Un songwriter irlandais, inconnu des radars, entouré de Steve Gunn, M. Ward et Tony Garnier… devrait suffire à susciter notre intérêt de ce disque. Mais c’est beaucoup plus que ça.


Voilà le genre d’album, où, dès la première respiration, on est comme littéralement happé, sans la moindre résistance, par des forces naturelles qui nous dépassent. La magie tient à peu de choses : le frottement des cordes d’une guitare folk, ce mouvement rythmique évoquant les vagues de l’océan, une réverbe céleste, et bien sûr cette voix lente et détachée où l’émotion passe par l’économie, Bill Callahan, Leonard Cohen, Hayden… 

L’auteur de cette “Mer froide”, Oisin Leech, est un songwriter irlandais, membre de The Lost Brothers. Méconnu par chez nous, le duo folk qu’il forme avec Mark McCausland a enregistré depuis 2008 six albums salués par la critique outre-manche (Mojo, Uncut…), qui les ont vu collaborer avec Bill Ryder-Jones, The Arctic Monkeys, Howe Gelb, Brendan Benson, M. Ward… bâtissant ainsi un pont transatlantique improbable reliant l’Irlande, Nashville, Tucson et Liverpool. Forcément, la présence de telles pointures intriguent, comment-ont ils pu passer à travers nos radars ?  

Si les Lost Brothers ont su très bien s’entourer au cours de leur carrière, ce premier album solo de Oisin Leech, Cold Sea, bénéficie également de l’apport de précieux musiciens tels que M. Ward (avec qui il a récemment tourné), le bassiste Tony Garnier (fidèle des fidèles de  Dylan), Donal Lunny, vétéran des groupes Planxty et The Bothy Band, et last but not least, le guitariste brooklynois Steve Gunn bien chaussé (un pied dans la folk alternative, l’autre dans l’avant-garde expérimental), qui l’a rejoint en Irlande pour produire ce long format, parus sur via les labels Outside Music (The Weather Station, Doug Paisley) et Tremone Records.. Les sessions d’enregistrements se sont déroulées tout au nord de l’île, sur la côte atlantique du comté de Donegal. Malin, plus précisément, un village de moins de 100 habitants où Leech et Gunn ont installé leur studio, dans une vieille école située face à la mer.

Et c’est peu dire que ce paysage irlandais imbibe l’album. Les deux partenaires se sont naturellement fondus dans cet environnement propice à la solitude, profitant chaque matin, aux premières loges, du spectacle grandiose de la mer. Comme son “employeur”, Gunn est également de souche irlandaise, et même s’il n’y a pas vécu, on apprend dans le livret son bonheur de découvrir durant ces sessions les lieux familiers de ses grands-parents. Une douce nostalgie imbibe ainsi ce disque, qui n’est pas totalement folk : parmi les neufs compositions, deux plages, Cold Sea et Daylight, se veulent instrumentales, des nappes synthétiques d’obédience atmosphériques. 

Pour le reste, ces chansons parlent de cette nature farouche et sublime, de marins solitaires et de deuil… “Je connaissais une histoire sur la mer clémente, un frère a perdu son frère, tragédieaide-moi à chanter la solitude de la mer” chante-t-il sur On Hill Further“. Aucune violence ne s’en dégage, mais une belle sérénité immersive, la basse enveloppante de Tony Garnier et la violoniste Róisín McGrory se chargent du reste. Ailleurs, il est question de temps maussade “Soleil d’octobre, qu’avons nous fait ? Tu ridiculises tout le monde” sur October Sun et le bien nommé Maritime Radio. Les guitares de Gunn sont comme d’habitude d’une délicatesse infinie, tout en arpège rêveur, et solos clairs de guitare électrique. Sur les beaux accords boisés de Malin Gales, Leech chante un ton au-dessus, et nous rappelle le cousin norvégien Erlend Oye. Peut-être alors est là le secret de ce disque. Une certaine couleur folk venue du Nord, qui ne peut-être capté qu’à la pointe… Magnétique on vous dit.

Outside Music /Tremone Records

https://oisinleech.bandcamp.com/

En concert à Paris, le 3 mai, à l’Archipel.

Tracklisting : 

1. October Sun
2. Colour Of The Rain
3. One Hill Further
4. Maritime Radio
5. Empire
6. Malin Gales 
7. Cold Sea
8. Trawbreaga Bay
9. Daylight