Point d’orgue de la série des concerts revival, le passage de Pavement en France a-t-il tenu ses promesses ou s’est-il contenté de ramasser un pognon bien mérité ? Réponse ici et maintenant, à chaud…
Tournée tiroir-caisse, relève des compteurs, pompe à cash… Depuis quelques années, on constate une épidémie de reformation de groupes sous leur line up (presque) originel quelques décennies après leur split. Pourtant, promis juré, c’était bel et bien fini. Du coup, les râleurs s’en sont donnés à coeur joie à dégommer à qui mieux mieux cette mode de résurrections ouvertement pécuniaires. Ainsi, des Stooges aux Pixies, que n’a-t-on pas lu et entendu sur ces salauds d’artistes venus réinvestir sur leur gloire passée. Une variante consiste à ce qu’un artiste ou un groupe rejoue sur scène un album de son répertoire, de préférence le plus mythique, ou le plus controversé, à l’instar de Lou Reed qui a rejoué coup sur coup Berlin et Metal Machine Music, deux de ses albums les plus décriés en leur temps, ou Pixies, encore eux, surfant sur la déferlante Doolitle plus actuel que jamais en ces temps de guitares outrageusement sifflantes. Sans oublier The Zombies revisitant sans vergogne l’inépuisable Odessey and Oracle ou même les modestes The Vaselines réinterprétant leur unique Dum Dum à l’orée d’une réédition généreuse. Mais doit-on à ce point baver sur ce phénomène ? Finalement, ces musiciens ne font-ils pas autre chose que leur simple métier ? Certes, tout au plus peut-on gloser sur l’idée contestable de certains come back : les victimes de la résurrection de My Bloody Valentine fulminent encore à chaque visite chez leur ORL, la patine des tubes de Police exécutés par leurs auteurs aujourd’hui résolument embourgeoisés a perdu de sa superbe, sans parler du Never Ending Tour de Bob Dylan, tournée initiée au mitan des années 70 et toujours pas achevée, ou de la millionième version de “When I’m Sixty-Four” par ce bon vieux Paul McCartney aujourd’hui âgé de… 65 ans.
La blague la plus entendue dans les travées d’un Zénith même pas plein, tout au long de files d’attente interminables devant les pompes à bière, en ce vendredi 7 mai froid comme un soir d’octobre, consistait à se rassurer qu’au moins, on était sûr d’une chose, jamais on n’irait au concert de reformation de Nirvana. Pour sûr. Non, ce que ces trentenaires en blazer velours type friday-ware et à la calvitie plus ou moins avancée étaient venus entendre en sortant du bureau, c’était le versant le plus slacker du grunge, personnifié par le quintet Pavement, de passage en France pour cette seule date. Autant leurs concitoyens Dinosaur Jr ont-ils édité deux nouveaux albums dantesques sans se priver de fouler les scènes du monde entier, autant la bande de Stockton n’a-t-elle rien d’autre à proposer qu’une compilation sans intérêt, quelques T-shirts et des rééditions fantastiques de leurs quatre premiers albums. Alors, finalement, on s’inquiétait un peu de ce que cette bande de quadras ventripotents (enfin, pas tous) était devenue. Qu’allait-il advenir de “Range Life” seize ans après sa sortie ? Heureusement, The National partageait l’affiche, et ce n’est rien de dire que leur set, quoique court, fut impérial, magistral, comme à leur habitude d’ailleurs. Mais ce n’est pas ici le propos.
Alors le groupe fut-il à la hauteur de cet événement ? Les papes de l’indie-rock américain avaient-ils bien vieilli ? La réponse est sans conteste affirmative. D’ailleurs, autant le dire de suite, ce concert de réunion fut une excellente surprise. Nous n’en attendions pas tant, vraiment pas tant… Quel plaisir, indéniablement partagé par le groupe, que de revoir le sourire communicatif de Mark Ibold, quelle joie que de dévorer des yeux l’allure encombrante du grand dégingandé Stephen Malkmus. La voix est intacte, c’est-à-dire toujours aussi fausse. Les mélodies scintillent, les guitares hululent, les percussions percutent. Des titres comme “Shady Lane”, “Cut Your Hair”, “Grave Architecture”, “Stereo” ou “Stop Breathing” n’ont rien perdu de leur charme. Le groupe aligne sans coup férir ses petites vignettes toutes de guingois, jubile de se retrouver devant un public conquis, se délecte de la communion qui a lieu sous des lampions bon marché. On se retrouve 15 ans en arrière, comme ça, d’un coup de riff, dans les bras d’une “Summer Babe” parfaitement conservée ou esgourdi par un “Silence Kit” massif. Pavement est vivant, peut-être pour un temps, alors on en profite, on se rassasie, on se repaît de ce rock bricolo et charmant. Car on (re)découvre avec joie toute la magie de cette musique artisanale et unique, diamant brut jamais taillé. Et l’on comprend aussi les éléments qui faisaient tenir ce groupe sur pied malgré une nonchalance parfois un peu trop appuyée à l’époque où tout le monde en parlait, mais que pas grand monde n’écoutait vraiment : une complicité sans faille, une confiance en soi jamais entamée, un décalage salvateur, et surtout une rythmique solide comme un roc étayant une écriture délicieuse. C’est même un des secrets les mieux gardés du groupe : la paire Steve West (batterie)/Mark Ibold (basse) est encore redoutable d’efficacité (pas étonnant que ce dernier ait d’ailleurs été embauché par Sonic Youth) et s’accorde parfaitement pour soutenir des compositions a priori approximatives. Mais il ne faut pas non plus écarter trop vite la solidité de Scott Kannberg (élégamment coiffé d’une casquette camouflant probablement une tonsure intime) et la jovialité du trublion Bob Nastanovitch faisant son Beastie-Boy mieux que personne. Malkmus, qui fut le plus dur à convaincre du bien fondé de cette reformation, n’a plus qu’à s’amuser comme un petit fou avec son horrible chemise de bûcheron (évidemment) et ses paroles qui n’ont étrangement rien perdu de leur mordant malgré le poids des ans — Billy Corgan en prend toujours autant pour son grade, et ça n’est toujours pas volé…
Et Pavement est alors redevenu ce qu’il était, un groupe de branleurs saisi par un succès moyen mais encensé pour une musique résolument géniale et décalée, non pas révolutionnaire, mais juste excellente. La discographie perlée de Pavement ne souffre d’aucun point faible, et forcément le set n’en est que plus délectable.
Alors finalement les regrets générés par cette soirée se concentrent-ils autour des absentes tant on aurait aimé entendre “We Dance” ou “And Then (The Hexx)”. Mais ne jouons pas les pisse-froid, cette soirée mémorielle fut mémorable, et Pavement n’aura pas battu le pavé en vain, se retrouvant d’un coup d’un seul tout en haut de ce même pavé. Et ne comptez pas sur nous pour jeter l’opprobre sur ces artistes qui ont décidé un jour de remettre le couvert pour bénéficier du regain d’intérêt suscité par de jeunes groupes qui n’ont de cesse de les citer à longueur d’interviews. Finalement, ce n’est que justice, et on est heureux d’avoir contribué à cette régénération, fût-elle éphémère et vénale.