C’est une période charnière pour Gravenhurst, peut-être l’heure d’une reconnaissance plus grande après deux albums confidentiellement cultes. The Western Lands, Isturiale mystérieuse, glane les bonnes critiques comme le fleuriste croule sous les commandes au printemps. Peut-être que l’on s’avance un peu vite, mais quelque chose est en train de se passer. En tout cas avec nous certainement. Rencontre avec ce jeune homme souriant (si ! si !) à la terrasse de la salle parisienne de la Maroquinerie, quelques heures avant d’ouvrir pour Animal Collective.


Comme à mon habitude, je galère avec mon dictaphone à cassette. Nick Talbot s’en amuse, et nous en venons à discuter enregistrements Lo-Fi. Après s’être découvert une passion commune pour Guided By Voices, nous voilà en train de surenchérir d’éloge chacun à notre tour sur Bee Thousand. Si bien que j’en oublie d’enclencher ce satané enregistreur. Record.

Nick Talbot : J’ai eu une fois l’occasion de faire le rock critic, on m’avait proposé de rencontrer les Movietones. L’entretien terminé, je me suis rendu compte que l’enregistrement n’avait pas fonctionné sur mon mini-disc, il fallait refaire l’interview, reposer les mêmes questions. Je n’ai jamais été aussi embarrassé de ma vie…

As-tu déjà visité Paris ?

La seule chose que je n’aime pas à Paris, ce sont les parkings. Animal Collective a tourné durant une heure cet après-midi avant de trouver une place pour se garer à côté de la salle. Nous, nous avons été plus chanceux cette fois. Il y a quelques années, nous jouions dans la même salle avec Belle & Sebastian, et nous en avons fait les frais. A tel point que nous avons été obligés de garer le bus à l’aéroport Charles De Gaulle et rejoindre la salle en taxi. C’était ridicule.

Etes-vous toujours trois sur scène ?

Quatre. Alex nous a rejoints, nous avons deux guitares maintenant dans le groupe. Nous avons longtemps joué sous forme de trio, mais le nouvel album est bien plus complexe avec beaucoup de sons. Nous étions arrivés à un point il y a trois mois où, lorsque nous avons commencé à répéter, il était devenu impossible de retranscrire l’album seulement à trois. Certaines chansons auraient probablement nécessité l’apport de huit ou neuf musiciens, mais nous avons un peu simplifié la chose. Une chanson comme “She Dances”, sur le nouvel album, contient énormément de parties de guitares. Sur “Hollow Men”, il y avait quelque chose comme 36 pistes à enregistrer, c’était devenu un peu ridicule. Un truc piqué à Kevin Shields…

Justement, ce titre, c’est ton hommage à My Bloody Valentine ?

Non, je vois plutôt cela comme un emprunt (sourire). Oui, c’est définitivement un hommage, des idées que j’ai volées de chansons, l’accordage, les trémolos. La façon dont je le figure, c’est qu’actuellement personne d’autre ne reprend My Bloody Valentine. La plupart des groupes anglais calquent leur son sur Gang Of Four. C’est ma façon d’aller à contre-courant (sourire).

Connais-tu Asobi Seksu ? C’est un groupe new yorkais qui a signé en Angleterre sur One Little Indian. Ils sonnent comme My Bloody Valentine, c’est très spectaculaire.

Vraiment ? il faut que je me procure ça.

Il y a eu une cassure depuis Fires in Distant Buildings, en passant du folk à l’électricité. Est-ce que c’était une évolution naturelle ?

Il y a eu un tournant avec le EP Black Holes in the Sand, un mini-album auquel j’ai apporté sur une chanson folk comme “Flashligh Season” un côté noisy. Sur Fires in Distant Buildings, mon batteur Dave et moi, je pense que nous avons exploré un aspect plus rock. Nous avons beaucoup répété et c’est devenu de plus en plus puissant. Pour le nouvel album, l’enregistrement s’est échelonné sur deux ans. Nous n’avons pas de studio professionnel, nous avons enregistré l’album par nos propres moyens. C’est dur de se rappeler quelles sont les raisons qui nous ont poussés à aller dans telle ou telle direction. Mais je pense que les choses sont venues de façon plus cohérentes. Nous avions beaucoup expérimenté sur Fires in Distant Buildings, avec ce nouvel album nous nous sommes en quelque sorte plus concentrés sur les chansons. De plusieurs manières, The Western Lands est un disque plus accessible, plus pop mais cela reste quand même noisy.

Il y a cette chanson folk, “The Collector” placée à la fin de l’album. Pourquoi l’avoir reléguée sur la dernière piste ?

La raison est que cette chanson est écrite avec le même point de vue que la première, “Saints”. La chanson parle de la même personne, je voulais en quelque sorte clôturer le disque en le reliant avec le début. Cette chanson, “The Collector”, je l’ai écrite en 2000. Certains chansons découlent d’un long processus. “She Dances”, la seconde chanson de l’album, j’en ai écrit la première partie en 1997 et je ne l’ai pas terminée avant l’année dernière. Parfois, certaines idées restent étrangement inabouties et puis un jour tout s’assemble pour l’enregistrement d’un disque. “Trust” et “Hourglass” ont été composées l’année dernière au cours de l’écriture de l’album. Beaucoup de groupes écrivent un album, enregistrent, puis font la promotion et tournent. Pour moi, ma façon de travailler ne fonctionne pas vraiment comme cela. J’ai des idées qui remontent à très longtemps, des chansons qui traînent toujours. Généralement, j’aime trouver le nom de l’album en premier, puis ensuite je commence à écrire les titres des chansons, j’aime le son des mots. J’aime que les paroles inspirent dans un certain sens ma musique.

Nick Talbot


J’ai lu dans un entretien donné pour le précédent album que tu décrivais le prochain comme un mix entre une bande son de film d’espionnage et de la musique krautrock. A entendre The Western Lands, ce n’est pas encore exactement cela (rires).

Il y a des éléments de film d’espionnage. Je trouve que par exemple “She Dances” a quelque chose comme ça. Mais lorsque tu es en plein milieu d’un processus d’écriture d’album, tu n’es pas entièrement certain de comment il va sonner. Tu t’accroches juste pour essayer de trouver quelque chose à dire, la première chose qui te passe par la tête (rires).

Par contre, sur la chanson “The Western Lands” on perçoit une très nette influence Morriconnienne plongée dans un bain cold wave.

Oui, clairement. Un ami à moi décrit cette chanson comme du « Krautrock à Ok Corral » (rires). Il y a une partie très lumineuse qui ressemble à du Calexico, puis la seconde partie se veut plus shoegazing. Les deux imbriquées fonctionnent plutôt bien.

Ma chanson préférée de l’album, “Farewell, Farewell”, est une superbe reprise d’une chanson de Fairport Convention.

Oui, c’est une chanson tirée de Liege & Lief, Sandy Denny chante dessus. La mélodie est basée sur une vieille chanson folk de Willie o’Winsbury. Richard Thompson a conservé la mélodie mais a changé les paroles. C’est une chanson qui sonne très folk, mais j’ai voulu enlever cette sonorité tout en conservant la mélodie et la transposant sur une production « shoegazy », quelque chose qui s’en rapproche en tout cas. Et ce ne fut pas une tâche facile d’y arriver.

Les textures sonores dessus, sortes de vagues de larsen, sont vraiment superbes.

J’ai essayé de rendre cette chanson aussi noisy que possible, rendre l’ambiance très organique, comme si nous étions branchés sur un 4 pistes.

Ta voix est aussi étonnement féminine…

Oui (rires). Sandy Danny est ma chanteuse préférée. La chanson “She Dances” parle d’ailleurs d’elle.

Dans quelle matière tires-tu ton inspiration pour écrire tes paroles ?

C’est très difficile à dire. Lorsque je regarde un film ou je lis un roman, je note juste des mots… Je ne sais pas, l’ambiance qui se dégage est très importante pour moi. C’est très impressionniste comme approche. Je n’essaie pas de m’assoir et raconter une histoire sur quelqu’un, c’est davantage sur une question spécifique. Ce que la chanson raconte se développe au fur et à mesure que je l’écris. Je l’ai expliqué dans la bio de presse fournie avec l’album… La période est tellement longue entre le moment où j’écris et lorsque le disque sort, que parfois je ne peux plus me rappeler vraiment de quoi il est question dans mes textes. Mais “She Dances” est sur Sandy Denny. Elle avait une personnalité autodestructrice, et surtout elle avait une voix incroyable, hors du commun.

Dans une moindre mesure, ton passage du folk à l’électricité sur l’album précédent pourrait s’apparenter à Dylan, qui avait été qualifié de Judah dans les années 60. Est-ce que ce tu as ressenti une certaine incompréhension à ton égard à cette période ?

C’est compréhensible que certaines personnes s’attendaient à ce que Fires in Distant Buildings soit dans la lignée de mon premier album Flashlight Season, et ce n’était pas le cas. Je fais toujours quelques concerts acoustiques en solo à l’occasion, et je ferais probablement une tournée solo un peu plus tard. Lorsque je me produis ainsi, je joue des morceaux bien plus calmes. D’ailleurs demain, je fais un concert solo pour la radio où je vais interpréter quelques chansons de l’album en version acoustique. Des gens m’ont tourné le dos en s’attendant à ce que le disque soit calme, peut-être que ce n’était pas juste, peut-être que nous n’étions pas juste par rapport au public. Je ne sais pas…

Comment réagit le public actuellement ?

Plutôt bien ! Beaucoup de personnes nous sont restés fidèles, ont assisté à notre évolution. Nous jouons de cette manière puissante depuis deux ans maintenant. Si les gens se procurent Fires in Distant Buildings, ils savent qu’il y aura beaucoup de compositions puissantes.

Les gens te décrivaient comme un folksinger du temps de ton premier album, et maintenant tu es passé à l’électricité, ils sont embarrassés, ils ne savent plus dans quelle catégorie te ranger. Te considères-tu comme un folksinger ?

Pas vraiment. Parce que pour moi, le mot folk music signifie vieille chanson traditionnelle, comme “Farewell Farewell”. Le problème est que dès que tu joues avec une guitare acoustique, les gens t’assimilent à la folk music. Je n’ai pas vraiment été dans le trip folk, j’ai découvert assez tard Fairport Convention. Lorsque j’ai enregistré Flashlight Season, je n’avais jamais écouté Fairport Convention.

Oui, mais il y a des artistes comme Richard Thompson ou John Martyn qui sont toujours catalogués folksingers alors que leur champs d’expression va plus loin, du rock en passant par le jazz…

C’est vrai, mais ces artistes-là appartiennent à la génération des années 60. Je ne sais pas (silence). Peut-être que les gens veulent entendre chaque fois la même chose. Mes albums se doivent d’être différents du précédent. Si je refaisais le même disque, ça n’aurait aucun sens pour moi.

Tu préférerais plutôt être considéré comme un songwriter.

Je suppose oui. La grande partie de ma collection de disques est indie rock. Les groupes avec lesquels j’ai grandi sont My Bloody Valentine, The Smiths, Sonic Youth… A l’époque de Flashlight Season, ces chansons sortaient de ma chambre, enregistrées avec seulement une guitare acoustique et un équipement dérisoire, juste un micro. C’était la seule technologie que j’avais à disposition à l’époque. Je ne pouvais pas enregistrer un album puissant ainsi. Tu ne peux pas vraiment faire un disque de rock si tu l’enregistres toi-même. C’est ainsi que ça s’est passé pour moi, je n’avais pas vraiment le choix.

Je trouve que ton écriture et ton évolution se rapprochent beaucoup de ce qu’a pu faire Mark Kozelek à ses débuts.

Mark Kozelek est stupéfiant. Une chose qui est particulièrement impressionnante à son sujet, c’est qu’il est capable de faire une reprise et de la transformer littéralement. Il avait fait un album entier de reprises d’AC/DC et ça sonnait comme du Red House Painters ! Il change complètement les structures. Son approche a eu une influence sur moi, j’essaie de faire des reprises différentes. C’est ce qui s’est passé avec “Diane”, une chanson d’Hüsker Dü que j’ai revisitée à la manière d’une chanson folk (ndlr : sur le EP Black Holes in the Sand), ou encore les Kinks que j’ai essayé de faire sonner comme du Velvet Underground (ndlr : “See My Friends” sur Fire In Distant Buildings). Pour “Farewell, Farewell”, j’essayais de la jouer à la manière des Flying Saucer Attack, très shoegazing.

Est-ce que tu t’occupes toujours de ton label Silent Age Records ?

Pas vraiment, je n’ai plus le temps à vrai dire. C’était un petit label, je vais rééditer mon premier album Internal Travels sur Silent Age, qui était épuisé depuis bien longtemps. Mais je n’ai pas vraiment d’autres projets avec, actuellement.

Si tu avais le temps de t’en occuper, est-ce que tu signerais des nouveaux talents ?

Je ne pourrais pas signer quelqu’un, car je n’ai pas l’argent nécessaire. La bonne chose au sujet de Silent Age, c’est que j’ai permis à certains artistes de se faire connaître. J’ai aidé mon ami Sam Wisternoff plus connu sous le nom SJ Eseau, il a maintenant signé chez Anticon. J’en suis très fier.

Une dernière question, peux-tu me donner tes cinq albums favoris ?

Beaucoup de mes albums favoris sont des compilations que j’ai faites moi-même. Pour les Smiths par exemple, j’ai beaucoup de chansons favorites sur différents albums, alors je préfère faire ma propre compilation. Idem pour My Bloody Valentine. Quoi d’autres… c’est une question tellement dure, j’ai vraiment besoin davantage de temps pour établir ma liste. J’ai aussi le même dilemme avec Hüsker Dü, la plupart de mes chansons favorites tiennent sur une compilation. Mais si je dois donner mon album favori finalement, je dirais Liege & Lief de Fairport Convention, assurément l’un de mes albums préférés. Je l’ai découvert il y a seulement quatre ou cinq ans. Encore un… Peut-être une compilation des Red House Painters, la rétrospective en 2 CDs qui était sortie chez 4AD. Voilà. Mais si tu me poses probablement demain la même question, mes choix seraient certainement différents (rires). Je peux vraiment devenir obsédé par un disque puis quelques jours après passer à autre chose.

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Crédit photo Pascal Amoyel