Après trois EP sous au haute distinction pop orchestrale et anglophone, les esthètes franciliens opèrent pour leur premier long format un séduisant virage dans la langue de Proust, sans perdre de leur goût des jolies choses.
Mine de rien, les cendres de Verone (trois albums entre 1999 et 2013) auront soufflé quelques jolies braises dans la paysage de la pop francophone ces dernières années. D’abord avec Facteur Chevaux, gracieux duo folk formé par Fabien Guidolet et son ancien guitariste Sammy Decoster. Et puis, depuis 2019, nous avons adhéré à The Reed Conservation Society, club pop fin gourmet tenu par l’ex bassiste de Verone Stéphane Auzenet avec son ami Mathieu Blanc. Auteurs d’une trilogie de EPs chantés en anglais, illustrés visuellement d’élégantes toiles féminines, les franciliens concrétisaient en nous ce fantasme d’une pop néo-romantique à la française, mêlant arpèges délicats de guitares, arrangements de violons et de cuivres avec une assurance sidérante de bon goût : Love, les Pale Fountains, Belle & Sebastian, The Catchers, tout ça quoi… Qui d’autres par chez nous, hormis Louis Philippe et Medhi Zannad, sont capables aujourd’hui de tels miracles de sensibilité pop ?
Voilà qu’à notre grande surprise, The Reed Conservation Society est aujourd’hui devenu La Société de Préservation du Roseau… en français s’il vous plaît. Un virage dans la langue de Proust qui n’est pas anodin, nombreux s’y sont cassés les dents : culturellement un fossé se creuse avec l’anglais, l’équilibre entre paroles et mélodies n’est généralement plus équitablement établi. Une mue loin pourtant d’être subite, plusieurs chansons ont été écrites voilà y a plusieurs années et attendaient simplement leur heure. C’est chose faite avec cet ouvrage enregistré avec le renfort entre autres de Yann Arnaud aux manettes et de Natacha Tertone (sur La nage indienne et Le mont de piété).
Sur Pylônes, premier single dévoilé au format pop cinémascope (orchestration de cuivres à la sauce spaghetti morriconienne), on redoute un chant peut-être trop timide face à la luxuriance des arrangements de cette romance post-apocalypse. Mais à l’écoute des autres titres de ce premier long format, nos sociétaires ont pris soin de varier les teintes pastel, d’élargir leur horizon. Et puis on ne peut s’empêcher de penser à une version francophone des scousers magnifiques Shack. Sans doute à cause de leur signature sur l’honorable label franco-anglais Violette Records, qui hébergea jadis le grand Michael Head (ex Shack, Pale Fountains…).
Ne pas forcer le trait du grandiloquent, nuancer le propos de touches exotiques, comme sur Le Tamis, impulsé par une batterie hypnotique, une trompette soufflée tout droit de L’ascenseur pour l’Échafaud, quelques nappes électro atmosphérique parfaitement dosées et les choeurs intimes d’Emma “Blumi” Broughton (ex Thousand). On penserait presque à du Folk Implosion qui serait davantage infusé par Gainsbourg. Ou encore sur Aux Rochers Rouges, délicieuse pop bacharachienne sur une rythmique bossa. Plus Molly, une touchante rêverie pop-folk avec le banjo de Fred Lambert (du trio Rum Tum Tiddles), romance éprise de naturalisme – “je repense à toi Molly, au roseau pris dans le vent’).
L’impression au final, tout au long de ses douze plages, de descendre une rivière onirique tel dans La nuit du Chasseur, portée par le courant sur notre barque et en douce compagnie. Cette Société de préservation du Roseau cultive le goût des jolies choses, érudite sans être trop ostentatoire, c’est tellement rare de nos jours, et réconfortant. “A coeur joie, je m’y donne, on peut compter sur moi”, chante-t-ils sur le titre d’ouverture A coeur joie,. Ils peuvent aussi compter sur nous.
2024 – Violette Records
https://www.facebook.com/TRCSfrenchband/
https://thereedconservationsociety.bandcamp.com/album/la-soci-t-de-pr-servation-du-roseau-2
Tracklisting :
1. À coeur joie
2. Laïka
3. Le Mont de Piété
4. Aux Rochers Rouges
5. Le Tamis
6. Pylônes
7. Molly
8. La Nage Indienne
9. Petit Coefficient
10. St Elme dans le Désert