Quatuor né des cendres de Women, Vietcong secoue fort sur son premier album urgence post-punk, drones et mélodies Nuggets. Rencontre avec ces esthètes énervés.
Le quatuor canadien Viet Cong sonne le gong de cette rentrée 2015 avec un premier album de rock arty et suffisamment audacieux pour effacer derrière lui les pistes des références trop flagrantes. Et c’est assez rare pour le signaler par ces temps qui courent. Il y a de cela quelques mois, leur Cassette EP autoproduit et paru en 2013 a été réédité sur le label Mexican Summer. Un disque à la sombre urgence qui prolongeait la flamme après punk et arty de feu Women, formation phare de Calgary partie trop tôt après deux albums inoubliables. Et pour cause, la moitié des membres de Viet Cong n’est autre que la section rythmique de Women : soit Matt Flegel (bassiste/chanteur) et Mike Wallace (batteur), ici rejoints par l’aiguisé duo guitaristique Scott Munro (croisé chez Chad VanGaalen) et Danny Christiansen.
Leur premier album sans titre qui sort ces jours-ci, est d’ores et déjà un disque à marquer au fer rouge pour tout amateur d’expédition sonore à six-cordes. Ou la preuve flagrante que la fusion entre drone musique et harmonies pop n’est pas forcément proscrites. Les quatre canadiens manient un art subtil, celui de conjuguer les guitares déviantes de Wire avec les harmonies aéroportuaires de Brian Eno – les entrainant « Bunker Buster » et « Continental Shelf ». L’échappée « March of Progress », donne quant à nous l’occasion d’écouter la bande-son froide des Temps Modernes des années 2010. Enfin un groupe qui s’appelle Indochine et qu’on peut écouter sans rougir !
Bien avant Viet Cong voire même Women, Matt Flegel (basse/chant) et Scott Munro (guitare) ont traîné ensemble leur guêtre au sein de la petite mais bouillonnante scène musicale de Calgary. De cette vieille complicité est née ce qui deviendra un groupe à part entière. Les deux amis nous racontent aujourd’hui ce long et passionnant cheminement.
Pinkushion : Permettez-moi de commencer l’entretien par une question qui me turlupine : Votre premier album qui parait ces jours-ci contient sept nouvelles compositions, soit le même nombre que sur le Cassette EP paru l’an dernier. Qu’est-ce qui différencient alors les deux en termes de format ?
Matt Flegel (basse/chant) : L’album a effectivement seulement sept morceaux, mais dure 42 minutes. On reste tout de même plus proche de la longueur d’un long format (ndlr : après vérification, l’album dure 38 minutes, contre 31 minutes pour le Cassette EP, mais on chipote c’est vrai…).
Pour votre défense, il est vrai que « Death », le dernier morceau de l’album, dure onze minutes.
Matt Flegel : Ce morceau contient trois chansons en une, ce qui nous ramène au final à environ dix chansons. On trouvait que ces différentes parties s’imbriquaient bien entre elles. Et on l’a fait aussi pour emmerder les DJs (rire). De toute manière, appelez ce disque comme vous voulez, EP ou LP, ces sept chansons étaient celles qui fonctionnaient le mieux ensemble. J’aime les disques qui ne comptent pas 25 chansons. Très peu pour moi les morceaux de douze minutes qui répètent la même chose.
Quelle est l’histoire derrière ce nom, Viet Cong ?
Matt Flegel : Il n’y a pas vraiment d’histoire derrière. On avait un concert de prévu, et on cherchait un nom à la dernière minute. Notre batteur Mike a suggéré ce nom en salle de répétition. On l’a gardé, pour le meilleur et pour le pire.
Un choix effectivement pas vraiment facile à « googliser »…
Matt Flegel : Il est effectivement fort probable que d’autres gars auraient déjà trouvé un autre titre (rire). Mais il n’y a aucune motivation politique ou quoi que ce soit derrière ce choix. Nous ne sommes pas des musiciens communistes.
Personnellement, je pensais qu’il y avait un lien ou que c’était un clin d’oeil avec la pochette du premier album de Women, où l’on voit une foule d’asiatiques faire du tai-chi.
Matt Flegel : Pas nécessairement. J’aime beaucoup la culture asiatique en général. Mon frère, Patt, c’est lui qui a trouvé cette photo sur le premier album de Women, et c’est aussi lui qui réalisé la pochette du Cassette EP. Il collectionne ce genre d’images asiatiques, c’est un genre de hobbies pour lui. Celle de notre nouvel album montre un boxer en train de se faire couper ses bandages sur les mains. Celle-ci, c’est moi qui l’ai trouvé dans un vieux manuel d’anglais des années 50. Je l’aimais bien et je l’avais collé sur mon frigo sans trop d’idées derrière la tête. Et c’est quand il a fallu choisir une illustration que cette photo m’est revenue. On a essayé d’autres visuels, mais c’est celle-ci qui fonctionnait le mieux.
Le Cassette EP que vous aviez autoproduit et sorti en 2013, a été réédité en juillet sur le label Mexican Summer. Aujourd’hui, l’album sort sur le label Jagjaguwar, votre label historique du temps de Women.
Matt Flegel : Avec le recul, je ne pense pas qu’on voulait une sortie à grande échelle pour le Cassette EP. Mexican Summer voulait seulement sortir le disque en édition limité, à 1500 exemplaires. Nous l’avions sorti seulement en cassette, et on le vendait pendant les concerts. Et surtout, le cassette EP, c’était à 90% moi et Scott. C’est ça la grande différence.
Scott Munro (guitare) : Ce disque n’est pas vraiment représentatif du groupe. Les chansons étaient seulement l’Å“uvre de Matt et moi. On jouait principalement de tous les instruments. Matt (Wallace, batterie, ex Women) et Danny (Christiansen, guitare) jouent sur certaines compositions, mais on se cherchait encore. On ne savait pas trop où tout cela nous mènerait. Même si le EP est sorti sous le nom Viet Cong, le groupe n’en était pas encore vraiment un. Je pense que le nouvel album reflète mieux ce que nous sommes en tant que groupe. Avec le recul, je trouve même que les faces B de l’époque sont plus proches de notre son aujourd’hui.
Pour ce nouvel album, vous avez choisi d’enregistrer dans une sorte de ferme dans l’Ontario appelée « la grange ».
Matt Flegel : C’était à l’origine une vraie ferme ou des gens gardaient des vaches et des animaux. La propriété appartient maintenant à des amis d’amis musiciens qui ont transformé ce lieu – une grange en fait – en studio d’enregistrement. L’endroit est superbe et l’équipement vraiment top ; Ils ont construit un loft à côté avec des lits et une cuisine, tout ce qu’il faut pour s’immerger et travailler dans les meilleurs conditions. La salle d’enregistrement est très grande avec de grandes fenêtres, le son était énorme. Je pense que cette pièce a beaucoup contribué au son du disque.
Scott Munro : On a passé cinq jours là-bas, puis on est allé dans un autre studio qui était d’ailleurs aussi une sorte de ferme, toujours en Ontario. Elle s’appelait Lost Cause, je crois. On y a enregistré tous les vocaux et encore quelques guitares.
Le Cassette EP se distinguait par votre approche DIY. Maintenant que vous êtes passés à l’étape studio d’enregistrement. N’avez pas eu peur de perdre votre côté artisanal en chemin ?
Scott Munro : Il est vrai qu’au départ on enregistrait par nos propres moyens, mais nous ne sommes pas non plus vraiment du genre patient. On aime travailler dans notre coin pour développer des idées. Mais si rien ne se passe, on laisse rapidement tomber. Pour ma part, j’avais déjà une certaine expérience en studio, j’ai travaillé comme musicien de session, pour des trucs commerciaux, des disques de variété country notamment. Et Matt a bien sûr enregistré des albums avec Women.
Matt Flegel : Nous avons un espace à Calgary – en fait le studio de Scott – où on peut expérimenter, stocker notre matériel analogique et du matériel d’enregistrement et des synthétiseurs notamment. Avant d’aller enregistrer dans l’Ontario, on avait déjà des démos complètes de toutes les chansons. On savait donc déjà où on voulait aller avant d’enregistrer en studio avec Graham Walsh (ndlr : membre du groupe Holy Fuck).
A l’écoute de l’album, il se dégage l’impression que vous n’enregistrez jamais la même chanson : l’une est post-punk, une autre pop ambient… on dirait que chaque chanson est un nouveau challenge.
Matt Flegel : J’aime l’idée qu’une chanson ne sonne pas identique à la prochaine. On essaie de mélanger nos influences, la drone musique avec des guitares complexes. On essaie de faire en sorte à chaque fois d’être intéressé par le processus de création et le format. Et par prolongement, susciter l’intérêt chez les gens qui nous écoutent.
Les deux derniers morceaux du disque, « Silhouette » et « Death » sont particulièrement sombres, plus froid dirais-je que le reste de l’album.
Matt Flegel : Carrément. Je ne sais pas trop d’où provient cet aspect froid, probablement que cela reflète d’où l’on vient, Calgary.
Scott Munro : Je me souviens de l’enregistrement des parties de guitare pour « Death ». C’était le matin je regardais ces immenses fenêtres du studio et la lumière qui passait à travers : on enregistrait le morceau le plus sombre de l’album et il faisait un temps magnifique. Il y avait même un arc-en-ciel ! Qui sait d’où cette part sombre peut venir… (rire)
Même si votre musique peut être sombre, je trouve toutefois un certain sens de la dérision dans vos paroles.
Matt Flegel : Vous êtes une des seules personnes pour l’instant à m’avoir fait cette remarque. Ce n’est pas que je sois du genre à faire des blagues, loin de là, mais il y a certainement dans mes paroles une manière de relativiser ce côté sombre. Je prends du plaisir à écrire des textes, jouer avec des mots parfois un peu stupides, les mettre ensemble. Je m’écris des blagues personnelles en quelque sorte, même si les gens ne les comprennent pas. Mais si les gens pensent que je suis trop sérieux, ça me va aussi. La musique peut être une chose très sérieuse, que la notre soit fun et intéressante nous suffit personnellement.
Pour un groupe qui privilégie les guitares angulaires, il y a aussi dans votre musique une solide assise pop.
Matt Flegel : Beaucoup de nos mélodies sont pop. J’en écoute beaucoup, donc ça en découle naturellement. Même Brian Eno par exemple, sa musique n’est pas vraiment considérée comme pop, mais sa manière d’utiliser les harmonies est géniale. Dans la Motown aussi que j’écoute, notamment les chansons sixties de Diana Ross, il y a vraiment des harmonies complexes. J’ai aussi grandi en écoutant les Everly Brothers, quelque part c’est inscrit dans mon cerveau.
Et qui qu’est-ce qui vous inspire du côté de la musique expérimentale ?
Matt Flegel : Encore une fois, Brian Eno, est un modèle. Pour ses expérimentations dans les années 70, et plus particulièrement ses collaborations avec David Bowie. Ils étaient influencés à cette période par la musique allemande que nous écoutons aussi beaucoup. Des groupes comme Can, Kraftwerk, Neu !, Faust. Ce genre de groupes qui repoussaient les limites.
Scott Munro : J’aime aussi la musique improvisée allemande, notamment Han Bennink, et Derek Bailey. Surtout leur approche musicale très ouverte à la fin des années 60, lorsqu’ils exploraient plein de territoires différents, aux frontières du jazz.
Matt Flegel : On écoute beaucoup de drone musique aussi. Au lycée, j’étais à fond dans le post-rock avec des groupes comme Mogwai, ce genre-là.
Scott Munro : Même les canadiens de Godspeed You !Black Emperor, j’achetais à l’époque leurs albums.
Matt Flegel : Sans oublier le Velvet Underground, Glenn Branca, Sonic Youth… Beaucoup de groupes à guitare noisy, en somme.
Votre son se différencie pourtant pas mal de ces groupes que vous venez de mentionner, comme Mogwai.
Scott Munro : Je n’utilise pas beaucoup la distorsion à vrai dire. Danny Christiansen en utilise davantage mais pas de la même façon qu’un groupe comme Mogwai. Nous avons déjà tourné avec eux d’ailleurs. Leur distorsion est énorme, contrairement à nous.
Matt Flegel : Ils ont des amplis gigantesques, alors que les notre sont petits. Nous sommes plus dans la perspective d’obtenir un son rugueux.
Sur certains de vos morceaux atmosphériques, il est parfois difficile de distinguer si telle partie est une guitare ou un clavier.
Scott Munro : Il y a un peu des deux. J’ai utilisé pas mal de claviers sur le Cassette EP. Par exemple, sur le premier morceau, « Thow it Away », j’ai doublé toutes les guitares avec des synthétiseurs. Graham Walsh, qui a produit l’album, est un des claviéristes du groupe Holy Fuck. Ils sont comme nous originaires du Canada et font une musique electro dansante. Graham a apporté quelques textures sur l’album, mais pour la grande majorité du temps, toutes les parties de guitares sont doublées. Lorsque nous jouons sur scène, nous sommes exclusivement guitare, mais on aime bien en studio rajouter des parties de claviers un peu cachées. Mais bien sûr, rien n’est systématique.
Matt Flegel : Sans oublier toutes les pédales d’effets que nous utilisons.
Vous avez tous deux un ami en commun, le prodigieux Chad VanGaalen, qui fut notamment le producteur des deux albums de Women. Scott, vous avez notamment joué dans son groupe. On peut dire qu’il doit beaucoup à la scène rock alternative de Calgary.
Scott Munro : Chad a été l’un des premiers de notre génération à faire une musique très personnelle. En fait, Matt et moi avons joué dans son groupe plusieurs fois, ensemble et séparément. Nous avons aussi joué sur ses disques : Matt a participé à Soft Airplane et Shrink Dust, quant à moi, j’ai joué sur Diaper Island. Donc nous avons collaboré à plusieurs reprises.
Matt Flegel : C’est avant tout un ami. Il est aussi comme nous un « nerd » de musique. On aime bien trainer ensemble, se montrer nos récentes trouvailles sonores ou acquisitions d’instruments. Ça se termine souvent en jam impromptue chez lui. Chad joue du saxophone, un autre du vibraphone et ça finit en une musique drone improvisée. Ou chacun joue de son instrument respectif et ça se transforme en punk rock, ou garbage noise music.
Scott Munro : Je l’ai accompagné lors de sa dernière tournée pour l’album Shrink Dust, je jouais de la basse. J’ai d’ailleurs joué avec lui ici à Paris, il y a trois mois. Chad est ce qu’on appelle aussi un « one man band », et je pense que c’est là où il excelle, tout seul sur scène. Mais c’est aussi très sympa de partir en tournée en formation groupe avec lui, les concerts ne sont pas du genre prises de tête. Il se moque un peu de comment doivent sonner les chansons.
Matt Flegel : Ces derniers temps, il préfère davantage parler dans un micro lors de ses concerts, genre comédie stand up, que jouer de la musique (rires).
Je me souviens sur Shrink Dust il avait enregistré une chanson d’amour dédié à son chien, récemment décédé. C’était plutôt drôle.
Scott Munro : Il aimait beaucoup son chien. C’est une jolie chanson en plus.
Matt, j’imagine que vous suivez de près les projets de votre frère Pat, ex guitariste et chanteur de Women).
Matt Flegel : Bien sûr, j’aime beaucoup ses deux projets Androgynous Mind et Cyndi Lee. Pat n’est pas du genre à se trémousser dans des clips vidéos. Je veux dire par là qu’il fait ce qu’il veut : Il ne veut pas être signé sur un label car il n’a pas envie d’avoir de pression ou de devenir énorme. Ces différents projets sont davantage dans une optique scénique. Cyndi Lee était avec un projet qu’il menait avec sa petite amie, qui jouait de la batterie dessus. Mais il préfère être la plupart du temps seul. Il est heureux ainsi en tous les cas.
Top 5 albums Scott Munro
1. Run the Jewels – 2
2. Beak>>
3. J. Dilla – Donuts
4. C. Spencer Yeh / Okkyung Lee / Lasse Marhaug – Wake Up Awesome
5. The Stooges – Raw Power
Matt Flegel Top 5
The Smiths – The Queen is Dead
Nico – Chelsea Girl
Iggy Pop – The Idiot
Neu ! – Neu !
The Cure – Pornography
Viet Cong – S/T (Jagjaguwar)