Si les deux premiers albums de Kevin Morby en solo laissaient présager du meilleur, Singing Saw s’impose d’ores-et-déjà comme l’un des disques immanquables de cette année.



Morgue et moue boudeuse de poupon américain (quoi d’étonnant pour un ex-Babies), chemise mormone boutonnée au col, Kevin Morby délivre avec ce troisième album un condensé d’Amérique. Le transfuge de Woods s’émancipe de la pop psychédélique de ses anciens comparses avec un disque de country folk intemporel solidement ancré par les racines de son pays. Si l’on y entend tout au long de l’album la modernité de sa nouvelle génération de folkeux, Elvis Perkins avec qui il partage l’amour de la côte Est et le même batteur, l’on devinera tout aussi bien derrière un phrasé nasal et nonchalant l’influence du maître Dylan (lors du lancinant « Water », entre autre).

Certes, le temps de l’hypnotique « Singing Saw » qui donne son nom au disque, l’on entendra une guitare un peu sale qui rappellera son passé plus rock mais les compositions s’enrichissent de cordes (le si beau « Drunk And On A Star ») ou de cuivres (« I Have Been To The Mountain » ou le saxophone sans vergogne de « Destroyer ») plus classiques et de chÅ“urs féminins fort à propos (qui hantent les morceaux 2 et 4 d’anthologie). Car en neuf chansons seulement, mais en plus de 40 minutes tout de même, Kevin Morby est capable de placer la barre très haut sur l’échelle de l’ambiance entêtante et des mélodies mémorables.



Il règne ici une atmosphère maitrisée (l’on suppose le garçon perfectionniste) entre mid-tempo chaloupé et rythmes plus enlevés (« Dorothy », « I Have Been To The Mountain ») et s’il n’assure pas lui-même les parties de basse, l’instrument occupe un rôle prépondérant dans les arrangements, véritable soutien rythmique ET mélodique. Il flotte aussi un je-ne-sais-quoi de la solitude citadine de fin de soirée, comme le regard un peu perdu du chanteur devant l’immensité de la cité qui s’endort en pochette à la modeste humanité déconcertante.

L’on se promène au gré des chansons en se balançant en père peinard jusque dans l’accent feignant du bonhomme : pas besoin d’articuler les histoires racontées mais seulement la nécessité de se laisser porter pour traverser les paysages et les nuits de Kevin Morby qui sans cesse interroge sa condition de chanteur, entre entertainer et artiste hanté.