Jason Lytle et ses acolytes nous livrent leur testament, un disque dont on attend beaucoup. A l’image de ce groupe timide – mais jamais timoré – Just like the fambly cat est un album qui s’apprivoise au fil des écoutes.
Grandaddy : un nom qui évoque immédiatement un univers lo-fi, tissé de mélodies et de textures singulières – ah, ces fameux claviers bizarroïdes ! Depuis The sophtware slump sorti en 2000, Grandaddy est devenu le symbole de ce qui se fait de mieux en la matière, grâce à cet album hautement mélodique et faussement introverti qui a révélé les talents de composition de Jason Lytle. Difficile de ne pas succomber au charme doux-amer de ce poète un peu bougon, avec sa voix haut-perchée et son look d’américain moyen.
Avec Just like the fambly cat, Grandaddy annonce un tournant capital – sinon fatal. Et pour cause : Grandaddy appartient désormais au passé. Leur séparation annoncée a provoqué un mini séisme en territoires folk-rock, et plus si affinités. Car mine de rien, on s’était irrémédiablement attachés à cette formation atypique. Fidèle à son rock atmosphérique sans être barbant, intimiste sans virer nombriliste, mélodique sans une once de préciosité : Grandaddy était un peu tout cela à la fois. Avec un léger pincement au coeur, Just like the fambly cat ressemble donc à l’aboutissement d’une belle odyssée, qui aura marqué définitivement le rock et nos sensibilités.
Dès l’ouverture de “What happened…?”, nous sommes transportés dans un univers étrange, à mi-chemin entre onirisme et claustrophobie. Une voix enfantine répète « What happened to the fambly cat? » en variant les intonations, avec la tenacité de ces enfants fascinés par le mystère de la vie et de la mort. Le tout sur un piano en sourdine et quelques bruitages non identifiés. A quelques exceptions près, Just like the fambly cat est à l’image de cette introduction en demi-teintes : un album pacifié, parcouru en permanence d’un souffle nostalgique. Nostalgie d’un été finissant, âme fugitive de toute rêverie introspective. Seul « 50% » – que l’on apprécie à 4,5% – fait office de parenthèse néopunk : 1.02 minutes durant laquelle Grandaddy singe les Dead Kennedys. Excepté ce break nerveux, les quinze morceaux qui composent l’album défilent dans une étonnante homogénéité, que l’on serait tentés d’attribuer à un manque de témérité. Autant vous prévenir : la première écoute déçoit un peu. Mais à la manière d’un vin qui vieillit bien, Grandaddy ne révèle ses capacités que sur la longueur.
Et ce qui apparaît au premier abord comme un répertoire sans prétention s’avère contenir un kaléïdoscope maîtrisé de styles divers. Grandaddy gagne sur tous les tableaux : pop lo-fi (« Jeez Louise »), rock us intelligent (« Summer… it’s gone » ou « This is how it always starts » ou « Where I’m anymore » qui rappellent le dernier opus de Nada Surf), space-rock (« Elevate myself », « Disconnecty »), plage instrumentale (« Skateboarding Saves Me Twice ») et même ballade un peu mièvre (« Cambershell dreams »). Une même impression ressort toutefois : Jason Lytle semble ne chanter que pour nous. Il suffit de s’imprégner de la pulsation de « Jeez Louise » – avec ses grosses guitares dissonantes – pour recevoir sa voix comme une bénédiction, un baume qui devient rapidement indispensable. Ou de s’émerveiller devant la langueur crépusculaire de « The animal world », et nous voilà face à un ciel traversé de comètes. Le temps d’une piste planante, Grandaddy marche sur les plates-bandes de Air.
Tout est question de patience, pour savoir déceler dans cette succession fluide des bijoux de compositions qui feront la postérité de Grandaddy. Jason Lytle chante sur « Cambershell dreams » : « You don’t have to be alone anymore, good company’s a gift. » Sûr qu’en si bonne compagnie, le rock atmosphérique a de beaux jours devant lui.
-Lire également la chronique de Sumday (2003)