Ils ont finalement choisi l’amour à l’obscurité. Les tragédiens Texans de la cold wave reviennent en grâce avec un second album inespéré qui reprend les choses là où ils les avaient laissés avec le culte Fear is On Our Side.
Non, nous n’avons pas oublié I Love You But I’ve Chosen Darkness. Fear is on our side a suffisamment marqué les esprits en son temps pour que la sortie de son successeur, huit longues années plus tard, s’impose comme un événement. Du moins aux yeux d’une poignée de fidèles épris de leurs guitares perchées, entre brume et lumière incandescente. Car tout comme Turn on the Bright Light d’Interpol, Fear is on our Side est devenu un des albums post-punk incontournables des années 2000. Mais contrairement au succès des rockers Cold Wave en cravate de la Big Apple, le destin en aura décidé autrement pour le quintet d’Austin. Malgré les critiques dithyrambiques reçues et une voie royale qui leur était ouverte, ILYBICD se saborde et s’enfonce dans le silence, laissant alors malgré lui un goût amèrement prémonitoire à son nom. Le fameux syndrome « My Bloody Valentine » mettra du temps à être surmonté. Aujourd’hui, pour ce second départ, ILYBICD revient sans tambour ni trompette : l’album est disponible seulement au format vinyle, tiré à 1000 exemplaires via le label français Monopsone (Piano Magic, Laudanum) ou en téléchargement. Mais la musique, elle, a conservé toute sa majesté, son magnétisme.
Le bon côté, c’est que ce hiatus a quelque part bénéficié à l’aura du groupe, de fait resté intacte, voire même insufflé un voilé de mystère autour d’eux. Ce qui est loin d’être le cas de nombreux autres jeunes concurrents qui se sont succédés et vite fourvoyés dès leur second album (les imposteurs Editors et autres bien nommés White Lies). Miraculeusement, le line up formé en 2001 demeure au complet sur Dust – soit le chanteur Christian Goyer, le bassiste Edward Robert, les guitaristes Ernest Salaz et Daniel Del Favero, ainsi que le batteur/percussionniste Tim White –. Même le producteur Paul Barker (ex Ministry), déjà de la précédente aventure, rempile à leurs côtés, mais cette fois au mixage, l’album étant autoproduit.
Notre attente a été récompensée. Dust est un imposant monolithe, un effort collectif mûrement réfléchi, tout en s’inscrivant dans la continuité et la cohérence de son prédécesseur. Difficile à croire que huit années séparent les deux Å“uvres, tant ce disque aurait pu sortir en 2007. Tout est là : l’esthétique froide et nocturne, les couches de guitares angulaires, aussi tranchantes qu’elles peuvent soudainement s’élever en apesanteur, la richesse mélodique et même son logo minimaliste (un croissant de lune se reflétant sur une eau trouble). A peine pourrait-on dire que la production tend vers davantage de rugosité.
Le single « Faust », qui brisait enfin le silence cet été, avec ses arpèges répétés comme une mécanique froide et implacable, se veut d’une redoutable efficacité, et rassure sur le degré d’intensité dont est capable de déployer ces ténébreux rockers après tant d’années d’immobilisme. Du lancinant « Stay Awake » (et sa basse flanger on ne peut plus Hooky) et les éclats soniques de « Come Undone », porté par la voix toujours juste et aérienne de Christian Goyer, reprend le flambeau de l’après-punk là où l’avait laissé feu Adrian Borland, The Chameleons et bien sûr la Division de la Joie.
Si ILBYBICD n’a pas son pareil pour se draper d’un rock urgent (tendance épique) cousu d’élégance noir (forcément), son penchant pour l’obscurité et l’expérimentation l’écarte définitivement de celui pompier de la bande à Bono : les nappes inquiétantes, limites cérébrales de « 69th Street Bridge » ou encore « You Are Dead To me »… ou à l’inverse le solaire « The Sun Burns Out », qui vole très haut et finit par se brûler les ailes tel Icare. Les vertigineuses plages d’Ebow sont également de retour sur « Safely », celles qui nous avaient tant secoué sur l’immense « We Choose Faces » de Fear is On Our Side. Mais le sommet du disque pourrait peut-être bien « Heat Hand Up », moment de grâce transcendé par la paire guitaristique Ernest Salaz et Daniel Del Favero, qui déroule lentement sa mise en scène tragique. Aucun doute, cette poussière-là vient des étoiles. Aussi fallait-il partir aussi loin là chercher.