Mark Kozelek, la figure emblématique du mouvement sadcore, accompagné d’un tout nouveau groupe servant des compositions brumeuses taillées dans un marbre solide et vouées encore une fois à la vénération. Cette année, le père Kozelek nous a gâté, il a garni les chaussettes à ras bord.
A l’inévitable question « pourquoi écrivez-vous des chansons aussi longues? », l’âme des Red House Painters avait répondu un jour à un journaliste : « Les gens écoutent bien Kind of blue d’une traite, je ne vois pas pourquoi ils ne pourraient pas écouter des chansons rock longues de quinze minutes ». Cette dérivation jazz pertinente pourrait synthétiser à elle seule le style de Mark Kozelek : le développement jusqu’à l’excellence d’un folk écorché et dépressif dont il est passé maître, si bien que les suiveurs – aussi doués soit-ils – passent jusqu’à présent pour de gentils clones.
Peu exposé médiatiquement de ce côté-ci de l’atlantique, les Red house painters restent pourtant l’une des formations incontournables des années 90. Les années passant, l’un des songwriter les plus respectés et adoré du rock indé US n’ a pas volé ses gallons, à contrario de ventes toujours infidèles.
Il est intéressant de voir comment ce personnage discret, longtemps qualifié d’intellos pas rigolot, a tout entrepris ces cinq dernières années pour se défaire de cette image qu’il traîne : entre la mise en suspend de son groupe fétiche et quelques reprises pas franchement tendance de Yes et Mc Carntney, le fait le plus marquant fut sans doute son double album acoustique, reprises de vieux standards binaires des australiens d’AC/DC. Il fallait quand même le faire!
D’ailleurs, l’expression lui va comme un gant : Kozelek pourrait chanter tout le bottin, qu’il arriverait à nous soutirer des larmes. Mais Kozelek le sait bien : sa base de fans est si fidèle et dévouée qu’elle le suivrait jusqu’au fin fond de l’Alaska.
Alignant une discographie toujours digne d’intérêt, on sentait que l’inconsolable californien tournait quand même un peu en rond depuis Songs for a blue guitar (1996). Le songwriter avait également senti le vent tourné, mais il avait beau changer de nom aussi souvent que Will Oldham, son style lui ne variait guère. Malgré ça, c’est toujours avec une certaine frénésie que l’on attend une nouvelle galette de l’intéressé.
Sun Kil Moon, ce nouveau projet marque le retour à la composition du gars de l’Ohio après une absence de cinq ans (Old Ramon sorti en 2001, avait été en fait enregistré trois ans plus tôt). Une longue attente, qui marque également un tournant artistique en terme de longévité, dix ans après ses débuts chez 4AD. Entouré de deux membres des Red House painters et d’ancien American Music Club, le groupe est augmenté d’un trio à cordes. Voilà le réel changement, mais sur la forme, nous avons bien droit à du Kozelek.
Aucune trace de reprises ne pointe le bout de son nez sur Ghosts of the Great Highway où Kozelek signe et produit la totalité du disque. Les ambiances varient et rappellent dans l’ensemble la densité et le virage électrique amorcé depuis Songs For a blue guitar : des guitares magnifiques, une voix toujours bouleversante et un sens de la mise en scène dramatique incroyable. Véritables tours de force, « Carry Me Ohio » et « Gentle Moon » sont de sublime ballades folk enchaînées juste après par un rock, « Lily and Parrots », de très belle envergure. Le fantôme de Neil Young et de son Crazy Horse sont d’ailleurs toujours très forts dans ce registre, à l’instar du très beau « Salvadore Sanchez », aux accents très « Zuma ». Les chansons marathoniennes sont toujours là (« Duk Koo Kim », complainte aux forts accents folklorique et déjà connue des fidèles, s’allonge sur près de quinze minutes). « Si paloma », un instrumental virtuose, dégage peut-être une nouvelle voie plus celtique pour l’avenir. Rien de quoi nous inquiéter non plus.
Alors oui, rien de vraiment bouleversant en terme de renouvellement artistique, mais il est indéniable que l’artiste affine son pinceau avec le temps : Dix chansons et pas un milligramme de superflu tout au long du disque. Comme expliqué au tout début de cette chronique : dur de passer après ça.
-Le site du groupe chez Jet set records