Une découverte posthume d’un album vibrant et inédit du songwriter américain Jason Molina.
Jason Molina n’a pas fini d’attiser nos regrets. Ceci, 7 ans après son décès tragique à l’âge de 39 ans des suites d’une longue période d’addiction à l’alcool.
En 2009, diminué, le leader habité de Magnolia Electric Co. et Songs: Ohia est alors délocalisé à Londres où il vit depuis quelque temps et où il conçoit et enregistre cette ultime (?) collection.
Cette session d’enregistrements complète résonne aujourd’hui d’un éclat tout particulier, et reste totalement intemporelle. Dépouillées de tout effet, ces « nouvelles » compostions magnétiques feront vibrer tout aficionado sensible à sa musique épurée et folk. Irradié d’un spleen cristallin, chargé à plein de mélancolie, ce disque miraculeux est très certainement un adieu définitif. On va donc en apprécier chaque recoin.
Une décennie plus tard, le producteur et ingénieur du son Greg Norman, avec qui Molina avait travaillé sur Fading Trails et sur les sessions de Josephine, a finalisé avec beaucoup de respect et d’émotion le mixage des masters originaux ; ceci en se conformant scrupuleusement au travail commun entrepris dans le petit studio mansardé londonien de New Air. C’est même un respect total du producteur et ami.
Outre Molina et Norman (basse, guitare), s’ajoutera Chris Cacavas (The Dream Syndicate, Green on Red) aux claviers et la guitare. Ce comité réduit (sans doute la clé de cet enregistrement au final magiquement juste et affecté) fut sporadiquement visité par quelques musiciens du cru qui ont apporté une touche supplémentaire et intime par l’ajout parcimonieux de violoncelles et de violons
Londres sera donc le théâtre des inspirations de Jason Molina. Alternant les longues déambulations dans la ville à la recherche d’une atmosphère, d’un relâchement psychique ou d’un signe, et le travail en studio, Molina va chercher, imaginer et finalement débusquer une porte d’entrée : la 8ème porte en référence aux 7 portes de Londres (The Seven Gates of London) qui encerclaient la ville à l’époque romaine.
Cette entrée mythique et illusoire lui apportera l’inspiration, peut-être aussi un semblant de paix intérieure voire même une échappatoire. Car cette période n’est pas la plus sereine pour le songwriter de l’Ohio. Dans l’impossibilité d’assurer des concerts Molina prétexta même d’avoir été mordu lors de son séjour précédant en Italie par une araignée d’une espèce inconnue. Le venin inoculé et circulant dans son corps l’affaiblissant beaucoup. Mythe ou réalité ?
L’intention première de Molina était d’enregistrer dans un endroit isolé ou dans une église. Ce souhait ne sera pas exaucé, mais le résultat est au final immergeant et reste donc très fidèle à ce postulat. L’économie de moyens (humain et instrumental) se reflète tout au long de ces 9 et courtes compositions. L’émotion en est d’autant plus palpable. On imagine alors Molina dans le studio d’enregistrement exigu de John Reynolds (Sinead O’Connor) entouré de ses amis musiciens et se jouant des effets, du silence et de l’emploi idoine et économe de chaque instrument.
Cet opus d’à peine 30 minutes est hanté par sa voix pure, douce et affectée. Austères et mystérieuses les chansons exacerbent un sentiment d’isolement et s’écoutent religieusement dans sa bulle. Sa musique est ascétique et mélancolique. De courtes incursions de dialogues entre Molina et ses musiciens (on entend Molina entre autre clamer : « Everybody shut-up, it’s my record ») augmentent ce sentiment de proximité.
Une grande solitude affleure de cet enregistrement palpable dès «Whisper Away». Encadré par des chants d’oiseaux salvateurs n’infléchi pas le climat très tourmenté de ce titre. «Shadow Answers the Wall» fait illusion et semble se refaire une santé avec sa rythmique accentuée et lente ; mais il est vite magnifié par l’épuré et le profond «The Mission’s End». «Old Worry» exhale le même souffle insondable mais la guitare est remplacée par un bien triste violoncelle. Cette noirceur bien tangible est régulièrement soulevée par le vrombissement continu d’un clavier ou d’un orgue funeste.
Chacune des compositions s’enchainent rapidement et ne dépassent que très rarement les 3 minutes. Naturellement nous vient la pensée d’un album pas totalement achevé, mais le premier concerné, Greg Norman, nous certifie du contraire.
On atteint donc bien vite le magnifique «The Crossroad + The Emptiness» ultime morceau dénudé à la noirceur implacable. Une conclusion mystérieuse et élégiaque, comme son auteur.
Trackisting :
Whisper Away
Shadow Answers the Wall
The Mission’s End
Old Worry
She Says
Fire on the Rail
Be Told the Truth
Thistle Blue
The Crossroad + The Emptiness