Memory Tapes est la mémoire dure de Dayve Hawk. Lorsqu’il ne voue pas une étrange passion pour les alias d’ancêtres analogiques (jadis sous l’identité Weird Tapes et Memory Cassettes), ce jeune homme discret, originaire de Philadelphie, couche sur bandes vierges une fusion moderne d’electro dansante et de dream pop sophistiquée.
Seek Magic est le premier album de Memory Tapes, synthèse ou rembobinage de ces patronymes précédents. L’album contient notamment l’inusable single “Bicycle”, à l’origine de notre plus belle éclaircie d’hiver. Ce qui n’est pas un mince exploit. Depuis, nous avons retiré les languettes de la cassette Seek Magic, bien décidé à ce que ces chansons ne s’effacent avec l’équinoxe du printemps, mais continuent bel et bien de nous accompagner encore pour un bout de temps.
Le teint pâle et le no-look du musicien tranche avec le mobilier design d’un bar branché du 1er arrondissement parisien, bien connu pour sa vue imprenable sur les toits de la capitale. Avant que le webzine Pitchfork ne consacre Seek Magic « sensation electro-pop du moment », le calme et discret Dayve Hawk a traversé quelques passes difficiles. Six ans en arrière, son groupe de jeunesse Hail Social a tourné avec Interpol mais a raté le coche. Aussi, Dayve Hawk sait savourer à sa juste mesure cette reconnaissance nouvelle.
Pinkushion : Comment se déroule cette tournée en Europe ?
Dayve Hawk : Bien, merci. C’est toujours intéressant d’aller dans des villes où vous ignorez si quelqu’un a écouté ce que vous faites. Alors, lorsqu’on découvre qu’il y a du monde dans la salle, c’est une agréable surprise. Sur Paris, je pensais que personne ne viendrait, finalement c’était complet, les gens étaient là et dansaient. J’étais un peu nerveux avant de monter sur scène, c’est un peu difficile pour moi, mais en même temps c’est excitant.
Le concert d’hier soir fut surprenant, très différent de l’album par son aspect organique. Vous jouez de la guitare et chantez, seulement accompagné d’un batteur et d’un ordinateur.
Lorsque j’enregistrais l’album, je n’avais vraiment pas l’intention de faire des concerts. Aussi, lorsque j’ai finalement décidé de jouer live, ce fut difficile d’adapter les chansons pour la scène. L’album contient beaucoup de couches et d’overdubs. Évidemment, c’est impossible à retranscrire sur scène. J’ai donc réarrangé les morceaux en fonction de ces paramètres, tout retravaillé sur un clavier et les ai enregistrés sur l’ordinateur. Sur scène, je voulais jouer de la guitare et avoir un vrai batteur, quelque chose d’hybride entre un DJ set et un vrai concert. Je pense qu’on est arrivé à un compromis entre les deux. Le batteur se charge grâce à l’ordinateur de synchroniser le lancement des séquences avec le retroprojecteur. Je joue toutes les parties de claviers enregistrées et évidemment je ne peux pas jouer de la guitare en même temps sur scène. C’est un peu compliqué à mettre en place, mais d’une autre manière c’est assez simple. Nous n’avons pas de métronome ou de matériel de ce genre pour être dans la mesure, mais ça fonctionne.
Pensez-vous pouvoir retranscrire l’album avec le renfort d’autres musiciens ?
Peut-être que c’est possible, nous y avons bien sûr pensé. Jouer avec un groupe comporte des contraintes. Plus il y a de musiciens impliqués dans le processus, plus cela devient compliqué. Mais ce serait agréable de rendre la chose plus organique, davantage « live ». La tournée s’est organisée très vite, nous avons seulement répété quelques jours avant de venir en Europe. Je suis certain que lorsque nous aurons quelques jours de pause, nous pourrons changer et améliorer certaines choses. Mais, en même temps, Matt (ndlr : Maraldi) le batteur est mon meilleur ami. C’est très agréable de pouvoir voyager ensemble et d’expérimenter par nous-mêmes, travailler avec nos limites. J’aime la scène, donc c’est important pour moi. Matt était aussi membre de mon ancien groupe Hail Social. Nous n’étions pas très heureux avec les autres musiciens. Quand le groupe s’est séparé, j’ai commencé à faire de la musique seul de mon côté. C’est Matt qui m’a convaincu de faire à nouveau des concerts. Il me harcelait : « j’aime cet album, je veux jouer cette musique ». Je lui ai répondu que j’étais d’accord si l’occasion se présentait.
Le light show était très sombre hier soir, préférez-vous rester dans l’ombre ?
J’aime l’obscurité, je ne suis pas très ami avec les projecteurs. C’est une bonne chose pour nous, comme ça le public ne nous voit pas trop (rires). D’habitude, nous utilisons un rétroprojecteur qui diffuse des clips vidéos, mais ce fut plutôt compliqué hier soir de le mettre en place.
L’album est sorti en France en février mais sa sortie remonte à déjà huit mois aux États-Unis. Êtes-vous lassé de continuer de rencontrer des journalistes pour parler de ce disque ?
Je suis plutôt content d’être là, disponible pour rencontrer des gens. L’album est distribué hors des États-Unis et d’Angleterre, j’apprécie les retours. La promotion est toujours une chose étrange pour moi. Je ne suis pas la personne la plus confiante du monde, alors que l’exercice de l’interview consiste à manifester sa part d’égo. Parfois, je ne suis pas très à l’aise. Mais j’aime la musique et pouvoir la faire partager est stimulant. Et tout le monde est très gentil ici, donc ce n’est pas si mal…
En l’espace de deux ans, vous avez sorti un certain nombre de singles et de EP sur différents labels comme Something in Construction, Acephale et Sincerely Yours. Pourquoi avoir attendu si longtemps pour enregistrer votre premier album Seek Magic ?
Pendant longtemps, j’étais quelqu’un d’impatient. J’aimais faire de la musique et la sortir aussi vite que possible. Je n’aime pas attendre. Les singles et EP sont donc sortis très rapidement. Mais j’adore les albums, la cohérence du long format, les écouter dans un casque, se concentrer dessus. J’avais depuis un moment l’idée d’en écrire un. Après avoir enregistré tous ces singles et remixes, je commençais vraiment à m’ennuyer. Il était temps d’enregistrer mon propre album. Je veux d’ailleurs en faire un autre aussi vite que possible.
Avez-vous déjà commencé à travailler ?
Oui, j’en suis à mi-parcours. A la fin de cette tournée, je rentrerai pour le terminer et j’espère le sortir aux États-Unis avant la fin de l’année. Pour la France ou ailleurs, je ne sais pas si ce sera possible. Il sortira à la fin de l’année quelque part (rires).
Seek Magik a été composé et enregistré dans votre appartement. Est-ce que votre façon de travailler va changer pour le prochain album, notamment avec des moyens plus importants ?
Pas nécessairement. Je me contente de travailler à ma manière, c’est la seule que je connaisse. Je ne suis pas dans l’état d’esprit de rentrer en compétition avec moi-même. J’aime seulement faire des choses différentes à chaque fois. J’adore des artistes comme David Bowie ou les Beatles. Ce sont des artistes qui changent et évoluent. Donc le prochain album sera différent, je veux continuer d’essayer d’expérimenter de nouvelles choses.
Éventuellement des collaborations avec des musiciens ?
Oui, évoluer dans cette direction m’intéresse. J’ai reçu quelques sollicitations pour produire, composer pour d’autres artistes, ce genre de choses. Mais en ce qui concerne ma propre musique, j’aimerais trouver les bonnes personnes. Travailler avec d’autres chanteurs, notamment.
Inclure d’autres personnes dans votre processus créatif « reclus » doit être difficile.
Tout à fait. Je ne sais pas comment je pourrais intégrer de nouveaux membres au sein de Memory Tapes. Ce serait peut-être plus judicieux que je m’intègre dans le projet de quelqu’un d’autre. Ce n’est pas que je sois contre l’idée de collaborer, mais il y a aussi le fait que les gens avec qui je souhaiterais le faire ne sont pas disponibles (rires). Des personnes rares comme Liz Fraser des Cocteau Twins. Bien qu’elle ait travaillé sur le dernier Massive Attack, il me semble.
J’ai lu d’ailleurs quelque part que vous avez correspondu avec les Cocteau Twins par le passé ?
Oui, lorsque j’étais adolescent. C’était au début d’Internet, on découvrait plein de groupes qui commençaient à créer leur site officiel. Je crois que c’est la seule fois que j’ai écrit une lettre de fan (rires) ! Et ils m’ont répondu ! Leur label Bella Union venait juste d’être fondé et je leur ai envoyé par la suite une cassette. Ils se sont montrés intéressés mais le groupe s’est séparé peu de temps après. Je ne suis finalement pas parti en Angleterre, ce qui, avec le recul, s’est avéré être une bonne chose, car j’étais trop jeune. Mais c’est une expérience qui m’a motivé pour continuer.
Vous avez aussi réalisé quelques remixes pour les Yeah Yeah Yeahs, Peter Bjorn & John, Yeasayer…
Oui, je reçois beaucoup de demandes de remixes, à vrai dire plus que je ne peux en réaliser. Je suis obligé de décliner certaines propositions. Mais je le prends comme une bonne échappatoire, car l’exercice me permet de ne pas rester obsédé par mon disque et de travailler sur autre chose. Pour ce genre de commande, le travail va très vite et c’est assez facile pour moi. Travailler avec d’autres groupes, explorer de nouvelles idées à travers le matériel d’autres personnes. De plus, j’ai travaillé avec des groupes intéressants. Phoenix, Fool’s Gold, Bond Do Role, mais aussi Britney Spears, Michael Jackson (ndlr : sollicité par son management). Je ne fonctionne pas de la même manière que pour ma propre musique. Beaucoup de mes remixes sont très éloignés du morceau original, chose que certaines personnes aiment, d’autres non. Mais c’est aussi pour cela qu’on me le demande.
Vous parliez des Cocteau Twins en terme d’influence. Cela se ressent dans le son des guitares. Personnellement, j’entends aussi beaucoup le label Factory, des groupes comme New Order et Durutti Column.
Je n’ai jamais écouté Durutti Column, contrairement à New Order. C’est marrant, tout le monde pense à New Order à cause du solo de guitare à la fin de “Bicycle”. Je me souviens qu’en l’enregistrant je pensais plutôt au son de The Cure. Je craignais que tout le monde me traite de copieur ! Mais personne ne me parle de The Cure, tout le monde me parle de New Order (rires).
En réalité, le son m’évoque davantage la basse de Peter Hook que la guitare de Bernard Sumner.
J’aime New Order, c’est définitivement une influence, mais je ne dirais pas que je suis obsédé par leur musique. On m’a déjà fait la réflexion sur cette ligne de basse, mais c’est bien sur une guitare que je joue. Il y a des similitudes, je le reconnais. Joy Division aussi est une influence, mais je ne connais pas très bien les autres groupes de Factory comme les Happy Mondays.
Vous êtes un excellent guitariste. Sur scène, vos solos sont très expressifs, c’est un peu inhabituel d’entendre des solos de guitare dans la musique electro-pop.
J’aime la guitare. Mais j’aimerais être meilleur que je ne le suis (rires). Je suis bien plus à l’aise avec cet instrument que n’importe quel autre. Aussi loin que je me rappelle sur scène, je me suis toujours considéré comme un guitariste. J’en joue depuis tout petit mais je ne me suis jamais focalisé dessus. Je voulais apprendre à tout faire, enregistrer des disques, c’est ce qui m’intéressait le plus. Je pense que j’ai appris à en jouer de la mauvaise manière. Je suis gaucher, mais je joue comme un droitier. Ça pourrait être bien mieux.
Parfois vos solos me rappellent David Gilmour de Pink Floyd.
Je vois ce que vous voulez dire (rires). J’aime bien son jeu. C’est un guitariste très mélodique, il est très bon dans ce qu’il fait. Mon guitariste préféré est Tom Verlaine, qui est bien meilleur que moi. Bien plus sophistiqué que moi, il connaît le jazz. Je n’y connais pas grand-chose pour ma part (rires).
Pouvez-vous donner vos cinq albums favoris ?
David Bowie – Ziggy Stardust
Cocteau Twins – Heaven on Las Vegas
Pixies – Doolittle
Beatles – White Album
Aphex Twin – Selected Ambient Works
Memory Tapes, Seek Magic (Something In Construction/ Discograph)
– La Page Myspace de Memory Tapes
– Ecouter « Bicycle » :