Un peu passé aux oubliettes de l’histoire du rock, la maison de l’amour, (nom emprunté à un roman d’Anaïs Nin, A Spy in the House of love) était pourtant à la fin des années 80 l’un des fleurons britanniques du rock sophistiqué, subtil cocktail de guitares exaltées et compositions mélancoliques. Guy Chadwick, leader au visage creusé et à la voix profonde, demeure l’un des songwriters primordiaux de cette période charnière 1988/1992, où beaucoup de disques de rock indépendants (à l’époque, ce terme avait une réelle signification) ont contribué à modifier la donne et ouvrir une brèche vers un public plus large (Stone Roses, Happy Mondays, Primal Scream, James…).
La bâtisse de Chadwick a connu à peu près tous les stades de popularité : engouement « in » du milieu indépendant, puis son heure de gloire du temps de l’album « Papillon » et quelques singles élégants (« Beatles and The Stones », « Shine On », « I don’t Know Why I love you »), enfin une progressive érosion de son audience – probablement lassée par son manque de renouvellement – qui aboutira à sa fatale séparation au milieu des années 90.
On s’intéressera ici à la première période du groupe chez le mythique label Creation, certainement la plus foisonnante et la plus étincelante, soit la compilation Rough Trade Allemagne et le premier « véritable » album éponyme du groupe (réunis tous deux voilà trois ans sur la compilation The House of Love 1986/88 The Creation Recordings).
1987. En ce temps-là, le patron du label d’Alan Mc Gee est un directeur artistique doté d’un flair épatant et signe quelques uns des groupes les plus passionnants (My Bloody Valentine, Microdisney, The Chills et Primal Scream… pour les plus célèbres). Il décide d’intégrer à sa dream-team le groupe d’un certain Guy Chadwick, ancien Kingdom, formation connue pour n’avoir sorti qu’un seul single. Le quatuor est constitué d’Andrea Heukamp (chant, guitare nucléaire), Terry Bickers (guitare), Pete Evans (fidèle batteur qui restera jusqu’à la fin) et Chris Groothizen (basse). De dix ans leur aîné (son modèle Peter Perrett des Only Ones avait aussi la trentaine), Chadwick s’impose comme un leader légitime, d’autant qu’il compose toutes les chansons.
« Shine on », premier single fulgurant sorti en 1987, marquait déjà les bases des compositions alambiquées et pop du groupe mais ne reniant pas l’héritage underground (les Only Ones, Lou Reed). Il s’en suit une liste de classiques pop tout bonnement affolants : les immortels « Real Animal » et « Christine », deux sommets d’ingéniosité doté d’une bonne dose d’impertinence en matière d’élaboration. La production inhabituelle – la guitare lead est noyée dans une surabondance d’effets et poussée en tête de peloton, tandis que la voix semble mixée en dessous du niveau habituel, apportent une fraîcheur dans un environnement où de pales ersatz des Smiths et de U2 dominent le marché.
Les faces B ne sont pas en reste non plus et dévoilent souvent une facette plus fragile, tels le solitaire « Loneliness is a gun », ou le fragile « Blind ». Leur formule se perfectionne de single en single, développant un ton à mi-chemin entre poésie désabusée et puissance mélodique. La voix d’Andrea Heukamp (qui quittera le groupe peu avant la sortie du premier album, puis fera un bref retour sur les deux derniers albums du groupe) apporte aussi cette touche féminine qui contrebalance le grain ténébreux de Chadwick. Le compositeur, excellent guitariste par ailleurs, sait ce qu’il veut en terme de production, cherchant un son de plus en plus dense. Il produira ainsi le premier album ainsi que les futurs, se faisant le maître incontesté de la patte sonique du groupe.
House of love, premier album éponyme du groupe, continue de maintenir le niveau d’excellence des trois premiers singles. Epaulé par l’ingénieur du son Pat Collier, (Soft Boys, The Sound), Chadwick trouve un allié parfait pour mettre en forme ses fantasmes. Les sons tournoyants du guitariste Terry Bicker (le vaillant « Happy ») font des merveilles sur les compositions de Chadwick, fortement inspirées par le rock arrogant et dissonnant de The Jesus & Mary Chain, mais aussi par la poésie crépusculaire des Doors.
« Destroy the Heart », l’un des sommets du disque, est de nouveau un single imparable, à la beauté fascinante, l’histoire d’un homme hanté par le souvenir d’une femme. Au-delà de la brochette de chansons parfaites qui se succèdent, ce qui est surprenant sur ce premier album, c’est qu’il prend tout le monde à rebrousse-poil avec une collection de chansons délicates, (« Man To Child », « Touch me », « Hope »…), finalement moins puissantes que ne laissait envisager les productions précédentes. Il faudra attendre la fin d’House Of Love et la sortie de l’album solo de Chadwick (Lazy, Soft & Slow, 1997) pour retrouver une si belle succession de chansons d’amour désincarnées.
L’album contient aussi un nouveau classique, « Love in a car », sorte de réponse romantique au « There is light that never goes out » des Smiths. Plus de quinze ans après sa sortie, les notes d’intro de Terry Bickers résonnent dans nos têtes comme l’une des plus belles choses que les années 80 nous ont laissé. Chadwick y exploite enfin pleinement sa voix, et son final répétitif « Deeper Than Any SeaÂ… », procure toujours autant de frissons. A coup sûr l’une des trois plus belles chansons d’House Of Love. La thématique de la route semble d’ailleurs avoir inspiré Chadwick qui réitère le coup sur « Road », au tempo plus relevé, dont l’assurance vocale surprend.
A ce moment-là, The House of Love est un sérieux prétendant pour reprendre le flambeau du groupe de Morrissey qui a depuis peu implosé. Beaucoup voyaient d’ailleurs en ce quartet le seul concurrent potentiel au raz-de-marée US Pixies. Mais traumatisé par l’expérience de son groupe précédent, Guy Chadwick veut tout contrôler et se révèle un petot despote, épuisant un grand nombre de guitaristes, avant de s’auto-décourager.
Malgré un nom limite ridicule, The House of Love aura laissé une empreinte non négligeable sur le rock des années 90. On retrouve l’influence du groupe chez Radiohead, Coldplay, mais aussi aujourd’hui chez Interpol, Franz Ferdinand et The Shins (qui reprennent magnifiquement sur scène « Destroy the Heart ») avec ce goût prononcé des guitares riches et entremêlées.
A l’heure où une double compilation Fontana vient de paraître (la période Creation y est omise), Guy Chadwick, Terry Bickers et sa bande préparent minutieusement leur come-back en studio, pour un nouvel album d’House Of Love prévu pour début 2005, soit plus de dix ans après leur séparation. Après le retour miraculeux des Pixies, il se pourrait bien que l’engouement pour les vieilles gloires de la décade passée profite à ce groupe prodigieux, histoire de restaurer la résidence 5 étoiles de Guy Chadwick.
TRACKLISTING : 1. Christine
2. Hope
3. Road
4. Sulphur
5. Man to Child
6. Salome
7. Love in a Car
8. Happy
9. Fisherman’s Tale
10. Touch Me