutes (!) – l’intense épopée atmosphérique Please Come Back I Will Listen, I Will Behave, I Will Toe The Line, et surtout Drone in B#, pièce totalement ambient d’une durée de 36 minutes (!!!). 

Le reste, ou plutôt ce qui précède, se veut beaucoup plus dans les standards pop. Voire les “hauts” standard. Nous sommes ainsi cueillis sur l’inaugural “t’s Sin That’s Got Its Hold Upon Us” par des beats electro faisant corps avec de majestueuses cordes celtiques, et dont le texte porte apparemment sur le gâchis engendré par des substances illicites. Avec Blurial Bleak, une chanson à la progression d’accords éculée depuis la nuit des temps (Ré, la, si mineur, sol, celle de With or Without you et tant d’autres…), Anderson touche pourtant encore notre corde sensible, son chant d’apparence frêle mais intensément habité, nous évoque le regretté Vic Chesnutt.

“Dust”, autre splendeur, est une envoûtante virée synthétique qui se fend d’un refrain que l’on peut plus se débarrasser de notre étroite boîte crânienne (« Yet one day you too will be dust”). Et que dire de “Walter de la Nightmare”, où le roi Creosote nous torche encore une superbe mélodie au piano, désarmante de simplicité et de beauté façon After the Goldrush. Susie Mullen se détache de l’ensemble avec son côté trip sous acide boosté par une section rythmique tendue. Un peu déconcertant, mais on se dit que le morceau pourrait prendre une dimension cosmique bienvenue en concert. 

Espérons pouvoir en profiter prochainement sur les scènes hexagonales, mais étant donné que l’Ecossais se fait très rare par chez nous depuis plusieurs années, les chances demeurent minces. Dans tous les cas, I DES pour une ultime (?) sortie, a réussi à nous faire sortir les mouchoirs. 

DOMINO – 2023

https://www.kingcreosote.com/

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Tracklisting :

1. It’s Sin That’s Got Its Hold Upon Us (3:51)
2. Blue Marbled Elm Trees (5:03)
3. Burial Bleak (5:48)
4. Dust (4:09)
5. Walter de la Nightmare (4:11)
6. Susie Mullen (4:49)
7. Love is a Curse (1:59)
8. Ides (4:05)
9. Please Come Back I Will Listen, I Will Behave, I Will Toe The Line (13:16)
10. Drone in B# (36:34)