Deux ans après le single « Common Burn » et dix-sept ans après le superbe chant du cygne, Among My Swan, la troublante étoile de la côte ouest scintille de plus belle.
Mazzy Star… L’un des mystères les mieux gardés du rock, un cas à part en ces temps impatients où la musique a perdu de son pouvoir de fascination, son image iconique. Le discret duo californien, lui, continue de véhiculer une aura singulière, indifférente au sablier du temps qui s’écoule inexorablement.
Si nous n’avons jamais vu Mazzy Star en concert, celui d’Hope Sandoval en solo restera l’une des choses les plus marquantes auquel nous avons pu assister. Non pas spécialement sur le plan musical, mais pour l’atmosphère particulière qui s’y tenait. Voilà dix ans en arrière, la petite fée folk et ses Warm Inventions se produisaient dans la salle parisienne feutrée du café de la danse. Un concert événement, compte tenu du caractère rare de ses venues en France.
A l’entrée des lieux, le public dévoué (essentiellement masculin) était accueilli par un mot sur le mur, signé de la belle nous priant de rester silencieux durant le concert, en insistant bien sur le fait qu’il s’agit de musique « ambient » (?!). Appliquant sagement les consignes de la maîtresse de cérémonie, nous assistions alors à une expérience surréaliste : durant toute la performance, les projecteurs restaient braqués sur les musiciens, à l’exception du centre de la scène, où la silhouette statique et menue d’Hope Sandoval demeura une ombre. Derrière ce frustrant voile noire cachant le visage de la timide américano-mexicaine, sa présence paradoxalement décuplait d’intensité et de sensualité. Et le concert de demeurer ainsi jusqu’au bout, avec en rappel une reprise bouleversante de « Play With Fire ». « Don’t you play with me, because you play with fire », ces paroles chantés jadis par Mick Jagger, prenaient un tout autre sens langoureux au contact de cette voix langoureuse au charme fatale… Tel est l’image (si on puit dire) que l’on garde de cette artiste intrigante et inclassable. Au même titre que deux autres sÅ“urs rock de sa génération, Cat Power et PJ Harvey.
Il suffit seulement de trois accords de guitare et d’un soupçon de vérité. Ce vieux précepte, Hope Sandoval et son vieux complice David Roback (Ex Opal), le suivent à la lettre depuis vingt-trois ans, sculptant inlassablement la même chanson, à quelques variations près… Certes, la rareté joue en leur faveur, Mazzy Star n’ayant à ce jour enregistré que quatre albums, ce dernier inclus, Seasons of our Days, rompant avec dix-sept années de silence. Entretemps, Hope Sandoval a tout de même sorti deux albums solo et très bien choisi ses rares collaborations (Chemical Brothers, Death in Vegas). Quand bien même, une maigre consolation pour les admirateurs.
Sans doute aussi que le mutisme médiatique légendaire de la fée indie folk et de son guitariste (tous deux un cauchemar pour journalistes) entretient savamment l’aura autour de leur folk/rock onirique. Si loin et si près de nous, car durant cette traversée des années 2000, l’ombre de Mazzy Star était toujours là. L’influence d’Hope Sandoval, Vénus timide, est indéniable sur le paysage musical contemporain, de Marissa Nadler en passant par Lana Del Rey.
Que dire alors qui n’a pas encore été dit sur ce dernier opus, similaire à ses prédécesseurs, et tout autant touché par la grâce ? Que la magie opère toujours à l’écoute de ce recueil de ballades country/folk nimbées de réverbe rêveuse et de larsen brumeux. Que les choses semblent avoir été reprises la veille, comme si de rien n’était, depuis le superbe chant du cygne, Among My Swan (1997). Ce folk acide hérité du Velvet Underground, où glisse un bottleneck mélancolique, continue de creuser son sillon intemporel. Et bien sûr, il y a cette respiration profondément sensuelle qui nous happe dès le premier pas franchi dans son royaume onirique, « In the kingdom », jouant les grands écarts entre envolée solaire (« I’ve Gotta Stop ») et errance nocturne (« Common Burn ») .
S’il y a du neuf, il se trouve dans les détails, égrenés avec parcimonie dans les arrangements. Aussi à peine remarque-ton une subtile touche baroque, un clavecin et quelques violons, sur le sommet de délicatesse qui donne son titre à l’album. « Lay Myseld Down », où la batterie se fait un peu plus présente, se désigne naturellement comme single potentiel. Preuve que le temps n’a aucune prise sur Mazzy Star, la réapparition spectrale de la six-cordes du légendaire guitariste écossais de Pentangle, Bert Jansch, décédé voilà cinq ans, hante fiévreusement « Spoon ». En guise d’apothéose, « Flying Low » un blues hypnotique s’étirant sur plus de sept minutes : Hope Sandoval, après avoir lancé quelques incantations, s’efface derrière un harmonica qui danse avec le diable. Cette sensation de flottement, entre enfer et paradis, reste un trésor précieux.