La canadienne Julie Doiron nous convie à passer un (court) moment dans un intérieur rétro. Et trouve, dans ce cocon désuet, le juste équilibre entre poésie et folk lo-fi.
Un premier regard jeté sur la pochette de Woke Myself Up: nous voilà en terrain connu, face à un papier peint désuet aux entrelacs moutarde, semblant provenir de l’intérieur lambda des années 70. Sur le petit guéridon trône un vinyle visiblement voilé, qui nous interpelle de ses sillons aléatoires. En hors-champ, deux tableaux d’un kistch assumé – des «Bunny portraits» – un ampli et une guitare. Cette installation, digne d’un artiste conceptuel qui dénoncerait sans doute une certaine nostalgie, est pourtant assez représentative du micrososme que Julie Doiron s’évertue à dresser depuis une dizaine d’années déjà. Un petit cocon singulier, qui doit beaucoup à ses héros de toujours – de William S. Burroughs à Neil Young – et dont émane immédiatement une impression ineffable de familiarité.
Pour Woke Myself Up, cette agréable sensation se mue plus que jamais en une affection spontanée, entière et sans concession. C’est difficile en effet de ne pas fondre devant la sincérité de cette fille toute simple, aussi à l’aise à la guitare, au chant qu’à la composition. Julie Doiron est associée, qu’elle le veuille ou non, à une certaine scène lo-fi, qui mise sur la réduction drastique des artifices de production au moins autant que sur la qualité des textes. Woke Myself Up révèle à ce sujet quelques belles démonstrations d’un songwriting traversé d’une réelle humilité. Mais si Julie Doiron se montre très à l’aise avec les codes du folk, elle réussit néanmoins le prodige de livrer un album aux antipodes d’une rumination stérile et pulvérise ainsi les clichés du genre, grâce à une musique directe, étonnamment légère et abordable. “Woke Myself Up” est un bon exemple de ce folk, à la fois accessible et exigeant. Les accords monotones, voilés de distorsion, définissent le cadre instrumental sur lequel se découpe la voix fluide et aiguë de Julie Doiron, qui présente plus que jamais une parenté vocale avec Chan Marshall.
Avec “You Look So Alive”, elle rend une fois de plus un hommage à Neil Young, à travers la beauté caressante des guitares acoustiques, en arpèges, en accords ou en soli. D’autres morceaux s’inscrivent dans cette tradition assez orthodoxe d’un folk épuré : “I Left Town”, “Me And My Friend” ou le morceau caché qui lui succède par exemple. Mais Julie Doiron ne s’endort jamais sur ses lauriers (du folk) et initie bientôt une rythmique ternaire (“Swan Pond”), qui donne un éclairage nouveau à ses arpèges en mode mineur. Comme souvent, le refrain, pièce centrale de la composition, est mis en relief, tant au niveau pictural – il est souvent détaché du reste du corps textuel – que musical : sa voix se découpe sur l’instrumentation, un instant en suspens. “Yer Kids” semble témoigner d’une humeur soudainement proche de la neurasthénie, suggérée par quelques notes égrenées à la guitare. Mais l’impression est trompeuse, car Julie reprend du poil de la bête, aidée par les intrusions bruitistes, quoique discrètes, d’une guitare tout droit sortie de ses premières amours – au temps où, au sein de Eric’s Trip, elle marchait sur les pas de Sebadoh. (“Don’t Wanna Be Liked By You”).
Tous ceux qui se montrent encore réfractaires à son charme gracile pourraient bien changer d’avis à l’écoute de “No More/ No More”, parfait morceau qui érige une passerelle entre l’univers de Cat Power et la planète de Laura Veirs, grâce à des riffs précis, des arpèges de haute-voltige et des choeurs timides. “The Dark Horse”, enfin, est une ballade parfaite, où la voix détachée de Julie Doiron fait, une fois de plus, des ravages, tandis que celle-ci nous toise malicieusement de son oeil de biche.
A l’écoute de Woke Myself Up, on se sent immédiatement chez soi, bercé par sa voix claire, et ses compositions comme autant de vignettes fantasques. Un prétexte charmant pour savourer à leur juste valeur nos derniers jours de cocooning.
– Le site du label