Ex sédentaire, Sam Beam semblerait enfin avoir trouvé des amis sur son troisième opus. Devenue tribale, sa pop folk défriche de nouveaux territoires. Une expédition passionnante.


Le barbu floridien Sam Beam n’est plus tout seul. Après The Creek Drank the Cradle (2002), premier album casanier et coup de maître d’emblée, le songwriter derrière Iron & Wine peinait un peu à surmonter son cloisonnement studio avec Endless Numbered Days (2004). Même si remarquable, ce second album « studieux » souffrait trop de la comparaison avec l’excellence de son prédécesseur. Ce sera finalement avec les deux beaux EP parus en 2005, Woman King et surtout In The Reins qu’il se libérera du carcan pop acoustique. Escorté de la bande de Calexico sur ce dernier 7 titres, Iron & Wine donnait un grand coup de fouet à sa musique, élargissant considérablement sa carte sonique avec des arrangements panoramiques et une assise rythmique de toute beauté. Une orientation musicale passionnante s’était dessinée, qu’il aurait été dommage de ne pas explorer davantage.

Sur The Shepherd’s dog, Iron & Wine devient une tribu. Ses chansons ont pris une ampleur instrumentale incroyable, bousculées par une tripotée de huit musiciens – dont toujours la paire de Tucson. C’est manifestement, et de loin, son disque le plus foisonnant, le plus risqué et par prolongement, le plus audacieux aussi. Seule mémoire des aventures en solitaire, la voix en sourdine de Beam qui semble nous confier un secret au creux de l’oreille. Pour le reste, ce troisième album nous plante au milieu d’un carrefour où se croisent country des Appalaches, folk psychédélique et revendications afrobeat… car par dessus tout, Iron & Wine a apprivoisé le rythme.

Les percussions conduisent les mélodies de Beam vers des jams impromptus, comme si le folker se laissait porter par l’émotion des pulsations tribales. Si l’on est encore loin des frénésies lancinantes d’un Fela Kuti, cette transe du rythme (intensifiée parfois par un orgue chamane) a réellement une portée incantatoire étonnante sur la musique du songwriter de Sub Pop. Les guitares sèches et banjos qui avaient forgé son identité des débuts sont supplantés par des bongos et percussions en pagaille. Les périples “White Tooth Man”, “Pagan Angel and Borrowed Car” et “Innocent Bones” démontrent à quel point le talentueux guitariste s’est émancipé, artistiquement parlant. On pense à Tom Waits sans l’aspect Vaudeville : les auteurs de Rain Dogs et de Sheperd’s Dogs cultivent en effet une passion commune pour l’errance des progressions, l’instinct mélodique sauvage. Des mélodies qui ne s’attrapent jamais vraiment, mais s’inscrivent en nous.

Si Iron & Wine prend la tangente avec les formats d’écriture usuels, il reste un mélodiste né qui ne peut totalement se passer de sa matière première. Il demeure régulièrement bouleversant, que ce soit sur l’intensité d’un “Flightless Bird, American Mooth”, superbe ballade country où un accordéon mélancolique nous entraine, “Resurrection Fern” (magnifique solo onirique de pedal steel), ou encore “Carousel”, assurément l’une de ses plus belles choses écrites à ce jour. Enfin, si on nous parle de The Shepherd’s dog comme d’un disque imprégné du contexte politique outre-Atlantique, la colère ne transparait qu’à travers les textes. Même sur le vindicatif “Wolves (song of the Shepherd’s dog)”, attaque en règle du molosse contre son président en guerre, c’est sur une rythmique dub jamaïcaine à fond de pédales wha qu’il habille la chose. A l’écoute de ce morceau, on ne peut s’empêcher d’effectuer un parallèle avec un autre aventurier de la folk, John Martyn, qui avait ouvert un passage entre les deux genres avec One World.

Le rebelle tranquille Iron & Wine n’a décidément toujours pas troqué sa laine contre un perfecto punk. La preuve qu’on n’a pas besoin d’avoir la rage pour mordre profondément.

-Le site d’Iron & Wine

-Lire notre entretien avec Iron & Wine (2004)