Sous le grincement d’un bottleneck rouillé et de beaux arpèges décharnés, des héritiers de Palace allument un joli feu de paille americana. Là où il est fait bon se poser cet hiver.
Comment interpréter cette couverture prêtant sa forme à un test de Rorschach ? Deux macaques siamois ? Une pieuvre ? Ou la confirmation que les deux têtes pensantes de Thousand & Bramier ne font qu’un ? Malin comme un singe, le duo parisien n’a de leçon à recevoir de personne lorsqu’il s’agit de fouler le vaste territoire de l’americana. Pas même les diverses incarnations du cousin Will Oldham, en atteste ce superbe second manifeste. En matière d’érudition musicale, la paire française tutoie celle d’Herman Dune, bien que chacune évolue dans des eaux pastorales différentes. On en oublierait que Thousand & Bramier revient de loin. Des excursions post-rock au courant des années 90, l’ex Madrid Guilhem « Bramier » Granier et son actuel alter ego Stéphane « Thousand » Milochevitch se sont repliés vers la country/folk rustique. En stoppant les machines, le tempo (presque) rompu à l’immobilisme, le duo a laissé filer toute mauvaise (sur)tension. La sophistication des guitares électriques éthérées ne serait plus qu’une vieille histoire.
Sans destination a priori écrite ou du moins toute tracée, The Sway Of Beasts (2006), premier opus aux guitares drues, s’était avéré d’emblée une pièce d’orfèvre. D’autres cordes menaçaient de se casser, celles d’une voix grave, au croisement d’un Matt Berninger (The National) coiffé d’un stetson et d’un Will Oldham célébrant le dernier blues. Enregistré dans le sud de la France, c’était bel et bien l’Amérique qui nous était offerte sur un plateau d’argent, livrée avec une retenue qui imposait le respect. Tout aspirait ici à une tranquille retraite, jusqu’à ce titre, Go Typhoon !. Mais les mots sont trompeurs, ce second opus ne procure pas vraiment l’effet violent d’une tornade. Cet album est un disque ascétique, un lieu d’exil propice à l’oubli. Ce serait plutôt l’horizon aride qu’il nous renvoie, le soleil de plomb, l’illusion de quelques mirages perdus errant sur le goudron, une route en face où l’on ne croise personne. Et c’est mieux comme cela. Ici le poids du silence nous parle plus que tous les discours marathon d’un Fidel Castro.
Indécis entre fausse nonchalance et sérénité rurale, la section rythmique grince tandis que les médiators raclent plus qu’ils ne caressent (“Great Walls Of Fire”). Le vieux couple banjo et lap steel d’“Everybody’s Got Shine” redonne l’espoir d’un lendemain radieux. On ne veut plus quitter le rocking chair sur le patio, la vue est splendide, le ciel s’éclaircit, “Sailor’S Lives”, folk song contemplative et aveuglante, est un des sommets de l’album. Le temps passe, c’est ensuite le doux crachin de “Gilded Rain” qui ouvre une brèche espace-temps vers Rock Bottom… “Colleen”, confiserie folk lente et lancinante, nous plante dans le désert du premier album de Mojave 3. Retour vers l’après-rock, “Rock Hard, Rock Steady”, bordé de tessitures synthétiques en sourdine, ne brisent pas cette saine mélancolie. La suite de paysages cléments et emplis de sagesse n’est perturbée qu’une seule fois, lorsque le vent se lève sur “Duel in the Sun”, superbe éclipse post-rock qui assombrit un peu la clairière folk, mais ne la mine pas. Il se fait tard. Failli se lever du rocking chair. Mais non. La nuit peut attendre.
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– Sur le label Arbouse Recordings