Jean-Louis Murat continue à faire de l’Auvergne le temple de la langue française la plus ciselée. Tristan en est d’ores et déjà une des pièces maîtresses.


Décidément, Jean-Louis Murat semble incapable de s’arrêter. Même une récente paternité n’aura pas eu raison de son besoin insatiable de travail, d’écriture et/ou de composition. Six mois à peine séparent ce Tristan de Charles & Léo/Les Fleurs Du Mal, superbe hommage à Baudelaire et Ferré. Il avait pourtant juré les grands dieux qu’il lèverait le pied après sa crise d’identité dans une industrie du disque en pleine déréliction. Mais chassez le naturel, il reprend vite sa guitare. Et le fait que la qualité des dernières livraisons de Murat ne cesse de croître (Taormina, en 2006, avait frappé par son extrême cohérence et une qualité d’écriture jamais atteinte jusque-là) est des plus impressionnants.

Pour Tristan, JLM a opté pour une formule strictement solitaire. Il signe en effet textes et musiques, et surtout, il joue de tous les instruments, enregistre tout à domicile, seul, comme un devoir accompli avec une rigueur toute professionnelle. Et cette aisance à écrire aussi rapidement des textes profonds et à la poésie intemporelle porte Jean-Louis Murat à sa place, le meilleur auteur-compositeur que la France porte, puisqu’aujourd’hui il atteint, et même dépasse à plusieurs reprises l’immense Gérard Manset, par un jeu avec les mots et une maîtrise d’un vocabulaire d’une richesse rare proprement époustouflants. « Comment faire qu’aurais-je manqué/Quelle aurore m’aura trompé/Sans repos au fond du jardin/Tu me fais un sort inhumain » (“Mousse Noire”), ou plus loin,« Adieu joie de fontaine/Tout m’est incertain/Ainsi à ceux qui aiment/Seul souffrir convient» (“Dame Souveraine”), soit deux moments forts de cet album tout entier dédié à la beauté du verbe, plus encore que les précédentes livraisons. Sur Tristan, Murat passe un cap, semble s’être servi de sa plongée baudelairienne comme d’un promontoire pour s’élever au rang de troubadour éternel.

La légende de Tristan et Iseult est un puits intarissable d’inspiration pour l’auvergnat tant elle aborde la majorité des thèmes qu’il creuse depuis ses débuts : amours impossibles ou contrariées, mort violente et luttes intestines, combats entre forces suprêmes et quête de l’absolue vérité de la vie. Murat a toujours exposé ses doutes, ses obsessions, il leur offre ici un lit de roses, un royaume à combler. La joie toute bête d’aimer est aussi conviée à chanter son bonheur – “Chante Bonheur” justement, “Tel Est Pris”. Comblé ou troublé, avide de questionnements ou repus d’expériences vitales, blessé et relevé mille et mille fois, bafoué, moqué ou insulté, envié et idolâtré aussi, le ménestrel s’est construit de ces contradictions et de ces sentiments violents. Il prend aujourd’hui cette vie avec sérénité et modestie, magnifiant celle qui ne l’a jamais trahi ou déçu, ni même rassasié, la langue française dans toute sa richesse multiséculaire.

De plus en plus retiré des modes et des courants, Murat, s’il s’enfonce dans une solitude toute relative en privilégiant l’essentiel d’une cellule familiale (génie musical la journée, papa cool et amant aimant le soir), continue inlassablement à sculpter une oeuvre exigeante et ambitieuse. Et loin de son image médiatique déplorable, Murat est un artiste complet et total. Ne perdons jamais de vue que Louis-Ferdinand Céline était un être abject, Murat se contente juste d’être un emmerdeur de haute volée. Un artisan bougon à la plume magique.

– Le site officiel de Jean-Louis Murat