Jeune figure de la scène électroacoustique, Bérangère Maximin possède déjà à son actif deux albums remarquables sortis chez les plus grands. Elle nous parle de son travail compositionnel et sa dernière production, No One is an Island, éditée à 500 exemplaires chez Sub Rosa et déjà sold-out.


Pinkushion : Pour No One is an Island, votre deuxième album sorti chez Sub Rosa, comment les différentes collaborations se sont-elles mises en place ? Quelle expérience tirez-vous de ce travail avec des figures aussi importantes de la musique actuelle que sont Christian Fennesz, Rhys Chatham ou encore Richard Pinhas ?

Bérangère Maximin : J’ai eu la chance de faire connaissance avec ces artistes dès mes premiers concerts en solo. On peut donc dire que ce sont les promoteurs qui m’ont amenées à côtoyer ces individus à la démarche artistique singulière et forte, et dont j’admire le travail depuis longtemps. Nous nous sommes croisés sur les plateaux de concerts et nous sommes tout de suite bien entendus. Ils se sont montrés touchés par ma musique, et de mon côté je me suis sentie à l’aise avec eux. Le contact personnel s’est prolongé aisément par la suite, et il se trouve qu’au moment de l’enregistrement du disque, tous résidaient à Paris de façon permanente. Ainsi, il n’a pas été difficile d’aménager du temps pour travailler ces pièces en faisant des aller-retours entre leurs home studios et le mien.

Concrètement, c’est après des répétitions et un concert avec Rhys Chatham à Poitiers en fin 2010 (Where The Skin Meets The Bone), que l’idée m’est venue d’assembler cette série. Je commençais à pratiquer le live electronics et l’improvisation. Le contexte est différent pour chacun des musiciens. Par exemple, pour Frédéric D. Oberland, c’est sur des scènes parisiennes qu’une collaboration irrégulière s’est poursuivie sous deux formes, des invitations ponctuelles à jouer avec le groupe Farewell Poetry et des lives impromptus en duo. Nous avons improvisé ensemble et après quelques essais, une mélodie et un climat ont émergé. Nous avons enregistré plusieurs versions de ce thème et ainsi j’ai pu avoir suffisamment de matériaux en boîte pour faire un assemblage en forme de thèmes et variations (How Warm Is Our Love). Avec Richard Pinhas, c’est à la demande d’un tiers que la rencontre s’est faite, la seule exception. En effet, Dominique Grimaud nous a proposé d’enregistrer ensemble pour une compilation de la collection Gazul/Muséa (2012). Une bonne idée car le résultat était là en une prise, la dernière d’une après-midi passée à jouer en alternant question/réponse/contrepoint. J’ai juste retravaillé l’espace et la pièce m’a tellement plu que je l’ai incluse dans la tracklist presque immédiatement après l’avoir achevée (“Carnaval Cannibale”).

Musicalement, le plus prenant en enregistrement live a été de garder une évolution cohérente face à leurs matériaux, sans trop déformer ou écraser leurs parties. Aller suffisamment profond dans l’écoute et accompagner les mouvements, capter la pulsation, l’expressivité spécifique à leurs jeux. Par exemple, pour les pièces avec Christian Fennesz, il a fallu se laisser propulser vers l’avant, sans résistance (“Bicéphale Ballade”), se servir de ce socle puissant et généreux comme d’un système, d’un moule dans lequel tout se forge, les épaisseurs, les nuances, les modulations etc (“Knitting In The Air”). La phase d’arrangement/mixage en studio est encore ma préférée car là, seule avec mes outils informatiques et à l’oreille, j’applique une sorte de ‘dramaturgie’ dans la mise en espace stéréophonique et des ‘ponctuations et accentuations’ spécifiques qui, d’après moi, viennent finaliser la pièce.

Pour finir de répondre à la question, je dirais que la principale leçon que je tire du travail avec ces artistes qui ont joué la carte de l’individualité et qui ont multiplié les challenges dans leur vie, c’est de rester accessible, préserver sa sensibilité, ne pas douter de ses capacités et surtout, puisqu’au fond on ne risque pas notre vie et que donc on ne mourra pas si on se trompe, d’oser, de produire sans trop s’encombrer de savoir si cela va plaire à tel ou tel type d’audience ou critique musicale. Cette remarque serait galvaudée si les compositeurs n’étaient pas régulièrement mis face à ce dilemme.

Pinkushion : De quelle manière votre écriture musicale se fait et se structure?

Généralement, tout part d’une séquence enregistrée en extérieur au microphone ou d’une session de transformation en studio, une séquence que j’ai envie d’écouter en boucle et qui me procure un certain plaisir obsessionnel, si j’ose dire. Cette séquence, à force de l’entendre, me fait imaginer d’autres sons/textures qui viennent en contrepoint. Autrement dit, ce serait d’abord comme quand on siffle un air avec émotion, on le ralentit et on le déforme en le répétant. Ensuite, le développement de la base se fait par de nombreux aller-retour du faire à l’entendre, à l’instinct.

Pinkushion : Je sais que vous composez également pour des œuvres vidéo. Comment travaillez-vous avec l’image ? Et la danse ? Quelle est votre approche du point de vue de la création face à ce type de spectacle vivant ?

En fait, les musiques pour la vidéo ou le spectacle vivant sont très minoritaires dans ce que je produis.
À dire vrai, je ne suis que très peu parvenue à être entièrement satisfaite des travaux auxquels j’ai participé dans ce domaine. Je ne me sens finalement pas très à l’aise avec les compromis, les coupes et les musiques additionnelles qui segmentent le travail. Je préfère me concentrer sur mes propres créations et me trouver une petite équipe petit-à-petit. J’amorce un projet avec une jeune scénographe de Lille, Marie Langlois, et les deux sessions de résidence que nous avons faites ensemble ont donné des matières intéressantes. A suivre.

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Pinkushion : Comment s’est réalisée et s’est déroulée la signature de votre premier album chez Tzadik, le label de John Zorn ?

Le plus simplement du monde, j’ai envoyé un CD. J’ai reçu une réponse positive une semaine après et John Zorn et moi avons travaillé sur la tracklist dans la foulée. Ce qui est vraiment géant c’est que, bien que n’étant pas véritablement instrumentale, j’ai tout de même été accueillie à bras ouverts. Débuter sur ce label, en dehors de la visibilité qu’il apporte, donne une impression de liberté incroyable car l’album fait partie d’un catalogue riche et une palette de styles très large. John fait partie des gens que j’essaie d’aller saluer à chaque séjour à New York. Je joue avec certains de ses amis musiciens et il jette toujours une oreille attentive sur mes créations.

Pinkushion : La musique électroacoustique a toujours un rapport à l’espace que la performance en live permet de mettre en relief. Quelle distinction faites-vous entre vos concerts et les disques enregistrés ?

Je dirais que c’est comme le jour et la nuit, le théâtre et le cinéma. Jusqu’ici, j’ai surtout composé en studio, et il m’a fallu un peu de pratique pour comprendre que ma façon d’écrire très serré et morphologique ne pouvait pas se restituer en live. Depuis quelques temps, je travaille sur des couches qui peuvent se modeler en temps réel et qui évoluent plus dans l’espace qu’elles ne se développent dans l’écriture. L’écoute en concert dépend toujours du matériel à disposition et de l’ambiance générée entre le public et l’artiste, tandis que le disque, pensé pour une écoute privée, plus ‘domestique’ est une sorte d’image optimale.
Pendant les concerts solo, il m’arrive souvent de lire des textes en direct sur des séquences en background. C’est un moment du concert important pour moi car je communique avec le public de façon ‘normale, directe’. C’est assez frais mais aussi viscéral donc je m’abstiendrai de développer ce point. Mais ces instants entre abstrait et littéral m’intéresse beaucoup, un travail de longue haleine.

Pinkushion : Quels sont les projets actuels sur lesquels vous travaillez ?

Au plus proche, je travaille sur mon nouveau solo, plus minimal dirons-nous. Et je me prépare pour les deux concerts en totale impro avec Fred Frith les 29 et 30 juin au Batofar (Paris) et i.Boat (Bordeaux).
En gros, je travaille surtout sur des projets personnels, un à long terme qui demande beaucoup de cogitation et de distance – Dora Rose Hits New York pour trois acteurs et électronique (mise en scène : Lionel Parlier) ; et une prochaine tournée en solo qui se fera au dernier semestre 2012 si tout va bien, avec des dates dans des pays où je ne suis encore jamais allée (Scandinavie, Angleterre…).

Le site officiel de Bérangère Maximin

A écouter :  » Bicéphale Ballade »