Un an après la découverte du magnifique Just Another Ordinary Day, le montréalais Patrick Watson nous revient avec un album paradisiaque qui tutoie les plus hauts sommets de la pop.
Comme une bouteille jetée à la mer, recelant quelque obscur secret, le nouvel album de Patrick Watson s’est échoué sur la plage de notre imaginaire. S’est déversé alors un cortège de mélodies qui se sont mises aussitôt à tourner dans notre tête comme un petit train électrique échappé d’un monde d’adultes, trop adultes. A l’instar du précédent Just Another Ordinary Day, le nouvel album du pianiste canadien défait le monde pour mieux en imposer un autre, volontiers enchanteur et onirique, parcouru de beaux frissons et de chausse-trappes. Ne pas croire qu’écouter Close To Paradise est toutefois réservé au seul enfant qui sommeille en nous. Le paradis n’est pas là, dans cette enfance qui se meut à l’abri d’un corps trop grand pour elle afin de persister à croire qu’elle existe encore. Non, le paradis est ailleurs, peut-être dans cette cité (celle de la pochette du disque) faite de bric et de broc, de pièces rapportées, détournées par la seule loi d’un imaginaire débordant et accompli qui n’en aurait pas fini de composer avec l’enfance.
Depuis Just Another Ordinary Day (sorti initialement au Canada en 2003), Patrick Watson (26 ans) a grandi. Sa musique, pourtant déjà étonnamment mature, a atteint un nouveau pallier que seuls les plus grands réussissent à franchir un jour. Cette ascension personnelle, Watson la doit aussi beaucoup à la présence à ses côtés de musiciens fidèles et bienveillants, sans lesquels il n’aurait sans doute pas donné des ailes à ses rêves d’enfant : Simon Angell (guitares), Mishka Stein (basse) et Robbie Kuster (batterie). Ce trio d’amis, avec qui il joue depuis de longues années, a participé activement à la composition des treize titres de Close To Paradise, enregistrés pour la plupart loin des terres canadiennes, dans un studio à New York. La bande à Watson s’est également enrichie d’un ensemble de cuivres et de cordes, des voix de Katie Moore et Elizabeth Powell (chanteuse de Land of Talk), et du génial roi des platines Amon Tobin (présent sur trois titres). Et voilà tout ce petit monde embarqué pour une heure de musique panoramique dans un wagon rutilant, forcément en première classe, qui traverse des contrées répertoriées sur aucune carte, dévale des pentes mélodiques à n’en plus finir et arpente avec pugnacité des sommets harmoniques voluptueux.
Il faut probablement être un peu fou pour vouloir faire rentrer un train dans une bouteille (cf. la pochette encore). Il faut probablement l’être aussi pour faire tenir dans un album les Pink Floyd, Jeff Buckley, Paul McCartney et Eric Satie. On imagine que ces derniers auraient des choses à se dire, mais combien cela serait une insulte à leur immense talent que de les calfeutrer, une fois encore, dans un espace référentiel aussi restreint – quand bien même cette humble demeure leur offrirait une vue imprenable sur la mer. Mais, voilà, Watson réussit l’impossible. Celui-là se permet des impertinences que sa seule imagination débridée lui autorise. Sa musique, parée des qualités de ses maîtres à composer, est admirable de délicatesse et d’inventivité. On en finit presque par oublier tous ces noms prestigieux qui peuplent cette bouteille pour ne plus entendre que les merveilles musicales, inféodées à la seule singularité, qui s’en échappent. Et cette voix, que les sirènes, jalouses, dit-on, chercheraient à masquer en versant des flots de larmes. Leur défaite est sa victoire. Notre victoire aussi. Peu de fois nous aurons entendu cette année pareil chant, voguant entre les écueils de l’emphase et du mimétisme (Buckley), sans perdre le cap de la justesse de ton, à nous laisser choir d’émotion.
Alors que certains musiciens traînent leur lot d’enchantement comme un boulet dont ils ne savent en définitive que faire, Patrick Watson surnage dans la pop orchestrale hyper arrangée avec la légèreté de celui qui regarde ses rêves à travers le verre déformant d’une bouteille, sans chercher à leur donner absolument un sens. Quelque chose échappe et fascine dans l’univers de Close To Paradise, que le seul mot « mystère » ne saurait contenir, s’évapore, et ce qui importe alors est que soit restituée concrètement, musicalement, la possibilité de ce vacillement des choses (du réel ?). Fantasme d’une musique qui s’accommode au fond moins des restes et des emprunts qu’elle ne vise à rester et tracer des empreintes, bouleverser l’auditeur, durablement, sans rien renier de sa part d’ombre, de ses plongées en eaux troubles et des lacunes de sa mémoire. Le secret est derrière la porte, au bout des rails. Le sien, le nôtre. Où nous emmène ce train ? Vers quels rivages d’un âge perdu ? Au dos de la pochette du disque, on remarquera que les titres sont présentés dans l’ordre inverse, de haut en bas et du dernier au premier. Ce train remonterait-il le temps ? Il y a fort à parier que la réponse se trouve dans la bouteille. Mais qui osera raisonnablement l’ouvrir ?
– Le site de Patrick Watson.
– La page Myspace de Patrick Watson.
– Le site de Secret City.