Il y a bien une vie après Tunng. Le songwriter et folktronicien britannique Sam Genders, alias diagrams, en atteste sur un vivifiant second album, intitulé Chromatics. Rencontre.
Passer de la lumière noire au technicolor. Voilà où nous emmène Diagrams, alias le britannique Sam Gender, sur son second album intitulé Chromatics. Trois ans en arrière, l’ex leader de Tunng, fierté folktronica outre-manche, avait entamé sa carrière solo avec Black Light : un album où ses popsongs aux structures orthodoxes étaient colorées de rayures electronica criantes. L’alliance réservait quelques grands moments, et d’autres un peu plus incertains. En effet, si les qualités du songwriting de Sam Genders n’étaient pas à remettre en question, la mise à plat sonore nous avaient toutefois un peu dérangée, la faute à des arrangements electro-funk pas forcément justifiés, voire en-dessous du niveau de Tunng (une boite à rythme un peu trop envahissante notamment). Ces gros traits ont été affinés sur Chromatics, et l’on s’en réjouit : les instruments dit « organiques » y respirent enfin, offre ainsi un second souffle aux harmonies sentimentales de Genders dont le chant gagne du coup en spontanéité. En ce sens, on se plait à constater que Diagrams emprunte désormais une voie similaire à Metronomy, atténuant sa palette électronique pour accentuer de l’autre une pop/folk bigarrée. Un écrin qui, on lance les paris, résistera mieux au temps.
Il y a une raison à cette nouvelle direction artistique : Sam Genders a quitté la bruyante capitale Londonienne pour la tranquille Sheffield. Depuis, le moral est au beau fixe, et cela s’entend sur les communicatifs et chaleureux « You Can Talk to Me », « The Light and The Noise ». L’espoir même innerve ces folksonsg bariolées de sa voix douce et grave, cousine du grand foufou GruffRhys. D’ailleurs, le titre du premier single, Phantom Power, évoquera quelques souvenirs aux fans des idoles Gallois Super Fury Animals. Hommage caché ? Sam Genders s’en défend, mais la comparaison lui plait bien. Nous aussi.
Pinkushion : Compte tenu de votre passé illustre avec Tunng, votre premier album solo paru en 2012, Black Light, avait été attendu. Quel était votre objectif pour ce second album ?
Sam Genders : Je pense que l’objectif était simplement de faire un bon album. Le premier album a été bien accueilli par les critiques, mais les ventes n’étaient pas vraiment au rendez-vous. C’est un véritable challenge aujourd’hui que de gagner de l’argent dans le milieu de la musique. Je m’estime déjà heureux de pouvoir passer à l’étape suivante et sortir un nouvel album. Sur le plan musical, j’avais bien en tête quelques idées sur la direction à prendre avant d’enregistrer. Mais je me suis finalement laissé guider par les opportunités qui se sont présentés à moi tout au long du processus de création. Travailler avec le producteur Leo Abrahams (ndlr : qui s’est distingué avec Wild Beats, Brian Eno, Jon Hopkins…) sur l’album fut une expérience enrichissante. Au moment où j’écrivais les chansons, j’attendais de trouver le collaborateur idéal qui pourrait se greffer au projet. Cela peut prendre du temps pour trouver la bonne personne. Parmi les trois producteurs que j’avais en tête, j’ai finalement porté mon choix sur Leo. Et je ne l’ai pas regretté.
Pourquoi ne pas avoir pas prolongé votre collaboration avec le producteur Mark Brydon ?
Simplement, je voulais faire quelque chose de différent.
Diagrams est votre projet solo, mais c’est aussi notamment sur scène un collectif de musiciens. Est-ce toujours le cas sur ce second album ?
Effectivement, il y a toujours du monde autour de moi en studios. J’ai pas mal d’amis qui ont enregistré des chÅ“urs dessus. The Smoke Fairies chantent également sur quelques chansons. Danyal Dhondy et Sam Ewens ont signée quelques arrangements de cordes et de cuivre. Karl Penney, un batteur de session très prisé à Londres, qui est un ami, joue aussi dessus. Enfin, Max, qui joue de la guitare dans la formation scénique, a fait quelques parties sur l’album. Le reste pour l’essentiel a été joué par Leo et moi. Je joue de la guitare, Leo joue de la basse. On se partage les parties de piano et de synthétiseur.
La première impression qui me vient à l’écoute de Chromatics, c’est cette volonté de revenir à une musique plus organique. Du moins, comparé à Black Light, qui utilisait beaucoup d’éléments électroniques.
Je n’avais pas l’intention au départ de faire un disque moins électronique. Mais nous nous sommes tellement éclatés avec le groupe à jouer sur scène les morceaux du premier album, que les chansons ont fini par sonner plus traditionnelle. Enfin, je veux dire par là comme un groupe traditionnel, avec un son de batterie, des guitares, ect. Et cela a certainement influé sur le son du second album. La grande différence cette fois, c’est qu’il y a une vrai batterie sur le disque. C’est certainement ce qui affecte le plus le son dans cette direction organique. En même temps, les textures sonores sont assez similaires avec celles du premier album. Il y a beaucoup d’éléments électroniques, mais qui sont plus mélangés avec de vrais instruments.
Metronomy est un autre groupe qui me vient en tête pour évoquer ce retour vers une production plus organique.
J’aime beaucoup Metronomy. Leur production est très précise. Mark Brydon, mon précédent producteur, a également travaillé avec eux. Leur son peut être très Hi-Fi, mais je vois la similitude avec mon travail.
Chromatics semble aussi un disque davantage tourné sur le songwriting.
Complètement. Je n’en étais pas vraiment conscient pourtant au début. Mais du fait que j’ai mis un certain temps à trouver le bon producteur, et donc que j’ignorais vers quel son l’album allait s’orienter, je me suis davantage concentré sur les mélodies et les paroles. D’autre part, je suis songwriter et j’aime aussi coécrire pour d’autres artistes, et j’ai donc toujours des chansons en réserve. Je me suis dit que ce serait bien d’avoir suffisamment de chansons lorsque le moment serait venu d’enregistrer. J’ai écrit quinze chansons pour ce disque, et nous avons choisi les onze meilleurs. Celles qui semblaient les plus solides. Je ne suis pas sûr que cette méthode fût consciente, mais dans tous les cas, cela s’est passé ainsi.
Autre changement notoire : Vous avez récemment déménagé de Londres pour emménager à Sheffield. Cela a-t-il affecté votre manière de composer ?
Oui, et j’en suis très heureux. Sheffield est une jolie petite ville, très chaleureuse et proche de la nature, à deux pas de la campagne. Et nous vivons un peu à la périphérie, à quinze minutes du centre-ville. Avant tout, j’ai désormais davantage d’espace. Je suis passé d’un petit appartement à une petite maison. Les prix de l’immobilier sont dérisoires comparé à Londres. J’ai une petite pièce désormais où j’ai installé mon matériel et je peux composer. Ça fait une grande différence. Dès que j’ai une idée, je peux partir m’isoler et travailler dessus. Ce qui n’est pas si simple à Londres lorsqu’on partage le même espace avec d’autres colocataires. Ce fut un changement notable dans cet aspect-là. Je suppose que cette manière de composer à aussi influer sur ma manière de voir les choses aussi, émotionnellement.
Vous pouvez donc faire un peu plus de bruit maintenant. C’est peut-être une des raisons pourquoi l’album est plus « organique » (rire).
Peut-être aussi, oui (sourire).
J’ai l’impression personnellement que ce disque sonne plus sentimental.
Je le pense aussi. Il y a certainement de cela dans des chansons comme que vous évoquiez. Les paroles sont assez directes, je n’avais pas écrit de cette manière avant cela. Donc dans un sens, c’est vrai.
J’ai lu que vous compariez ce nouvel album à « la vie en technicolor ».
Oui, j’évoquais en fait le titre de l’album, Chromatics. Fondamentalement, je ressens que c’est un disque plein d’espoir. Plus festif comparé au premier album. L’inspiration se veut plus positive, et cela s’entend dans les chansons. La vie est faite de haut et de bas, mais j’ai là-dessus une approche plus positive, du moins actuellement.
Quels thèmes affectionnez-vous dans les paroles de vos chansons ?
Beaucoup d’entre elles évoquent les relations personnelles. Le désir et la tentation de choses, qu’elles soient matérielles ou physiques, reviennent régulièrement dans mes textes.
Que signifie la chanson « Phantom Power » ?
Cela parle de ce genre de situation lorsqu’un petit détail vous obsède et peut vous rendre fou. Lorsque vous êtes tiraillé entre deux sentiments : celui de ne pas faire très bien quelque chose, mais garder l’espoir. Et malgré tout, continuer à être inspiré par plein de choses nouvelles.
Parallèlement à votre carrière, vous coécrivez aussi pour d’autres artistes comme Ben Ottewel du groupe Gomez ou encore la chanteuse Cibelle. Continuez-vous ce genre de collaboration ?
Ces derniers mois j’ai été accaparé par Diagrams, mais je suis toujours ouvert à d’autres collaborations qui peuvent se présenter.
Et comment fonctionne ce partenariat ?
Généralement, on se réuni dans une même pièce et on partage des idées. Parfois, on me fournit une base et on la développe ensuite ensemble. Je travaille généralement avec des artistes qui sont déjà capable d’écrire des chansons au sein de leur groupe, mais qui souhaitent un regard extérieur un peu frais, casser un pour les habitudes et envisager autrement certaines choses. Je n’interviens qu’à une certaine étape du processus créatif. Le produit final est ensuite peaufiné par l’artiste et son groupe.
Ce doit être une expérience à la fois étrange et enrichissante, non ?
C’est un excellent exercice en termes de travail collectif, et un bon moyen pour apprendre à mettre son ego de côté. Car cela peut être un véritable défi que d’apprendre à abandonner ses idées, les laisser à quelqu’un d’autre pour en faire ce qu’il veut. Lorsque je travaille avec quelqu’un d’autre, j’ai toujours en tête de m’adapter à sa sensibilité artistique. J’ai donc finalement très peu de contrôle sur le résultat final. Ça peut devenir aussi effrayant que stimulant, selon le résultat obtenu.
Enfin pour terminer, quels artistes ou albums vous ont inspiré en partie lors de l’enregistrement de l’album.
Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été influencé par l’album Revolver des Beatles. J’écoute aussi beaucoup Jackson Browne. Ce sont des albums que j’écoutais déjà quand j’étais gosse. Il y a aussi ces jeunes musiciens signé chez Moshi Moshi, Sweet Baboo, qui a sorti un super morceau l’année dernière, « Let’s Go Swimming Wild ». C’est une des meilleures chansons jamais écrite. Leurs chansons sont assez directes, dans un sens, c’est assez traditionnel, mais il y a petit contrepied dans les paroles. C’est très bien fait, et même probablement meilleur que moi. En tous les cas, je m’en inspire. Les Flaming Lips ont également été une source d’inspiration dans leur façon de mixer des parties instrumentales organiques avec des éléments très électroniques. Et je suis toujours inspiré par le temps que j’ai passé aux côtés de Mike Lindsay (ndlr : cofondateur de Tunng, toujours à la barre du groupe, Sam Gender est parti en bon termes). J’ai toujours aimé sa façon de combiner différents sons electro et organiques, il est tellement bon à ce jeu-là.
Enfin pour terminer, quels sont vos cinq favoris ?
Beatles – Revolver
Jackson Browne – Late for the Sky
Fairport Convention – Liege and Lief
Farewell Requiem (Sam Genders : des choeurs de musique classique, mais je ne suis plus sûr de quelle version)
Bob Marley – compilation
Diagrams, Chromatics (Full Time HObby/Pias)
En concert :
Paris, le 11 février, Le Point Ephemere
Lille, le 12 février, La Péniche