Révélé en octobre par un premier album magnétique, « Tales of Uncertainty », le tandem Agnès Gayraud (La Féline) et Paul Régimbeau nous dévoile ses coups de coeur musicaux glanés sur la plateforme vidéo.


Sous les ailes de cet oiseau migrateur se cache un duo tricolore, la voix d’Agnès Gayraud, alias La Féline, et le multi instrumentiste Paul Régimbeau (Mondkopf, Oiseaux-Tempête). Après un premier EP paru voilà trois ans, le binôme prend définitivement son envol en octobre dernier avec un premier album paru chez Talitres, Tales of Uncertainty, confondant de maîtrise. Ces huit compositions, chantées en anglais, fomentent une matière sonique ténébreuse et aérienne, à la lisière du shoegaze et du post-rock. Une oeuvre fascinante, qui pourrait évoquer les territoires mystérieux et éthérés du Offshore d’Early Day Miners, ou encore les mélodies réverbérées de Beach House alliées à l’expérimentation de Portishead. En pleine préparation d’une tournée qui démarre le 16 janvier, le duo nous dévoile une petite sélection de ses marottes musicales glanées sur YouTube.

La sélection d’Agnès Gayraud

1/ Anna Von Hausswolff, « The Mysterious Vanishing of Electra »

Sortis en 2018, ce morceau et son clip (réalisé par sa sœur Mariah Von Hausswolff) m’a énormément marquée. J’aimais déjà l’univers assez gothique d’Anna Hausswolff, j’avais même écrit sur son disque précédent dans Libé, mais ce titre est encore au-dessus pour moi : la liberté de sa performance vocale me semble complètement sidérante, c’est vraiment, à cet instant, une femme livrée au chant, ou le chant totalement livré à une femme, à la fois harpie, sirène, personnage mythologique obscur (Electra) victime de forces supérieures mais leur hurlant à la face jusqu’à la mort et la soumission généralisée des éléments : « Push the trees, push the sky, push the air aside! »

2/ Earth, « Seven Angels »

Assez cosmique aussi quoique la face bien collée à la terre, cet album de Earth, (« Seven angels » est le titre d’ouverture) sorti en 1993, est un peu l’invention du drone doom, une sorte de bain ambiant mais dans le gravier, quarante minutes de crawl sans reprise de souffle dans les basses fréquences. C’est le genre de disque qui produit un choc esthétique parce que l’idée, bien sûr, est radicale, mais aussi, parce que l’expérience à laquelle cela invite est véritablement profonde à mon sens, presque mystique, entre déchirure continue et total apaisement, pour n’importe quel corps, n’importe quelles oreilles humaine.

3/ Leonard Cohen, « The Stranger song », dans la scène d’ouverture du film John Mc Cabe & Mrs Miller de Robert Altman (1971)

Il y a plusieurs morceaux de Léonard Cohen dans ce film, un chef-d’œuvre d’Altman, qui m’avait fascinée quand je l’ai vu pour la première fois, il y a bien une quinzaine d’années. Le lien entre la chanson à la fois narrative et énigmatique de Cohen et l’entrée dans un mouvement cinématographique sont pour moi totalement irrésistibles. A la fin du film, on entend « The Winter Lady », toujours du même Cohen, dans la scène où McCabe se laisse mourir dans la neige : peut-être une lointaine influence sur notre chanson « Cold » (morceau figurant sur notre premier EP) ?

4/ Portishead, « SOS » cover de la chanson d’ABBA

La chanson avait toute sa mélancolie avant, dans la version d’ABBA, mais dans un rythme enlevé et entraînant. Dans la version de Portishead, avec exactement les mêmes paroles, pratiquement la même mélodie, mais ralentie, brisée par la voix hésitante de Gibbons, j’ai l’impression de tomber dans un abîme, d’entendre, avec des mots si simples pourtant, l’incommunicabilité tragique entre les êtres – qui s’aiment ou se sont aimés, de voir le fil qui les liait se dévider inexorablement. Qu’une interprétation donne ce vertige, c’est un des buts de l’art à mon sens.

5/ Winter Family, « Daughters of Jerusalem »(2024)

Le texte est une sorte d’éloge de la ville de Jérusalem en essayant de l’arracher au malheur et aux atrocités, en la démystifiant aussi. On sait que les Winter family sont assez militants et cette chanson le prouve encore. Mais ce qui m’emporte totalement je crois, c’est la musique, cet espèce de prêche chuchoté et démultiplié sur une sorte de reggae trip-hop-ifié, je n’ai pas l’impression d’en avoir entendu beaucoup d’équivalent!

La sélection de Paul Régimbeau

1/ Slowdive, « Primal » (1994)

Ma premiere rencontre avec le shoegaze, je ne vois pas souvent ce morceau cité dans les tubes de Slowdive est pourtant c’est peut-être le titre le plus intense qu’ils aient enregistré. Cette lente montée en mur de son et chœurs déchirés m’influence encore aujourd’hui.

2/ Cranes, « Beautiful Friend » (1994)

Un morceau magnifique sur l’amitié, hanté et émouvant. Une pop ferreuse et lyrique comme on en fait plus. Et quel génie d’avoir laissé à la prise d’enregistrement le grincement de la pédale du charley. Un groupe sous-estimé.

3/ Earth, « High Command » (1996)

Une transe bluesy au riff hyper efficace avec une touche nonchalante de No Wave, en résulte un tube stoner immortel.

4/ True Widow, « S:H:S » (2013)

Encore une leçon de nonchalance, entre stoner et slowcore, mélodie venimeuse, production parfaite qui influencera beaucoup l’approche du mixage de Tales Of Uncertainty avec Jean-Charles Bastion.

5/ Deadbeat & Camara, « To Love Is To Bury » (2019)

Album magnifique qui reprend entièrement The Trinity Session des Cowboy Junkies mais dans une version dub western sensible et fragile. Deadbeat dit avoir eu cette idée en entendant Sweet Jane dans un aéroport laissant en lui une sensation de nostalgie qu’il a voulu capturer par la suite pour célébrer les 30 ans de l’album original.


Grive « Tales of Uncertainty » (Talitres)

https://grive.bandcamp.com/

En tournée (d’autres dates seront annoncées prochainement) :

16.01 : PARIS / Petit Bain
17.01 : TOURCOING / Le Grand Mix (avec Feldup) [COMPLET]
15.02 : LA ROCHE SUR YON / QUAI M (avec Feldup)
24.05 : NILVANGE / Le Gueulard Plus