Le gaillard revient nous conter les tracas de Whitey Ford sur son album le plus rentre-dedans à ce jour. Un retour en très grande forme qui n’oublie pas les ancêtres.


Sonnez trompettes, résonnez hautbois ! Everlast est de retour, remonté comme rarement. Fort de l’énorme succès de l’album Whitey Ford Sings The Blues (1998), porté par le single “What it’s Like” (plus de 3 millions d’albums vendus), Erik Schrody (dans le civil) a persévéré avec son mélange de hip-hop, de blues et de rock lourd. Si ce melting pot se sert dans les veines classiques de chaque style, le résultat sort toutefois de l’ordinaire grâce notamment à une écriture réaliste et une voix d’outre-tombe, qui donnent cette patte rêche et communiquent une sincérité totale à la musique d’Everlast. Allant au bout de son raisonnement, n’hésitant pas, occasionnellement, à verser dans le grand n’importe quoi — son duo avec l’épouvantable Santana sur Eat At Whitey’s (2000) –, Everlast se joue des conventions, des critiques et des chapelles. La musique doit être porteuse d’un message, ainsi soit-elle, son métissage venant de la rue, il est normal qu’elle brasse les genres les plus populaires et les plus bruyants en même temps. Pourtant, sous leur tenue de camouflage, les chansons cachent de vraies compositions, de celles qui supporteraient aisément la mise à nu unplugged sans perdre de leur puissance d’évocation, faisant de l’Américain un songwriter affirmé avant tout, bien avant l’image de gros plouc ou d’aristocrate du cross-over de mauvais goût qu’il semble être aux yeux de certains. Il n’est jamais très loin des grands noms de la musique nord-américaine : outre une version revisitée de « Only Love Can Break Your Heart » de Neil Young en 1999, c’est avec la reprise d’un autre incunable country qu’il signe son grand retour.

Si l’album s’ouvre sur l’explosive « Kill The Emperor », aux cuivres directement issus d’une arène dans la période de l’Empire Romain (c’est surtout une charge d’une rare violence contre la politique étrangère de l’« empereur » G. W. Bush), c’est le second titre qui accroche instantanément l’oreille, avec ce riff de guitare légendaire : « Folsom Prison Blues » de Johnny Cash. D’un point de vue vocal, la filiation est carrément troublante. Mais c’est surtout le traitement iconoclaste proposé qui est la grande réussite de ce morceau : hennissement de cheval en boucle (bien que kitsch, voilà une formidable idée pour rappeler combien Johnny Cash était drôle), gros beat bien gras, synthés aseptisés, mais un chant à tomber. Cette cover est un grand hommage, populaire à bien des égards, dépoussiérant ce sacré Révérend qui aurait détesté la mystification à laquelle il a d’ordinaire droit et qui aurait probablement applaudi des deux mains un Everlast ayant su capter l’humour noir de ce titre si emblématique — la célèbre phrase « I shot a man in Reno/Just to watch him die » n’est en rien dénaturée par ce décalage. On pense très fort à la reprise violemment burnée de “Chains of Fools” d’Aretha Franklin par le regretté R.L.Burnside, ce genre de sévices qui font resurgir l’essence même du classique, jusque-là trop longtemps galvaudé par des kyrielles de béni-oui-oui, et qui n’attendait que la profanation.

Mais Love War And The Ghost Of Whitey Ford ne se résume pas à ce seul tour de force puisque l’album comporte pas moins de 16 titres, jusqu’à 19 dans sa version limitée ! L’ancien leader de House Of Pain n’a rien perdu de sa vigueur, encore moins de sa rage. Une grosse moitié des titres sont de sacrés coups de buttoir, aux rythmiques massives, aux guitares agressives et à la production des plus orageuses — en plus des deux précités, “Die In ‘Yer Arms” fait du pied à Queens Of The Stone Age, “Naked” décèle un sale parfum de Saturnalia des Gutter Twins, l’instrumentale “Throw A Stone” verse dans la lignée gangsta rap grandiloquente, le single « Letters From the Garden of Stone » porte les stigmates d’une vie carcellaire morbide.
De plus, un bon album d’Everlast contient son lot de ballades (rarement amoureuses), et c’est résolument dans ce domaine qu’il excelle. Qu’elles se présentent dénudées telle cette “Friend” tout en acoustique élégiaque, qu’elles tâtent du blues roots customisé à l’huile de coude comme la percussive « Everyone » , qu’elles soient auréolées d’un romantisme de petit garçon pris en faute à l’image de “Stay”, ou, enfin, qu’elles tutoient les anges à l’image de la superbe “Weakness” évoquant un Joseph Arthur des bons jours, toutes ces vignettes, en plus de posséder un charmant premier degré, démontrent surtout combien le rustaud est un grand chanteur, usant de cette voix caverneuse comme de l’argument de séduction ultime pour servir ses histoires. Les heureux détenteurs de la version limitée auront même le droit à un boogie dépoussiéré avec la version démo de “My Medicine” qui n’aurait pas dépareillé sur les derniers efforts solo de Black Francis.

Everlast est probablement un des artistes qui mixe le mieux (le seul peut-être) tous les courants les plus populaires de la musique amplifiée américaine, avec ses perfections et ses gros travers. C’est bien ce qui le rend si précieux, et cet album, son plus complet et riche à ce jour, fait de lui un porte étendard idéal pour l’Amérique d’en bas — celle qui a la dalle, qui croupit en prison ou qui lutte à mort dans la rue –, sans jamais oublier de chanter au passage. Everlast est donc le symbole de l’Amérique d’aujourd’hui tel que ses récents dirigeants auraient voulu la cacher, à mi-chemin entre Bruce Springsteen et son propre ennemi, Eminem. Ce qui nous importe le plus, finalement, c’est qu’il s’acquitte de cette mission au travers de chansons porteuses de sens. Décidément la définition même d’un artiste populaire, celui qui plaira autant au fin mélomane qu’au quidam pour qui la musique n’est faite que dans le but de tuer le temps dans les bouchons, tous deux se reconnaissant dans cette oeuvre.

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