C’est dans les locaux de Beggars que nous avons rendez-vous avec Neil Halstead. En cette fin de journée, la tête pensante du groupe Mojave 3 commence à ressentir la fatigue des interviews à répétition, mais reste toujours courtois et disponible. A 32 ans, ce jeune homme qui a commencé à jouer au sein de Slowdive il y a de cela quinze ans (faites le calcul !) vient d’enregistrer son meilleur album à ce jour, le sublime « Spoon and Rafter », ce qui n’était pas une mince affaire vu la qualité des œuvres précédentes. Notre homme est un peu surpris de voir la discussion bifurquer sur son premier et emblématique groupe, mais en parle avec une générosité et une pince de nostalgie non feinte.
Pikushion : L’année dernière paraissait ton premier album solo Sleeping on Roads. Quelques journalistes anglais avaient alors écrit que c’était la fin de Mojave 3. Peux-tu nous éclaircir là-dessus ?
Neil Halstead : Je n’ai jamais lu ça. C’est probablement faux ! (rires). A l’époque je n’avais pas vraiment l’idée d’un disque solo, j’avais juste ces chansons en stock. Avec Mojave 3, nous venions juste de terminer la tournée d’Excuses for Travellers.
Tu sais, c’était juste quelque chose d’autres à faire ensuite : enregistrer quelques chansons heureuses avec des amis. J’avais quelque chose comme six ou sept morceaux assez personnels que je gardais pour moi. Et puis on m’a posé la question, veux-tu sortir un album ? J’ai dit finalement ok. Mais ce n’était pas quelque chose de calculé. Mojave 3 a toujours été ma priorité.
Mais tu écris toutes les chansons au sein de Mojave 3. Aurais-tu pu enregistrer ces chansons avec Mojave 3 ?
Oui, mais les chansons sont assez différentes à la base. Avec Mojave 3, je n’avais jamais utilisé par exemple des parties de guitare picking, ce genre de choses. Ce n’était pas vraiment quelque chose qu’on faisait particulièrement avec Mojave. Mais nous aurions pu le faire et cela aurait sonné complètement différemment.
Spoon and rafter est le quatrième album de Mojave 3. Qu’est-ce qui a changé dans le processus d’enregistrement depuis le premier album ?
Déjà, il y a beaucoup plus de personnes dans le groupe. Pour le premier album, nous étions seulement trois et avions enregistré en trois jours. Pour Spoon and Rafter, nous sommes maintenant sept. Nous avons commencé à écrire l’album en janvier l’année dernière juste avant que mon album solo sorte. Mais nous n’avons pas vraiment poussé l’écriture jusqu’au bout et avons préféré repartir en tournée.
Nous sommes ensuite retournés en studio en décembre pour terminer l’album en mars. C’est une période assez longue de transition mais je pense que cette pause a été bénéfique, car cela nous a permis de modifier les arrangements et d’avoir un peu de recul. Nous avons passé en tout probablement trois mois complètement en studio.
Avais-tu déjà écrit les chansons avant de rentrer en studio ?
La plupart des chansons étaient déjà écrites. Je veux dire…j’écris des chansons tout le temps. Alors quand nous devons retourner en studio, je ressors une poignée de chansons que j’ai écrites depuis les six derniers mois, voire plus. Nous avons enregistré quelque chose comme cinq ou six morceaux durant la première session studio. Quand nous sommes revenus, nous avions encore plus de morceaux. Liyan (Forrester, pianiste) et moi avons beaucoup travaillé sur les chansons. C’est une sorte de développement, en quelque sorte.
Spoon and rafter semble bien plus léger au niveau des ambiances, il se dégage quelque chose de serein. Mais en même temps, les paroles sont toujours très tristes.
Oui, je pense que certains textes sont assez tristes. L’ambiance est assez mélancolique dans l’ensemble. Peut-être aussi que certaines chansons parlent de cœur brisé de différentes façons. Tu sais, je pense qu’il y a une grande quantité d’émotions que l’on peut faire passer à partir de ce seul sentiment.
Les chansons sur Spoon and Rafter plus pop que précédemment, ou du moins, de plus en plus arrangées. Certains morceaux rappellent même Mercury Rev.
Vraiment ? J’aime beaucoup le genre de musique que font des groupes comme les Flaming Lips, Mercury Rev, mais aussi Neil Young. Forcément, je pense que cela doit se ressentir à un moment donné dans la musique de Mojave 3. Les chansons sur cet album ont connu un processus long d’enregistrement et si tu écoutes les démos, elles sont méconnaissables.
Beaucoup aussi ont été écrites au piano, ce qui est assez différent pour moi parce que je compose généralement à la guitare. Les clés mélodiques au piano sont différentes et donc influent sur la composition en l’orientant certainement vers un son plus pop.
En même temps, ces chansons sont très spontanées, nous n’avons pas établit un quelconque plan de route avant de rentrer en studio qui consistait à dire : « je veux sonner comme ceci ou cela ». Non. Je pense que quand tu enregistres un disque, tu accumules un maximum de choses qui viennent d’un peu partout autour de toi. Il y a par exemple sur cet album quelques éléments empruntés aux Beach boys. Certaines harmonies leur sont directement inspirées, ce qui fut une chose très agréable à faire en studio.
La première chanson de l’album, « Bluebird of happiness » est un très beau morceau qui s’étire sur plus de 9 minutes. C’est un peu la pièce de résistance de Spoon and Rafter, non ?
Mouai, c’est probablement ma chanson préférée sur l’album. A l’origine, c’était vraiment ce que l’on peut appeler une pop-song. Puis elle a évolué petit à petit vers quelque chose d’autre. Nous avons passé énormément de temps sur cette chanson à changer les arrangements et travailler les différentes parties. Il a fallu un temps fou pour les mettre ensemble. Au vu du résultat, je pense que nous avons abouti à une sorte de mini-symphonie, ce qui n’était quelque chose dont nous pensions au départ.
C’est un peu comme ses Sea Monkeys que tu mets dans l’eau (NDLR : des sortes de graines d’extraterrestres que les enfants s’amusent à faire pousser dans l’eau, très à la mode en Angleterre). Tu les achètes dans des pet shop et plus tu accumules du matériel plus ça pousse ! C’était un peu le même processus pour « Bluebird… »(rires).
Nous sommes arrivés à un point où nous étions contents du résultat. Malgré son aspect plus sophistiqué, cette chanson ne se différencie pas vraiment du reste de l’album, c’est encore une chanson parlant de cœur brisé, tu comprends…
As-tu récemment écouté l’hommage à Slowdive sorti récemment sur Morr Music ? Qu’en penses-tu ?
Oui, j’ai écouté. Il y a vraiment de très bonnes choses là-dedans… (silence) C’est assez effrayant en fait, car assez étrange d’écouter ses chansons retravaillées par d’autres musiciens. J’aime vraiment ce qu’ils ont apporté à notre vieux répertoire, certaines sont même largement meilleures que les originales ! (rires)
Le deuxième CD de la compilation était davantage inspiré par l’esprit de Slowdive.
Oui ! Je n’avais pas vraiment réalisé cela à l’époque ! En tout cas, c’était une chose marrante à faire. Et assez effrayante à entendre, encore une fois !
Thomas Morr, patron du label Morr Music, avait récemment envisagé de rééditer le catalogue de Slowdive, à l’origine chez Creation, sur son propre label. Quand est-il exactement ?
Et bien en fait, le catalogue de Creation est désormais détenu par Sony – les albums de Slowdive inclus. Ces albums ne nous appartiennent donc plus. Nous essayons de négocier avec Thomas et c’est vraiment difficile de trouver la bonne personne à qui parler pour essayer de faire avancer les choses. On ne sait pas vraiment qui détient les droits des masters de Slowdive (visiblement irrité).
Je pense que ce serait vraiment une bonne chose que les albums de Slowdive soient réédités. Nous essayons de faire en sorte que ce soit possible, mais je ne sais vraiment pas si nous y arriverons, vu la situation actuelle qui semble un peu bloquée. Tu dois essayer de faire avec cette énorme organisation, et on ne sait vraiment pas comment s’y prendre…
Et tu n’as pas ton mot à dire la-dedans ?
Non, pas vraiment. On a envisagé une sortie nationale en Angleterre, mais pour que cela se fasse, il faut attendre que ce soit à mon tour de parler et le tour de chaise est long…
Dans ce cas de figure, même un Best Of ne peut pas être envisagée ?
Ce serait vraiment la dernière des possibilités. Pour être honnête, je ne pense pas que ce serait une bonne idée de faire ce genre de compilation. Ce serait mieux pour Slowdive de pouvoir ressortir nos albums.
Musicalement parlant, je me suis toujours demandé ce qui t’as poussé à opérer ce virage à 180° après Slowdive. Etais-tu dégoûté par les guitares électriques ?
Quand nous avons fait Pygmalion, le dernier album de Slowdive – un album très influencé par la musique électronique – j’en étais arrivé à un point où j’avais besoin d’une musique faite d’âme. C’est vraiment plus facile de s’identifier à quelqu’un en train de jouer avec une guitare acoustique, tu as l’impression d’être dans la même pièce que lui. Cet aspect de la musique, les chansons, me manquaient terriblement et c’est la raison principale pour laquelle nous avons essayé de faire autre chose avec Mojave 3, davantage axé sur les sentiments.
Ce n’était pas vraiment une réaction à l’électricité, mais je pense que c’était en parti à cause de ça. Tout ce que j’écoutais à l’époque me paraissait froid, et c’était un peu une réaction par rapport à cet environnement. J’ai comme ressenti l’impression que la musique perdait de son âme. J’aime toujours la musique électronique, mais je pense qu’elle a besoin de rester humaine, faites avec le cœur. Pour moi à l’époque, jouer dans Mojave a été comme redécouvrir les chansons.
Pourrais-tu envisager dans le futur d’avoir le besoin de rebrancher ta guitare électrique ?
Je ne sais pas ! (Rires) Nous ne planifions rien dans Mojave 3. Nous essayons de retranscrire ce qui nous excite sur le moment. Je ne veux pas dire que cela n’arrivera jamais. Il faut juste que j’en exprime le besoin au moment donné. Peux-être bien un de ces quatre ! (rire)
Enfin pour terminer, est-ce que tu peux commenter rapidement les albums de Slowdive ?
Blue Day EP (1992) : Wow ! Je n’ai pas vu cet album depuis si longtemps. (Il regarde longuement la pochette). c’est une compilation de quelques EP que nous avions sorti avant le premier album. Pour moi, c’est assurément le matériel le plus excitant que nous avons enregistré avec Slowdive. C’est très spontané.
Just for a day (1991) : C’est notre premier album. Ecrit et enregistré en six semaines. Il y a des chansons, mais aussi beaucoup de passages ambiant. Dans l’ensemble, je suis moins satisfait de cet album que de nos Eps que nous avions fait auparavant.
Souvlaky (1994) : Celui-ci a été vraiment pénible à enregistrer, un vrai cauchemar. Nous avons mis beaucoup de temps à tester plein de studios avec différents producteurs. Le résultat n’est pas très cohérent, mais il y a tout de même quelques bonnes chansons.
Pygmalion (1995) : Je pense que nous avons effectué sur celui-là notre travail le plus complet, en tant qu’album. On a passé beaucoup de temps à construire des loops électroniques. Au final, on avait stocké une tonne de matériel.
Le résultat est très différent de Souvlaky…
Oui, entre Souvlaky et Pygmalion, nous étions vraiment branché sur la musique électronique. Nous avons effacé les parties de guitare (rire) ! Je pense toujours que c’est un disque intéressant. Cette chanson, « Blue Skied an’clear », j’en garde un bon souvenir plus particulièrement.
Récemment, je surfais sur E-bay.com et quelqu’un vendait cet album 50 pound !
Nous n’avons jamais sorti cet album aux Etats Unis. Je sais qu’il y a beaucoup de copies qui circulent par ce biais. A l’avenir, si nous avons la possibilité de ressortir les albums de Slowdive, nous passerons en priorité Blue Day et Pygmalion.
Mojave 3, Spoon and Rafter (4AD/Beggars)