La folk musique anglaise retrouve une amie qui lui est chère. Après 38 ans de silence discographique, la légende Shirley Collins acte d’un retour que l’on espérait plus.
Prime à la jeunesse ! Voilà un dicton que l’on contredira bien volontiers. Car la ‘jeune’ femme qui se représente à nous a déjà croqué dans sa huitième décennie. Shirley Collins est née en 1935 dans le sud de l’Angleterre à Hasting dans le comté du Sussex. Son premier album est sorti en 1959.
Shirley Collins est avant tout une icône. Le mot n’est pas galvaudé. Elle incarne à merveille l’esprit de la folk musique. Elle a montré la voie et construit une dynamique autour de sa personne. D’illustres formations ont puisé un son et des idées dans ses musiques. Elle représente aussi le graal pour certains artistes. Sa voix immaculée, paisible et éclatante, d’une fraicheur extraordinaire a enchanté plusieurs générations. Son timbre de voix sans émotion apparente, mais néanmoins pénétrant et magnétique a généré en nous de vives émotions. Les arrangements musicaux acoustiques ou électriques ont toujours été fouillés et plein de justesse.
A l’initiative de son retour, le premier à chérir sa musique loin devant tous les autres, sera le musicien et mystique David Tibet (Current 93). Sa ‘campagne’ de soutien active lui a littéralement redonné une seconde jeunesse et une dynamique de séduction. Ecouter Tibet discourir sur sa muse est un plaisir : « Shirley est au-delà du folk. Elle est l’autorité et le génie spirituel du folk. Mettez des lèvres sur un cœur et écoutez la chanter». Même le quidam étranger à cet univers musical ne pourra que s’intéresser au sujet ! Grand bien lui en prendra. Le vrai retour, quoique épisodique et furtif, se fera sous l’égide de David Tibet sur différentes de ses productions : (’’Thunder Perfect Mind » en 1992, « The Stars Are Marching Sadly Home » en 1996, et « Black Ships Ate The Sky » en 2006). A l’instar de Shirley, l’obsessif Tibet reproduira le même schéma en jetant son dévolu sur le musicien Tim Fin.
Un peu d’histoire : Enfant pendant la seconde guerre mondiale, Shirley vit avec sa sœur Doris chez ses grands-parents. Son grand père lui chante régulièrement des ritournelles folks, qu’elle comprendra être plus tard des chants funéraires. Ces grands parents chéris, cet environnement préservé et ces adorables chansons la marqueront à jamais. Dans les années 50, elle arrive à Londres. Elle y rencontrera et tombera amoureuse de l’ethnomusicologue Alan Lomax. De 20 ans son ainé, elle a 19 ans, il ‘’l’engage’’ comme son assistante. Ils traverseront l’Angleterre, les montagnes des Appalaches et les prairies de Virginie à la collecte de chansons du cru (blues, folk, bluegrass). Cette expérience la confortera dans son désir de chanter en anglais. Shirley encouragera toute sa vie chaque musicien rencontré à défendre son patrimoine culturel en s’exprimant dans sa propre langue.
En 1959, elle commercialise son premier 33 tours Sweet England. La même année son album sœur False True Lovers voit aussi le jour. Alan Lomax et Peter Kennedy lui font l’honneur d’être aux manettes. Il est aussi hébergé sur le prestigieux label American Folkways. Dans les années 60, le mouvement folk prend de l’ampleur. Enormément de clubs ouvrent leurs portes. De retour à Londres en compagnie de sa soeur Dolly et de Davy Graham, elle grave quelques albums essentiels – Folk Roots, New Routes en 1964 est le plus emblématique. Quelques années plus tard en 1971 sous l’entité Shirley Collins & The Albion Country Band, en la compagnie de Richard Thompson (ex guitariste de Fairport Convention), sort son projet ‘No Roses’. Il est aussitôt considéré comme un réfèrent folk-rock de la période.
Autre date primordiale mais pour de mauvaises raisons : en 1978 lors des répétitions de la représentation Lark Rise to Candleford de Flora Thompson au National Theatre de Londres, son second mari le bassiste fondateur du Fairport Convention Ashley Hutching, et membre à cette même époque de The Albion Band, s’entichera d’une jeune actrice de la troupe. Shirley Collins verra son mariage s’écrouler un peu plus chaque soir de la tournée. Humiliée et choquée, elle finira par perdre sa voix un soir d’une énième représentations au début des années 80, pour disparaître définitivement de la scène et du circuit pour plusieurs décennies ! La légende est en marche.
Elle enchaînera ensuite difficilement sur divers emplois domestiques (à la poste, au centre d’emploi, ou en tant que folk animatrice auprès de ses voisins !).
A 78 ans, le patient David Tibet la convainc finalement. Son retour sur scène est programmé à l’Union Chapel de Islington – Londres – le 8 février 2014 où elle y interprétera 2 titres. La barrière psychologique est franchie. La suite c’est aujourd’hui ! L’étoile polaire (Lodestar) est le titre de cet album du retour. L’étoile symbole de guide et indicateur du nord. Pour Shirley la musique est cette étoile. L’éclat de sa voix a logiquement évolué et s’est naturellement affaissé, le poids des années a fait son œuvre, d’une douceur innocente elle a aussi basculé vers une certaine gravité. Son timbre de voix est maintenant assez proche de celui d’un Robert Wyatt.
Shirley marque son retour par un choix pertinent et pointu de chansons traditionnelles (Anglaises, Américaines et chansons Cajun s’étalant du 16ème siècle aux années 1950). Les références sont précises, datées, illustrées et mises en musique de la plus belle des manières, dans l’esprit d’un enregistrement qu’aurait pu approuver Alan Lomax en son temps. Shirley et ses acolytes (Ian Kearey de The Blue Aeroplanes et ex Oysterband, Ossian Brown et Stephen Thrower de Coil et Cyclobe, …) ont privilégié les prises en direct en évitant les overdub intempestifs. Mon tout est capté à la maison, dans son cottage, entre le thé et les pâtisseries.
L’ouverture est en quatre temps : ‘Awake Awake /The Split Ash Tree/ May Carol /Southover’ mélange les genres et les époques. Un léger frottement de cordes de mandoline et quelques percussions se calent sur les premières paroles de Shirley. Le cadre se situe en 1580 et le thème du châtiment et de la colère de dieu y sont abordés. La 2ème séquence est écrite par Ossian Brown en 2015. Une vielle à roue, une cornemuse semi-longue et une mandoline installent une tension continue. Sur « May Carol » Shirley fredonne un mythe païen. Il a survécu au fil des années dans les campagnes anglaises, et se propage de porte-à-porte et de village en village. Le chant est son vecteur de transmission. Il annonce un printemps heureux et prospère. La fin du morceau – « Southover » – est magique pour celui qui apprécie le folklore. Collins est allée puiser dans le répertoire Morris de Brighton (illustré par la danse traditionnelle anglaise The Morris Dance). Pour le tableau : un tambour donne le rythme, le concertina (instrument à vent style accordéon) de John Watcham accompagne, une gigue de Glen Redman avec ses claquettes et son costume traditionnel pour l’action, et le charmant cottage de Shirley Collins pour la prise de son.
Sur « The Banks of Green Willow » elle chantonne au coin du feu une histoire troublante et brutale de croyance irrationnelle (une femme et son enfant se jettent d’un bateau pour sauver le navire et son équipage du mauvais sort). Une chanson de marin comme on en fait plus !
« Cruel Lincoln » est dans le même esprit. Une ballade folk chantée de la plus douce des façons, enregistrée dans son cottage – on y entend les oiseaux – et qui narre la vengeance d’un ouvrier maçon -Lincoln – n’ayant jamais reçu son dû après avoir construit une maison pour un seigneur. L’histoire se termine en effusion de sang : vengeance est faite. Cruel Lincoln.
Shirley Collins n’a pas oublié sa sœur Dolly décédée. « Washed Ashore » est une romance à son intention. Un air extrait d’un beau livre relié, compilant une pléthore de chansons folk, trouvé par sa sœur lors d’un car-boot sale (un type de brocante très populaire en Grande-Bretagne). C’est le dernier titre sur lequel a travaillé Doris Collins sans pouvoir l’enregistré. Ian Kearey joue paisiblement sur une guitare à résonateur (12 cordes) que Shirley accompagne de sa seule voix.
Les thèmes de la mort et de la vie sont omniprésents. Shirley Collins en est très consciente. La réinterprétation de son titre des années 70, le mystérieux et sombre « Death and the Lady », qu’elle avait enregistré avec sa sœur Dolly en atteste. L’amour, la mort et la nature sont les motifs principaux. La slide guitare et la basse ont remplacé le trombone. Ce morceau reste brillant. « Lodestar » est rempli de ballades sombres au destin tragique, de meurtres et d’impossibles rédemptions. Collins aime se faire peur. « The Rich Irish Lady » est un nouvel exemple : un notable et docteur finira par danser sur la tombe d’une jeune et riche irlandaise qui lui a refusé ses avances. On termina sur une complainte Cajun enregistrée en 1929 par un chanteur de Louisiane Blind Uncle Gaspard. « Sur le Borde de l’Eau » est son œuvre, Shirley et la guitare de Ian Kearey nous la font découvrir. Totalement minimaliste et envoûtant.
Quel petit (ou grand) enfant anglais ne rêverait pas d’une grand-mère de 81 ans musicologue et chanteuse avertie, lui glissant délicieusement à l’oreille toutes ses histoires exhumées d’un passé révolu.
Domino Records – 2016
Tracklisting :
- Awake Awake / The Split Ash Tree / May Carol / Southover
- The Banks Of Green Willow
- Cruel Lincoln
- Washed Ashore
- Death And The Lady
- Pretty Polly
- Old Johnny Buckle
- Sur Le Borde de L’Eau
- The Rich Irish Lady / Jeff Sturgeon
- The Silver Swan